L’industrie de la construction, au Québec mais aussi dans le monde, tire de l’arrière en ce qui a trait au virage numérique. Des initiatives persuasives ont été mises sur pied afin de convaincre les réfractaires d’embarquer dans le train de la modernité. Regard sur l’industrie 4.0, qui investit enfin dans la construction.
Dépassant les technologies de pointe, telles que les exosquelettes ou les drones, qui y sont souvent associées, le virage numérique en construction concerne surtout la mise à contribution des diverses technologies dans tout le cycle de vie d’un projet, que ce soit un bâtiment ou une infrastructure. De son élaboration à sa construction, en passant par son opération et même son éventuelle démolition, un projet qui choisit d’être 4.0 peut améliorer la qualité de son exploitation ainsi que sa durabilité. « On envisage le virage numérique comme se faisant en deux parties », explique Martin Lafleur, directeur général du Groupe BIM du Québec. « Une entreprise qui informatise d’abord ses systèmes de gestion, de suivi et de production, puis qui ajoute le BIM à son fonctionnement, qui représente toute la composante entre la gestion et le partage des données parmi les différents intervenants. »
Véritable pierre angulaire de la transformation numérique, le passage au BIM est l’étape cruciale. « Non seulement il permet de créer un modèle virtuel numérique de ce qu’on est en train de construire, mais il ouvre la voie », ajoute Ivanka Iordanova, professeure au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS). « C’est comme si le BIM avait donné confiance à l’industrie de la construction, lui indiquant qu’elle avait, elle aussi, la possibilité de se transformer et le potentiel d’innover. »
S’il tire de l’arrière, il n’en demeure pas moins que le Québec a entamé le virage numérique. Selon l’Association de la construction du Québec (ACQ), 68 % de ses membres, composés d’entrepreneurs généraux et spécialisés, avaient déjà amorcé des projets impliquant le virage numérique. Bien sûr, les plus gros joueurs de l’industrie ont souvent plus de moyens pour financer de telles initiatives. « Mais la majorité des entrepreneurs a quand même commencé le virage et la totalité est consciente de la nécessité de l’entreprendre », croit Martin Lafleur.
« Tout va bien, alors pourquoi changer ? », se demandent peut-être bien des intervenants de l’industrie de la construction. La résistance au changement est grande, mais il faut savoir sortir de sa zone de confort, avance Ivanka Iordanova. La formation peut aider. Du temps et de l’argent devront être investis, mais la productivité sera ensuite grandissante. « La priorité, c’est toujours de livrer les commandes et de répondre aux appels d’offres. Essayez de trouver du temps pour investir dans le développement des processus, parce qu’à moyen et long termes, ce sera exigé », assure le directeur général du Groupe BIM du Québec.
Soutien à la clé
Avec l’Initiative québécoise pour la construction 4.0, le gouvernement du Québec a choisi non seulement de servir d’exemple, mais d’aussi de faciliter la transformation numérique pour les petits ou grands entrepreneurs, les professionnels et les donneurs d’ouvrage de la province. Ceux-ci, s’ils le désirent, disposent tous de subventions pour d’abord et avant tout dresser le diagnostic de leur situation. Car avant même d’implanter des technologies, l’élément le plus important est d’analyser ses propres besoins en évaluant ses processus d’affaires actuels et en les projetant dans le futur afin de les optimiser.
Le Groupe BIM du Québec, au coeur du virage numérique de la province, a réalisé 280 diagnostics du genre et 300 autres attendent d’être révisés à l’heure actuelle. « Et ces diagnostics ne sont pas désincarnés, ils sont basés sur d’autres diagnostics et sur des expériences externes dans le monde », précise Guy Paquin, ingénieur civil et directeur général des stratégies et des projets spéciaux à la Société québécoise des infrastructures (SQI). « Les diagnostics sont subventionnés à 100 % par le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), et l’implantation subséquente est subventionnée à 50 %. »
Responsable de loger les ministères et organismes du gouvernement du Québec, la Société québécoise des infrastructures remplit deux mandats principaux : l’exploitation d’immeubles et la gestion de projets publics. Il y a déjà cinq ans, la société a envoyé un message clair, qu’elle réitère en 2021 : à travers la feuille de route du gouvernement, elle exige que, en collaboration avec l’industrie, les bâtiments d’une certaine envergure soient réalisés à l’aide du BIM à compter d’une date précise. Après avoir atteint et même dépassé sa première cible pour 2021 (l’objectif d’une dizaine de projets est devenu un exploit de près de 70), la SQI s’est assurée que tous ses projets de plus de 50 millions de dollars utilisent le BIM à compter du 1er avril 2021 et elle s’assurera que tous ses projets de plus de 5 millions le fassent à compter du 1er avril 2023.
