Des infrastructures nordiques menacées par le réchauffement climatique

1 août 2023
Par Mathieu Ste-Marie

Le dégel du pergélisol aura de graves conséquences aux infrastructures nordiques si rien n’est fait dans les prochaines années. Alors que le Nord-du-Québec accélère son développement, une chaire de recherche s’attarde à trouver des solutions pour concevoir, construire et entretenir les routes en milieux polaires.

Dans les régions nordiques, comme le Nunavut, presque tous les bâtiments et les infrastructures sont construits sur le pergélisol. Ce type de sol est une bonne fondation pour la construction d’infrastructures… tant qu’il ne fond pas. Et c’est ce qu’anticipent les experts. Selon une étude du Centre américain de recherche atmosphérique (NCAR), jusqu’à 90 % du pergélisol des régions polaires du Canada, de la Russie et de l’Alaska pourrait disparaître d’ici 2100. Le pergélisol, qui se maintient à une température égale ou inférieure à 0 degré durant au moins deux années consécutives, a d’ailleurs déjà commencé à dégeler à cause des changements climatiques, ce qui fait craindre le pire pour les infrastructures.

 

« Souvent, le pergélisol est riche en glace et s’il dégèle, il va se transformer en eau, ce qui peut rendre les infrastructures instables et causer des conséquences majeures. Par exemple, une route peut carrément disparaître et un bâtiment peut subir un tassement du sol. C’est un énorme défi », explique l’ingénieur Jean-Pascal Bilodeau, professeur au Département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur les infrastructures nordiques. Cette chaire a été lancée l’automne dernier en partenariat avec Sentinelle Nord.

 

Un enjeu économique

Ce tassement peut mener à l’affaissement des bâtiments. De plus, la fonte du pergélisol pourrait causer d’énormes trous dans la route ou carrément la faire céder sous le poids des camions à lourdes charges qui sont nombreux à emprunter les chemins du Nord pour approvisionner les communautés.

 

Keith Lévesque, directeur général de Sentinelle Nord. Crédit : Dany Vachon

 

« C’est un enjeu qui peut également entraîner des conséquences au niveau économique », observe Keith Lévesque, directeur général de Sentinelle Nord, une organisation qui regroupe un vaste réseau de chercheurs. En effet, avec la relance du Plan Nord par Québec, les projets énergétiques et miniers, entre autres, n’ont jamais été aussi nombreux dans cette région. La fiabilité, la durabilité et la sécurité des routes deviennent alors primordiales pour son développement économique.

 

Simuler le passage d’un poids lourd

Il est donc nécessaire de développer de nouvelles technologies afin de trouver des solutions au dégel du pergélisol qui représente une véritable menace aux infrastructures. C’est ce à quoi s’attaque Jean-Pascal Bilodeau et son équipe de chercheurs dans son laboratoire, le seul du genre au Canada et un des seuls dans le monde.

 

Pour ce faire, ces experts utilisent un simulateur de véhicules lourds qui permet de simuler leur passage sur plusieurs années en quelques semaines seulement. « Nous installons une grosse remorque de camion sur le simulateur et lui faisons faire plusieurs milliers de passages par jour. En quelques mois de travail, nous pouvons imiter le vieillissement d’une route qui peut représenter des années de vie en temps réel », explique l’ingénieur.

 

L’ingénieur Jean-Pascal Bilodeau, professeur au Département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur les infrastructures nordiques. Crédit : Dany Vachon

 

De plus, le simulateur, qui peut être utilisé tant dans le laboratoire que sur le terrain, permet de contrôler l’environnement climatique de la chaussée d’essai grâce à un système de contrôle de la température. « Si je veux geler la chaussée du simulateur ou si je veux qu’elle soit très chaude, je peux le faire. Ce qui va causer l’endommagement d’une route, c’est l’action du climat combinée à celle du passage des poids lourds », note Jean-Pascal Bilodeau. Ces deux éléments font la vie dure aux routes, particulièrement en climat nordique.

 

Le simulateur de véhicules lourds offre l’occasion aux chercheurs de développer leurs connaissances sur les mécanismes et les facteurs affectant la performance des chaussées construites sur le pergélisol. Cela permettra la conception de meilleures routes et l’utilisation de différents matériaux mieux adaptés aux conditions climatiques du Nord.

 

Mieux connaître le sol

En plus de mieux concevoir une route nordique, les chercheurs développent des outils qui permettront de détecter les secteurs de sol sensibles et de les caractériser. « Par exemple, nous voudrions savoir si le pergélisol est riche ou pauvre en glace. En ayant cette information, cela permettrait de limiter la perturbation thermique du sol », souligne Jean-Pascal Bilodeau. Précisons qu’un pergélisol pauvre en glace occasionne des conséquences mineures à la structure comparativement à un sol riche en glace.

 

De plus, les chercheurs sont en train de développer des capteurs qui seraient intégrés sur les chaussées et permettraient d’obtenir les informations sur l’état structurel des routes. En ayant ces informations, les travaux d’entretien seraient davantage ciblés.

 

D’autre part, l’ingénieur s’intéresse aux technologies des revêtements de route, dont le revêtement routier clair qui vise à abaisser la température du sol. « L’asphalte absorbe beaucoup de chaleur et ce n’est pas souhaitable lorsqu’il y a du pergélisol. Le revêtement clair vient limiter l’absorption de chaleur », indique Jean-Pascal Bilodeau. En effet, ces revêtements réfléchissent une plus grande partie de l’énergie solaire et s’échauffent donc moins que les revêtements conventionnels.

 

Une pièce du casse-tête

Selon Keith Lévesque, les connaissances acquises par l’équipe de chercheurs permettront de mieux développer le Nord et de répondre aux besoins des communautés nordiques. Ils n’y parviendront toutefois pas seuls. Près de 200 chercheurs dans 75 projets de recherche travaillent au développement de nouvelles technologies visant notamment à répondre aux changements climatiques dans les environnements nordiques.

 

Entre autres, une chaire de recherche s’intéresse principalement à la fonte du pergélisol et viendra bonifier les travaux de Jean-Pascal Bilodeau grâce à un travail de collaboration. « Chaque équipe va être capable de fournir sa pièce du casse-tête afin de mieux comprendre les changements qui s’opèrent dans le Nord et les conséquences environnementales, sociologiques et économiques », termine Keith Lévesque.

 

TRAVAILLER DANS LE NORD : PAS POUR TOUT LE MONDE

La Belgique se démarque avec une augmentation de productivité entre 2000 et 2015 s’élevant à 32 % dans le domaine de la construction. Voici quels seraient les principaux facteurs de réussite :

Si un entrepreneur souhaite décrocher des contrats en milieu nordique, il doit avoir une certaine expertise, estime Jean-Pascal Bilodeau.

« Cela demande une très bonne logistique, plus de planification, des équipements qui vont être déployés sur une longue période et qui seront parfois transportés par bateau. C’est une autre game et ce n’est pas toutes les entreprises qui sont équipées pour y travailler. »

De plus, certains facteurs, indépendants de la bonne volonté des entrepreneurs, compliquent la réalisation des travaux dans le Nord. Par exemple, l’accès difficile à certains sites rend ardus l’envoi de matériaux et le déploiement des travaux. De plus, le manque de main-d’oeuvre, un phénomène bien connu dans le domaine de la construction, est encore plus important dans cette région éloignée. Finalement, la moins grande accessibilité à de bons matériaux a pour effet de retarder les travaux.