Le comportement des infrastructures sous surveillance

3 juillet 2019
Par Jean Garon

La résistance de certains matériaux de construction et le comportement des structures de certains ouvrages exposés à des secousses sismiques ou à des événements climatiques extrêmes font l’objet d’études à l’Université de Sherbrooke.

Le professeur et chercheur Patrick Paultre nous explique les travaux qui seront menés à la Chaire de recherche en dynamique des structures créée à la fin de septembre 2018 et dont il assumera la direction pour les cinq prochaines années.

 

D’entrée de jeu, le professeur titulaire au Département de génie civil et de génie du bâtiment de la Faculté de génie de l’institution précise qu’il s’agit de travaux de recherche appliquée qui se divisent en deux volets : la vulnérabilité des structures à l’aide de l’apprentissage machine et l’utilisation de nouveaux matériaux à haute performance en zone sismique. C’est un champ d’étude tout à fait nouveau qui fait suite à ses quatorze années de travail comme titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génie parasismique à l’Université de Sherbrooke.

 

Dans le premier volet, l’étude porte principalement sur les barrages et les ponts. À l’aide de modèles numériques conçus par les chercheurs, il leur est possible d’analyser les comportements de ces types de structures afin d’en détecter les dommages ou les vulnérabilités lorsqu’elles sont exposées à des contraintes extrêmes (tremblement de terre, crue anormale des eaux, etc.).

 

Le deuxième volet porte sur les matériaux à haute résistance et à haute performance et permettra d’améliorer la sécurité des structures, tout en entrainant une diminution des couts de construction à long terme en raison de l’accroissement de leur durée de vie. L’étude s’avérera donc particulièrement utile dans le contexte de la réhabilitation des structures existantes, en testant de nouveaux matériaux pour la réhabilitation de structures endommagées, entre autres par un trafic important de véhicules ou par des séismes. Les recherches qui seront menées sur cet aspect au cours des prochaines années pourront sans doute faire écho à celles effectuées précédemment, notamment sur les bétons haute performance, dont les résultats sont maintenant acceptés dans le Code de construction du Canada et intégrés à la norme CSA A23.3. L’attention est maintenant portée sur des bétons de 200 MPa de résistance en compression, comme les bétons fibrés à ultra-haute performance (BFUP), ainsi que sur les aciers haute résistance (AHR) qui peuvent aller jusqu’à 800, voire 1 000 MPa.

 

Les études seront menées en laboratoire à la Chaire en construisant des spécimens en grandeur réelle pour les soumettre à des essais. Leurs résultats permettront de développer des modèles de comportements et d’élaborer des règles de construction à partir de là. Il est à noter que le volet recherche sur les matériaux inclut également l’étude des isolateurs en caoutchouc à très basse température dans les constructions en zone sismique.

 

Patrick Paultre, Professeur titulaire de la chaire de recherche du Canada en génie parasismique et dynamique des structures. Photo : Michel Caron

 

Le comportement très ductile (élastique) des isolateurs peut passer à un comportement très raide et fragile comme du verre à des températures inférieures à -40o C. Ces isolateurs en caoutchouc sont généralement utilisés entre les supports de pont et le tablier. Ils permettent d’éviter des dommages importants causés par un tremblement de terre, par exemple, et de devoir reconstruire le pont. Les appuis en caoutchouc sont maintenant introduits entre la fondation et les bâtiments étagés afin de les isoler des excitations environnantes ou des effets des séismes. « On développe aussi des amortisseurs relativement pas chers que l’on peut insérer dans des contreventements de bâtiments en béton, en acier ou en bois, explique M. Paultre. On fait actuellement des essais, en collaboration avec l’Université Laval, sur un bâtiment en bois de trois étages où l’on a inséré nos amortisseurs en caoutchouc sur une table sismique pour étudier son comportement et élaborer la méthode de calcul. »

 

L’intelligence artificielle mise à contribution

La dizaine de chercheurs associés à la chaire peuvent compter sur un allié de taille, l’intelligence artificielle, en exploitant les immenses capacités de calcul des superordinateurs parallèles de l’Université de Sherbrooke. « À partir des compilations de ces données appliquées à des modèles numériques, de grandes quantités d’analyses sont faites et permettent de voir les tendances dans le comportement d’un ouvrage, d’aider à choisir le meilleur modèle pour corroborer les résultats, de prédire un comportement anormal ou d’aider à la prise de décision », explique le chercheur.

 

Concrètement, l’équipe développe des logiciels pour acquérir d’abord de grandes quantités de données sur les ouvrages, les analyser, pour ensuite les associer à des modèles numériques d’éléments finis afin de déceler des dommages. « Par exemple, pour un très grand barrage, on peut avoir entre 300 000 et 800 000 équations à résoudre. C’est énorme comme travail d’analyse, explique-t-il » Et comme l’étude de leur fragilité demande de répéter ces analyses des centaines de fois, il s’agit de grandes masses de données. L’apprentissage machine a pour but de réduire le nombre d’analyses nécessaires.

 

Pour les ponts, l’équipe de chercheurs travaille sur des données réelles collectées par des accéléromètres, par exemple, lesquelles sont transmises en continu par une instrumentation développée en collaboration avec d’autres chercheurs du Département de génie électrique. « Nous, on développe la partie algorithmique, tandis qu’eux s’occupent du développement des réseaux et de la transmission sans fil des données, détaille M. Paultre. C’est relativement plus facile pour les ponts, car l’instrumentation permet de suivre en continu leur comportement et ultimement, de détecter et de localiser des dommages précis à leur structure. »

 

Pour les barrages, les chercheurs doivent composer avec les définitions des états limites (de fissuration, de glissement, etc.) et des modèles numériques par éléments finis pour prédire leur comportement dynamique. Par exemple, pour la fissuration sous chargement rapide, des essais sont effectués sur des échantillons en béton en laboratoire pour connaitre les contraintes dynamiques qui les causent. C’est donc une combinaison de résultats d’essais et de modélisations numériques qui permet de prédire de façon assez fiable le comportement dynamique de la structure d’un barrage.

 

À point nommé

Ces recherches surviennent dans un contexte où le cadre du Plan québécois des infrastructures 2019-2029 prévoit des investissements de 115 milliards de dollars dans la construction et la réhabilitation de grands ouvrages et d’infrastructures publiques. Leurs résultats pourront influencer éventuellement la conception des structures de barrages, de ponts, d’édifices ou autres par les ingénieurs, afin d’assurer que ces ouvrages pourront résister aux assauts du vent, aux surcharges de la circulation, aux pressions des grandes crues d’eau, aux chocs et aux secousses sismiques. Elles seront également utiles aux propriétaires d’ouvrages existants pour détecter ou prédire des défaillances graves ou certains types d’endommagements des structures.

 

Preuve de leur intérêt : la chaire mènera conjointement ses études sur des projets impliquant les ministères des Transports du Québec et de la Colombie-Britannique ainsi que la société Hydro-Québec. Ces projets concernent principalement les barrages et les ponts. Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada est également impliqué dans le programme de recherche.