Changer le visage de la construction une brique à la fois

1 avril 2025
Par Roxanne Caron

Le District Artwater à Verdun a permis de détourner 100 000 briques de l’enfouissement lors de la déconstruction de bâtiments sur le site visé. Une prouesse qui représente à ce jour la plus importante initiative de recyclage de briques au Québec.

Ce projet d’habitation prendra place au coeur d’Hickson- Dupuis, à Verdun, et vise à changer le visage de ce secteur industriel en un milieu de vie multigénérationnel, accueillant et inclusif, fait savoir Claudia Dupuis, copropriétaire de District Atwater avec son conjoint Alexandre Forgues, qui sont originaires de l’arrondissement et y habitent avec leurs enfants.

 

Les trois lots contigus acquis par l’entreprise permettront la construction de trois bâtiments de six à huit étages qui comprendront environ 500 logements locatifs, dont 20 % d’entre eux seront abordables. Avec un taux d’inoccupation de 0,6 % et très peu de logements sociaux bâtis depuis 2004 à Verdun, il s’agit d’un nouveau souffle pour l’arrondissement, qui verra les premiers locataires de ce projet arriver en 2027.

 

Le site proposera des logements allant du studio à l’unité familiale, ainsi qu’une cinquantaine d’ateliers-lofts conjuguant espaces de travail et de vie. « Ce concept n’existait pas ailleurs au Québec. Les ateliers-lofts permettent aux gens d’avoir leur entreprise à même leur unité d’habitation, grâce à une section réservée pour recevoir leurs clients », souligne Claudia Dupuis, qui ajoute que ce type d’usage n’existe pas partout à Montréal.

 

Il est également projeté de rendre accessibles des commerces de proximité au rez-de-chaussée. Dans la foulée, 200 logements sociaux sortiront de terre au sein du même quadrilatère, grâce à un terrain acheté par la Ville de Montréal. Selon Claudia Dupuis, ce projet évalué à 100 M$ se distingue par son approche basée sur le développement durable et communautaire qui passera, entre autres, par l’aménagement d’espaces publics pour différentes animations. L’art y occupera également une place prépondérante.

 

Le déploiement de l’agriculture urbaine sur le toit des ateliers- lofts, où l’on prévoit 15 000 pi2 de plantations, permettra la croissance d’un couvert végétal soutenant la biodiversité. « On a voulu offrir l’abordabilité au-delà des logements », dit Claudia Dupuis. De plus, 60 % de la superficie du projet est réservée au verdissement et à la résilience climatique.

 

Une déconstruction à grande échelle

Outre ces initiatives vertes, une autre se distingue par son caractère novateur. Lors de la déconstruction de deux bâtiments établis sur le site de 160 000 pi2, pas moins de 235 000 kg de bon matériau ont été détournés de l’enfouissement grâce à la récupération de 100 000 briques d’argile sur un total de 500 000. Brique Recyc est derrière ce tour de force.

 

De gauche à droite : Tommy Bouillon, président de Brique Recyc, ainsi que Claudia Dupuis et Alexandre Forgues, copropriétaires de District Atwater. Crédit : Courtoisie

 

Son président et fondateur, Tommy Bouillon, a développé une machine portative dotée d’une scie diamant, guidée par un système de lasers, qui permet de dégarnir le mortier de la brique et de nettoyer 500 briques à l’heure sans utiliser la percussion, conservant ainsi la propriété et l’intégrité du matériau. « Le mortier résiduel qui retient la brique à la structure fait en sorte que c’est moins cher et moins long de tout jeter et de recommencer avec de la brique neuve. Je trouvais que ça n’avait pas de sens », confie Tommy Bouillon, qui a lancé une première version de cet appareil électrique en 2021.

 

Le projet District Artwater représente la première utilisation de la technologie Brique Recyc à une aussi grande échelle. En effet, dans ce cas-ci, il fallait réussir à revitaliser un grand volume de briques en évitant le plus de perte possible, et ce, sans ralentir le chantier. « La prouesse dans ce projet-là, et qui est une première dans le domaine de la construction, c’est de conserver 100 000 briques dans une déconstruction à la pelle mécanique », précise Tommy Bouillon. Au final, l’opération a évité la création de près de 130 tonnes de CO2.

 

« Avant, tout ce que nous avions réussi à faire c’était manuel, c’est-à-dire des bâtiments existants pour lesquels on récupérait la brique pour la rénovation du même bâtiment ou lors de plus petites démolitions avec un maximum possible de 15 000 briques récupérées », souligne Tommy Bouillon. Un total de 15 000 briques seront réutilisées pour le design intérieur des ateliers-lofts, tandis que les 85 000 restantes serviront pour d’autres projets à Montréal.

 

Des avantages écologiques et économiques

« Habituellement, si on veut recycler un mur brique par brique, nettoyer et réutiliser les mêmes matériaux, ça correspond à plus de 760 heures pour le réemploi manuel des briques pour un mur de 1 000 pi2, explique Tommy Bouillon. Mais actuellement, c’est trop de temps et ça coûte trop cher. Donc on jette tout et on recommence en neuf avec de nouveaux matériaux, et faire ça, ça prend 600 heures de travail. »

 

En implantant la machine sur un chantier, le travail de réemploi de la totalité des briques s’effectue plus rapidement, soit en 440 heures, et requiert moins de main-d’oeuvre. L’appareil doté d’une intelligence de calcul permet de calculer le nombre de briques nettoyées et d’estimer en temps réel la quantité d’émissions de gaz à effet de serre (GES) évitée grâce à son compteur intégré, précise Tommy Bouillon, fier de montrer qu’il est possible de construire de manière écoresponsable en réutilisant des matériaux et en évitant l’enfouissement de la brique en bon état.