Alors que plusieurs barrages hydroélectriques sont vieillissants, une technologie unique au monde permet de détecter avec grande précision les défauts dans ces infrastructures et, ainsi, de prolonger de plusieurs décennies leur vie utile.
Il y a quelques années à peine, Hydro-Québec faisait appel à des plongeurs pour effectuer des relevés sous-marins dès qu’une fuite d’eau ou un coincement de vannes ou de poutrelles étaient suspectés malgré tous les risques inhérents à cette manoeuvre. En effet, ces scaphandriers travaillent dans des conditions extrêmes où ils doivent défier des courants puissants et une eau glaciale, en plus de devoir se rendre à certaines occasions dans des espaces restreints ou des zones très profondes.
Malgré leur courage et leur bonne volonté, les résultats de leurs recherches ne sont pas toujours optimaux. « Les plongeurs vont chercher seulement quelques points sur la pleine hauteur de la structure. Nous avons donc pensé à une façon d’obtenir des données plus précises », raconte Guillaume Boivin, ingénieur de recherche en robotique chez Hydro-Québec.
Comme la détermination de l’état réel des ouvrages immergés représente un défi de taille, l’ingénieur et son équipe de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ) ont amorcé, dès 2013, le développement d’une technologie qui permettrait d’obtenir une cartographie 3D des parois des barrages ainsi que des rainures de vannes et des poutrelles. C’est dans cette optique que Wirescan a vu le jour. Facile à transporter et à installer, cette technologie novatrice brevetée fournit des données essentielles pour repérer la moindre anomalie grâce à une numérisation laser de haute précision, même dans les lieux hostiles, tels que des eaux troubles et des espaces exigus. Surtout, elle est utilisée sans l’aide de plongeurs.
« Cette technologie combine la puissance d’acquisition des lasers à la précision de la verticalité des fils à plomb. Grâce à celle-ci, nous pouvons faire des balayages verticaux pour avoir l’ensemble de la structure. Ensuite, avec nos logiciels nous pouvons faire une reconstruction 3D et interpréter les résultats », explique Guillaume Boivin. Selon lui, une technologie qui permet un très haut degré de précision était essentielle pour Hydro-Québec, notamment pour vérifier la planéité des guides de vanne. La mesure de la planéité, souvent difficile à aller chercher avec les plongeurs, est nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de l’ouvrage. « Les défauts de l’ordre d’un ou de deux millimètres peuvent générer des coincements de vanne. Avec le temps, le béton va gonfler et va faire des distorsions dans le plan de levage. »
Avoir l’heure juste
Pour son collègue, Maxime Godin, délégué principal au développement des affaires à l’IREQ, la précision du Wirescan permet d’avoir l’heure juste et de réellement déterminer le projet de réfection nécessaire pour maintenir l’ouvrage en fonction pendant plusieurs années. « Ce système nous permet d’éviter de trop investir puisqu’il y a des situations où il faut seulement faire un petit correctif, sans changer le béton, par exemple. Avant, lorsque nous ne réussissions pas à détecter le problème, nous avions tendance à faire une réfection complète pour assurer la sécurité de nos barrages », explique-t-il.
L’arrivée de cette technologie unique sur le marché s’inscrit dans un contexte où plusieurs des 688 barrages d’Hydro- Québec sont centenaires et éprouvent des problèmes de fuite. « Nous sommes en constante réfection de nos ouvrages, mais avant de procéder à ces travaux, il faut savoir quels sont les problèmes. Maintenant, nous sommes en mesure de cibler les situations problématiques et de prendre les bonnes décisions », explique à son tour Guillaume Boivin.
« Cette technologie n’est toutefois pas un outil que l’on veut utiliser de façon systématique, poursuit-il. Il y a toujours des indices qui nous amènent à l’utiliser. Par exemple, nous allons faire une inspection lors d’efforts anormaux au niveau du levage des vannes ou lorsqu’il y a des fuites. »
Chez Hydro-Québec, cette innovation est utilisée sur les équipements de production hydroélectrique, dont les rainures de vannes, les linteaux de vanne et les piles de barrage, ainsi que sur les écluses. Or ce système, qui mesure à sec ou sous l’eau la géométrie des surfaces et des longs profilés verticaux, pourrait servir sur toutes surfaces verticales, souligne-t-il.
En route vers la commercialisation
Plus de cinq ans après le début de son utilisation, le Wirescan est prêt à prendre d’assaut le marché mondial. Pour vendre ce produit, Hydro-Québec a signé une entente de commercialisation avec ASI Services techniques l’an dernier. L’entreprise basée en Ontario, mais également installée aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Europe de l’Ouest, est un chef de file dans les travaux d’inspection, d’entretien et de réparation sous l’eau. Directeur général d’ASI pour le marché francophone, Martin Beaudry estime que cette innovation répond à un réel besoin. « Tous les barrages dans le monde ont besoin de subir des inspections et actuellement, les autres producteurs d’énergie hydroélectrique n’ont pas accès à une technologie équivalente pour réaliser leurs inspections », observe-t-il.
Maxime Godin abonde dans le même sens : « C’est un produit niché et le marché n’est pas énorme, mais c’est un produit qui est unique au monde, donc nous avons un avantage concurrentiel. » Actuellement, la plus grande concurrence dans ce secteur d’activité réside dans les données prises par les scaphandriers. Or, Hydro-Québec s’est donné comme objectif de ne plus utiliser les plongeurs après 2028.
Jusqu’à présent, le Wirescan a suscité l’intérêt de plusieurs entreprises de différents pays qui cherchent à réduire leurs demandes aux scaphandriers. Certaines sont situées en France, un pays comptant plusieurs canaux et écluses. Des entreprises de l’Ouest canadien et des États- Unis, où sont situés de nombreux barrages hydroélectriques, ont également fait part de leur intérêt pour cette technologie québécoise.
Le travail des plongeurs est dangereux et peut parfois virer au drame. En 2000, une scaphandrière qui procédait à l’inspection vidéo de la paroi de la cloison d’un barrage d’Hydro-Québec dans la rivière des Outaouais a été aspirée dans l’entrée d’une caverne présente dans le bief d’amont. Les premiers répondants ont mis près de deux heures à remonter la femme dans la vingtaine, qui est décédée. Quatre ans plus tard, un plongeur s’est rendu en amont d’une vanne de la Chute-Blanche dans une municipalité du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour le compte d’une entreprise de construction. L’homme dans la cinquantaine, qui faisait une vérification pour déterminer ce qui empêchait la vanne de se fermer complètement, est resté coincé dans la zone de succion. Lorsqu’il est remonté à la surface, le délai d’autonomie de sa bouteille d’air était épuisé. Il était malheureusement déjà trop tard.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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