Les ruelles bleues-vertes, en absorbant une partie des eaux pluviales, rendent de nombreux services écologiques en plus de désengorger les réseaux d’égouts municipaux. Pour qu’elles puissent prendre leur essor, il faudra toutefois lever certains obstacles financiers et réglementaires.
Par ses arbres, ses arbustes et ses vivaces, la ruelle bleue-verte se distingue peu, à première vue, d’une ruelle verte. Elle joue toutefois un rôle supplémentaire : la gestion durable des eaux de pluie. Concrètement, il s’agit de déconnecter du système d’égouts les drains des toits plats des immeubles pour amener l’eau dans les cours arrière et les ruelles. Cela permet de diminuer l’engorgement des égouts municipaux — et par conséquent les épisodes de surverses, de débordements ou d’inondation — particulièrement lors de précipitations abondantes.
La première étape pour aménager un tel ouvrage consiste à déconnecter les drains, ce qui exige principalement des travaux mécaniques et de plomberie. Les drains seront ensuite remplacés par des gouttières qui achemineront l’eau par gravité vers des bassins de biorétention. Ces derniers sont composés de terreau, de paillis et de végétaux. Au fond, on peut aussi trouver des drains, des regards d’égout et des puisards servant à évacuer le surplus d’eau que le sol ne parvient pas à absorber. « En soi, ce sont des ouvrages assez simples qui miment le plus possible ce que fait la nature », souligne Pascale Rouillé, urbaniste et présidente des Ateliers Ublo.
Des défis surtout humains
Bien qu’il s’agisse d’infrastructures peu complexes, elles comportent tout de même quelques défis techniques. Par exemple, un ingénieur civil devra dimensionner et positionner les ouvrages en fonction des volumes d’eau à traiter, mais aussi des volumes qu’il est permis de rejeter dans le réseau d’égouts selon la réglementation municipale en vigueur. Les ruelles bleues-vertes seront également conçues en partenariat avec un architecte paysagiste, un urbaniste, un biologiste et des citoyens. Ces derniers sont d’ailleurs au coeur de la démarche : ils seront consultés pour connaître leurs souhaits et leurs besoins (mobilité, accessibilité universelle, etc.).
Ce type de projet se démarque par son approche de mutualisation, c’est-à-dire la participation de plusieurs partenaires, dont des propriétaires privés et des arrondissements. Ces deux entités devront se partager non seulement les coûts, mais aussi les responsabilités, notamment au chapitre de l’entretien des plantes. L’adhésion des propriétaires peut aussi représenter un défi parce que les travaux effectués sur leurs immeubles sont souvent assez invasifs. « Il faut toujours se rappeler, quand on commence ce genre de démarche, que la communication va être extrêmement importante. Il doit donc y avoir des canaux de communication très solides et assez fréquents pour permettre d’établir cette relation-là et d’apprendre à travailler ensemble », indique Vincent Ouellet Jobin, chargé de projet et développement au Centre d’écologie urbaine de Montréal.
Avantages économiques et environnementaux
Les ruelles bleues-vertes ont comme avantage d’éviter des coûts reliés à la réfection et l’agrandissement du réseau municipal de gestion des eaux. « Dans un contexte où le réseau d’égouts à la Ville de Montréal fonctionne déjà à pleine capacité, on a des surverses à chaque événement de 10 millimètres de pluie environ, explique Vincent Ouellet Jobin. Donc en enlevant de l’eau au système, on participe à la réduction du nombre de surverses, ce qui permet aussi d’épargner des travaux de réseaux d’égout. »
En outre, grâce aux végétaux et à leur système racinaire, les bassins de biorétention traitent l’eau qui s’y infiltre; ils la débarrassent de certains polluants et de matières en suspension. Ce sont donc des ouvrages qui permettent de gérer à la fois quantitativement et qualitativement les eaux pluviales. Ces aménagements contribuent également à la réduction des îlots de chaleur et à la création d’habitats pour la faune. « Et si jamais le projet arrivait à s’étendre, on pourrait imaginer bien plus que des habitats : des corridors fauniques et floristiques, des trames vertes et bleues », rêve Pascale Rouillé.
Des incitatifs financiers et réglementaires
À priori, une ruelle bleue-verte pourrait être implantée n’importe où. Le premier projet pilote à voir le jour à Montréal est celui du Bâtiment 7, un édifice quasi commercial de Pointe-Saint-Charles. Son aménagement a été facilité par le fait qu’un seul propriétaire est impliqué, mais il serait possible d’étendre le modèle à une ruelle typique qui dessert plusieurs duplex et triplex. Vincent Ouellet Jobin fait remarquer que d’autres lieux pourraient servir à gérer les eaux pluviales, par exemple des places publiques comme celle des Fleurs-de-Macadam sur l’avenue du Mont-Royal, qui aurait pu recueillir l’eau des bâtiments situés à proximité. Pascale Rouillé entrevoit aussi l’utilisation de parcs, de rues ou de stationnements.
Pour que de tels projets puissent se multiplier, les deux experts conviennent qu’une réglementation adéquate doit être mise en place, notamment pour permettre le partage d’infrastructures entre le domaine privé et le domaine public. Montréal l’a fait avec son règlement 20-030 et d’autres villes pourraient s’en inspirer. La présidente des Ateliers Ublo mentionne également l’importance de l’exemplarité et d’avoir davantage de projets pilotes comme celui de Pointe-Saint- Charles pour apaiser les craintes des gens qui pourraient être intéressés, mais qui se questionnent par exemple sur l’entretien et la pérennité d’un tel ouvrage.
Il pourrait aussi être opportun d’imposer l’aménagement de ruelles bleues-vertes aux propriétaires d’immeubles projetés, plus faciles à réaliser que pour des immeubles existants. « Pourtant, les bâtiments déjà construits sont ceux qui vont participer le plus à la surcharge de nos réseaux d’égouts municipaux. Donc il y a une urgence d’agir sur le cadre bâti existant, mais à l’heure actuelle, la réglementation ne donne pas trop de prise pour y arriver. Et en plus de ça, on n’a pas d’incitatif financier pour inciter les propriétaires à aller de l’avant », se désole-t-elle. Nul doute qu’il reste beaucoup de chemin à faire avant de voir de tels projets prendre racine dans tous les quartiers.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
Ce sujet pique votre curiosité ? Lisez tous les articles du dossier INFRASTRUCTURES ET GRANDS TRAVAUX 2023 :
- Chantier du REM : ADM mise sur le zéro déchet
- Délais sur les chantiers : l'importance de la polyvalence et de la prévisibilité
- Pont Gouin : un défi relevé
- Hydro-Québec : créativité et innovation pour surmonter les défis
- Le projet de réhabilitation du chemin de fer de la Gaspésie sur les rails
- Passerelle Royalmount : imposante structure d’acier et de verre
- Tunnel L.-H.-Lafontaine : récupérer l’eau de l’hydrodémolition
- Pour en finir avec les cônes orange
- Des infrastructures nordiques menacées par le réchauffement climatique