Représentant une expertise particulière du domaine de la construction, la réfection patrimoniale comporte ses propres enjeux. Quels sont-ils exactement et comment les spécialistes en la matière composent-ils avec ceux-ci ?
Si, pour plusieurs, « patrimonial » égale « vieux », la réfection patrimoniale ratisse plus large que l’on pense. « Dans la majorité des cas, ce sont de vieux bâtiments, certes, mais ce n’est pas que ça », explique Pascal Alarie, architecte associé chez C2V Architecture, spécialiste en conservation de l’environnement bâti et professeur à la maitrise à l’Université de Montréal. « Les bâtiments patrimoniaux reflètent une façon de construire, des vagues d’immigration, l’histoire du développement des villages, les personnages importants ou les moments de l’histoire. »
Il y a donc le patrimoine ancien, mais aussi le plus récent, qu’on appelle le patrimoine moderne, contemporain. Pour l’architecte, il va de soi qu’il est primordial de conserver tous ces types de bâtiments : « Nous sommes des héritiers temporaires de certaines connaissances acquises au fil des recherches, des travaux. Cette connaissance, nous la transmettrons éventuellement à la prochaine génération. L’évolution du cadre bâti a une signification, elle permet de comprendre comment on vivait, comment on s’est transformé; elle est génératrice de sens. »
Faire du neuf avec du vieux
Dans le domaine de la réfection, restauration, rénovation, réparation, préservation, conservation sont loin d’être synonymes. « Chacun a une définition bien différente. La préservation, c’est qu’on va essayer de conserver en s’assurant que tout est correct. La restauration, ça veut dire que la préservation n’avait pas été faite, alors on va venir réparer mais comme c’était. D’autres projets comportent une portion de restauration et une autre de rénovation, c’est-à-dire qu’on viendra aussi modifier des éléments. » Les entrepreneurs spécialisés doivent donc savoir maitriser les techniques, les matériaux et les méthodes de construction à la fois antérieures et actuelles.
Et quelle que soit la façon de procéder choisie (préservation, restauration, rénovation, etc.), il faut aussi connaitre les normes et réussir à trouver non seulement les matériaux, mais la main-d’oeuvre apte à travailler avec ces techniques et ces matières.
L’objectif est toujours de réutiliser les matériaux existants, mais ce n’est pas toujours possible à cause de la détérioration de certains. Les remplacer requiert parfois de procéder à des commandes spéciales. Pour le bois, obtenir un fini à l’herminette comme on le faisait dans le temps devient tout à fait possible. « Pour la pierre, si celle utilisée à l’époque n’est plus disponible, il faut trouver un substitut compatible et ressemblant. Des guides existent, et il y a plusieurs colloques internationaux qui sont mis de l’avant justement pour dégager une espèce de consensus sur le choix de certains matériaux de substitution », mentionne Pascal Alarie. « Mais ce qui est le plus grand défi pour nous, c’est d’être capable de traduire notre volonté dans la documentation, pour être capable d’aller cibler la main-d’oeuvre appropriée. »
Obtenir la pierre n’est donc pas si problématique, le problème réside plutôt dans le dénichement du bon tailleur, celui qui connait bien cette pierre et qui est capable de la livrer dans les délais.
Il va sans dire que les défis sont nombreux pour les spécialistes de la réfection patrimoniale, surtout dans une ère où repartir de zéro est beaucoup plus simple, rapide et souvent moins couteux. « Il faut développer un certain niveau de patience quand on travaille avec le patrimoine versus le neuf. Ça prend beaucoup de temps au début pour comprendre le projet, beaucoup d’heures à lire, à faire des relevés, à passer du temps dans la nacelle, dans la grue, à faire des expertises avec des maçons ou des menuisiers pour comprendre le bâtiment existant dans ses moindres détails », souligne Pascal Alarie.
« J’ai beaucoup de respect pour des professionnels qui réussissent à faire des plans et devis pour venir travailler sur quelque chose d’existant qu’ils ne connaissent pas au complet », renchérit Ian Lapostolle, vice-président, associé et directeur de projets chez St-Denis Thompson. « C’est toujours des hypothèses. Par exemple, quand on vient faire la maçonnerie, on vient réparer, remplacer des pierres, il faut être conscient du risque que ça peut poser sur la structure. Et quand on se met les deux mains dedans, c’est souvent différent, et on doit refaire notre plan de match, réajuster nos hypothèses en cours de route. »
Réfection d’urgence
L’expertise des professionnels de la réfection patrimoniale est aussi souvent requise à des fins d’inspection d’espaces ou de bâtiments protégés. On leur demande alors de sécuriser, solidifier, consolider des bâtisses ou des portions de bâtisses pour s’assurer qu’elles puissent être ensuite restaurées ou réparées, dans un second temps. « Maintenant, avec la loi 122, les propriétaires se doivent d’inspecter les bâtiments en hauteur, ils font ces inspections et ça nous amène à voir des situations et à aborder tout de suite les problèmes, par exemple en consolidant des pierres ou des façades qui menacent de tomber », avance Ian Lapostolle. Dans de tels cas de figure, les équipes doivent bien entendu être très coordonnées. « Il faut savoir les limites de nos disciplines respectives afin de pouvoir les marier les unes aux autres. Ce qui est important de faire, c’est le geste juste », termine Pascal Alarie. De son côté, Ian Lapostolle remarque qu’aujourd’hui plus qu’avant, les gens sont conscients de la valeur du patrimoine, et il s’en voit réjoui. En effet, les gouvernements, à différents paliers, ont mis en place des systèmes et des procédures pour assurer la préservation du patrimoine, et cela ne peut être qu’une bonne nouvelle.
Rue Drummond, à Montréal, se dresse l’un de ces charmants bâtiments patrimoniaux de la métropole québécoise. S’il se tient bien droit et fort aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas. Il n’y a pas si longtemps, on notait un affaissement de huit pouces dans le sol. Une étude plus poussée des lieux a permis de constater que les vieux pieux de bois étaient pourris. « Une portion baissait et, à la jonction de là où c’était encore stable, ça fracturait », explique Ian Lapostolle. St-Denis- Thompson a alors proposé à son client, un peu en panique, de démonter la façade, les plafonds et les planchers, qui consistaient tous en des éléments à forte valeur patrimoniale. « C’est un bâtiment relativement petit mais complexe », ajoute l’associé. En effet, chaque pièce est faite d’un bois exotique différent et à préserver. Panneaux de bois, portes, moulures, tapisseries devaient donc être conservés. L’entrepreneur a d’abord sécurisé le bâtiment, l’a stabilisé, a mis des poteaux et tout un système d’étaiement. Résultat ? Le Mount Stephen Club a été redressé de sept pouces ! Rattraper le dernier pouce aurait causé des dommages trop sévères.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Bâtiment 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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