Génie civil et BIM : des synergies méconnues pour une gestion de projet optimisée

4 juillet 2024
Par Benoit Poirier

Le Building Information Modeling (BIM) est maintenant bien implanté dans le secteur du bâtiment, auquel on l'associe tout naturellement. Pourtant, le domaine du génie civil a recours à des méthodes de gestion de projets similaires à celles du BIM depuis des décennies.

« Si on n’en n’entend pas parler, c’est peut-être parce qu’on l’utilise depuis longtemps », lance d’emblée Alain Beaumier, directeur BIM et Innovations de Construction, Division Civil et Mines chez EBC. « Dans le génie civil, nous sommes habitués de travailler de cette manière-là, très en amont. Parce qu’il n’y a pas de place pour l’improvisation. Il faut s’assurer de ne rien oublier. Une fois que le béton est coulé, c’est fini »! »

 

Même écho d’Erik Poirier, professeur au Département de génie de la construction, à l’École de technologie supérieure (ÉTS). « C’est juste qu’on ne l’appelait pas BIM. Je dirais toutefois qu’effectivement, en termes d’utilisation des outils de représentation graphique, le transfert des plans et devis en 2D vers des modèles 3D, c’est clair qu’en infrastructure civile c’est plus récent. » Lors du prolongement du métro à Laval, relate Alain Beaumier, l’idée était de transposer en trois dimensions les dessins 2D des ingénieurs pour vérifier les interférences potentielles et éviter les problèmes. « Ça fait 20 ans, tout ça. Ce n’est plus comme ça aujourd’hui. »

 

Erik Andrew Poirier, professeur au département de Génie de la construction, à l'École de technologie supérieure. Crédit : Gracieuseté

 

Ce qui est nouveau et très intéressant, ajoute Erik Poirier, c’est la représentation tridimensionnelle pour de grandes distances, pour un projet de route, par exemple. « C’est sur un territoire. Ça c’est la différence fondamentale entre le bâtiment puis le génie civil. » En raison de la teneur et de la complexité des travaux, Alain Beaumier est d’avis que les principaux bénéfices reliés au BIM et à la modélisation 3D dans le secteur civil résident moins dans la finalité des ouvrages que dans ce qui les compose tout comme dans la façon de les ériger. Par exemple, pour le calcul du nombre de mètres cubes de béton requis pour un coffrage donné avec une plus grande précision dans les bons de commande.

 

Cela se nomme le 5D, soit l’adjonction des budgets et des échéanciers à la modélisation 3D, permettant une planification beaucoup plus précise, et ce, au fur et à mesure de l’avancement d’un projet. « Si nous regardons tous les projets majeurs au Québec, que ce soit le tunnel Louis-Hippolyte– La Fontaine, Turcot, le pont Samuel-De Champlain, le REM, le pont de l’île d’Orléans, tous ont été ou sont modélisés », note Erik Poirier.

 

Des atouts de taille

Erik Poirier croit que l’un des principaux avantages de ce mode de gestion sur les chantiers est d’associer le BIM à un système d’information géographique (SIG). La localisation spatiale, la collecte, la gestion, l’analyse des données et les simulations dans un contexte d’automatisation « devraient en théorie rendre les chantiers plus sécuritaires. Ce qui est intéressant du côté des infrastructures civiles, c’est toute l’automatisation aussi de la machinerie. Parce que nous pourrons mieux planifier les travaux, optimiser les chantiers, réduire les pertes de temps, clarifier les déviations et mieux anticiper les fermetures. Le potentiel est vraiment là. »

 

En plus de la santé-sécurité – pour laquelle ces nouveaux outils ont un apport très important sur les chantiers et auraient permis d’éviter des accidents tragiques, se désole Alain Beaumier –, le directeur de projets chez EBC estime que l’on peut vraiment apprécier la pleine mesure du BIM dans un contexte collaboratif, car il amène à ne plus penser en vase clos. « C’est une base de données commune à laquelle tout le monde a accès. Aujourd’hui, ce qui est en train de changer dans la culture du BIM, c’est la collaboration. Quand certains disent que le BIM est une transformation numérique, ils font fausse route. » C’est comme de laisser ton auto et d’emprunter le transport en commun, illustre-t-il.

 

Alain Beaumier, directeur BIM et Innovations de construction, division Civil et Mines, chez EBC. Crédit : Gracieuseté

 

Il y va de sa propre définition du BIM qui constitue « une volonté de collaborer de manière différente, en utilisant la technologie et des processus renouvelés qui visent à éliminer les silos traditionnels de la construction et selon lesquels les enjeux liés à la conception sont souvent isolés de ceux liés à la construction de l’ouvrage et à son exploitation ultérieure ». Faisant une analogie avec un « potluck », qui permet de goûter à des mets culinaires qu’on ne découvrait pas autrement, il donne l’exemple du nouveau pont Samuel-De-Champlain, projet pour lequel il était chef estimateur. Étant arrivé sensiblement au même coût lors de l’évaluation du recours soit au béton, soit à l’acier, l’équipe de conception a inopinément choisi d’utiliser les deux matériaux à la fois. De plus, la construction a été réalisée en un temps record, rapporte-t-il.

 

Tasse-toi mononcle

Certes, résistance il y a. Chez certains grands donneurs d’ouvrage, « c’est comme si on cherchait une place pour virer un Titanic dans le fleuve. Oui, il y a des pas très lents qui se font, mais il y a des pas qui se font », s’enthousiasme Alain Beaumier. D’autant plus que le vrai changement s’immiscera par la base et non par le sommet des organisations. Les jeunes, observe-t-il, imposent déjà leur façon de travailler et leur mode de communication, qui sont très efficaces.

 

« Si tu ne prends pas le virage, tu n’auras pas de main-d’oeuvre. » Et cette jeunesse va pousser la chose encore plus loin. Et rapidement, avise-t-il. « Les silos sont en train de se faire briser par le bas. Et un courriel, ce n’est pas assez vite pour eux. Eux, ils communiquent en live. »

 

LA MODÉLISATION DES DONNÉES DES INFRASTRUCTURES

À la suite de l’annonce du Plan d’action pour le secteur de la construction, en mars 2021, la Feuille de route gouvernementale pour la modélisation des données des infrastructures (2021-2026) a matérialisé la volonté du Gouvernement du Québec d’implanter le BIM et d’en faire une exigence pour la réalisation des projets d’infrastructure publique. Cette feuille de route a pour objectif d’assurer le déploiement progressif dans les projets d’infrastructure publique réalisés au Québec dans les domaines du bâtiment, du génie civil et de la voirie ainsi que des actifs industriels. En 2026, on estime que 249 projets d’infrastructure publique auront été démarrés en mode BIM par les principaux donneurs d’ouvrage publics.

Dans ce contexte, le ministère de l’Économie et de l’Innovation, en collaboration avec le Groupe BIM du Québec et l’Institut de gouvernance numérique, a décidé de soutenir l’Initiative québécoise pour la construction 4.0 (IQC 4.0). Celle-ci vise à doter chaque entreprise participante de l’industrie de la construction d’un plan d’action sur mesure pour amorcer ou poursuivre sa transition numérique.

Sources : Feuille de route gouvernementale pour la modélisation des données des infrastructures (2021-2026) et IQC 4.0