Déterminés à faire entrer l’industrie de la construction dans le XXIe siècle, cinq importants donneurs d’ouvrage ont choisi de rejoindre la SQI, porteuse de l’initiative, soit la Ville de Québec, la Ville de Montréal, Hydro-Québec, le ministère des Transports du Québec (MTQ) et la Société d’habitation du Québec (SHQ). « La feuille de route du gouvernement vient démocratiser la transformation numérique et donner la cadence à l’ensemble de l’industrie pour offrir la chance aux entrepreneurs et aux professionnels de se doter des processus et des infrastructures technologiques afin d’embarquer dans le mouvement », souligne Guy Paquin.
Un entrepreneur motivé
N’ayant nul besoin d’être convaincu de la nécessité d’amorcer la transformation numérique, l’entrepreneur général Construction Durand, situé dans la région de Québec, oeuvre, au public comme au privé, en rénovation et construction neuve de bâtiments. « À la base, on cherche toujours à performer du mieux qu’on peut et à s’adapter aux changements en essayant de voir le futur », mentionne Gabriel Durand, vice-président et directeur des opérations. Pour lui et son équipe, il était clair que la transition numérique allait rendre leurs processus plus fluides et rapides. « On a cherché sur le Web et regardé les outils, les logiciels, les équipements qui peuvent augmenter la productivité. Tout est là, autour de nous, tout est accessible. Ce n’est pas si compliqué, il faut juste s’y intéresser », soutient-il.
À l’époque, n’étant pas au courant des subventions existantes et des aides gouvernementales, la compagnie a navigué seule, avec pour uniques guides le désir et l’intérêt de se moderniser. Aujourd’hui, elle est pour le moins connectée ! Elle utilise un logiciel qui lui permet de visiter le chantier, faire de l’analyse, comparer les maquettes de construction. « Après l’avoir adapté à notre entreprise, on a engagé une licence avec l’exploiteur pour pousser à un autre niveau tous nos projets », raconte le vice-président de Construction Durand. De plus, l’équipe travaille bien sûr avec le BIM. « On trouve ça vraiment excitant. Pour l’instant, à Québec, peu de donneurs d’ouvrage privés le font, mais la Ville de Québec, oui. Ce sont de super beaux projets, technologiques, uniques, complexes. » L’entreprise utilise aussi la plateforme Autodesk Build, qui favorise le partage de toute la documentation reliée aux chantiers avec tous les intervenants et conserve les plans à jour. Finalement, à ses heures, Gabriel Durand est aussi opérateur de drone. Avec son appareil, il capte des images aériennes de ses chantiers et fait l’inspection de ses bâtiments.
Le projet connecté de Construction Durand qui retient l’attention à l’heure actuelle est sans contredit la transformation de l’édifice F.X. Drolet. Il s’agit d’un bâtiment datant du début du XXe siècle que l’entrepreneur, assisté de la haute technologie, transforme en poste de police de quartier. « Les logiciels qu’on utilise nous permettent de préparer nos plans tels que construits, de comparer une image des installations en place avec une du futur, d’améliorer la communication entre tous les intervenants, de diminuer les pertes de temps dans le traitement de l’information, d’archiver les données des projets, d’accélérer la recherche d’informations et de documents en plus de faciliter la détection de problèmes à l’avance. »
Au revers des avantages, le virage numérique comporte aussi bien sûr son lot de défis ! Le problème principal que soulève Gabriel Durand ? « Les différents intervenants d’un même projet ne sont pas tous au même niveau dans l’industrie. C’est ça, le défi, c’est de convaincre les gens. En tant qu’entrepreneur général, il faut souvent coacher et être un leader. » Pour lui, nul doute, une fois le virage entrepris, impossible de vouloir revenir en arrière. « Il ne faut pas se demander combien ça coute si tu le fais, mais combien ça coute si tu attends d’être forcé de l’effectuer. » Le virage numérique en construction, ce n’est donc pas pour le futur, mais pour le présent.
Commander, concevoir et construire un projet demande au client, aux consultants, aux fabricants et aux constructeurs, qui ont chacun leur rôle respectif, de prendre plusieurs décisions au fil de la réalisation. Méthode plus collaborative, le contrat relationnel facilite le bon développement et le bon déploiement du BIM et des autres technologies afin d’atteindre un maximum de bénéfices. C’est ce qu’on appelle une livraison de projet intégrée ou, en anglais, integrated project delivery. « Au Québec, on commence tout juste à considérer ces contrats, explique Ivanka Iordanova, mais il y a plusieurs exemples dans le monde où des donneurs d’ouvrage publics l’utilisent et sont satisfaits des résultats. »
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2021. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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