L’adaptation aux changements climatiques passe par la résilience des infrastructures publiques aux événements climatiques extrêmes. Et l’innovation fait partie de la solution. Aux décideurs de montrer la voie.
Selon les données du Scientifique en chef du Québec, la province se situe au septième rang mondial en matière de recherche et de développement (R&D), avec 10,9 chercheurs par millier d’emplois. C’est loin devant le Canada, qui se contente de la quatorzième place de ce même classement. Malgré cette position enviable, le Québec est tout de même à la traîne des pays industrialisés quant à l’intégration de l’innovation, notamment dans l’industrie de la construction.
Une situation d’autant plus paradoxale que le gouvernement, par l’entremise du Plan québécois des infrastructures, prévoit injecter près de 18 milliards de dollars dans le réseau routier d’ici 2027. Ces investissements, qui seront essentiellement consacrés au maintien et au remplacement de chaussées et de structures, pourraient-ils éventuellement soutenir les marchés publics dans leur rôle d’intégrateur, en mettant l’innovation en vitrine dans les grands chantiers d’infrastructure ?
« Oui, répond sans équivoque Brahim Benmokrane, professeur titulaire au département de génie civil de l’Université de Sherbrooke. L’industrie est lente à accepter l’innovation, on le voit au Québec, mais aussi ailleurs au Canada et aux États-Unis, signale-t-il. Les gens sont habitués à travailler avec des matériaux conventionnels, ils sont moins enclins à faire de la place aux nouvelles technologies.
« Pour que ça change, il faudrait davantage de projets de démonstration, mais aussi des actions concertées de la part des différents gouvernements, suggère-t-il. Le fédéral, qui finance en partie les programmes d’infrastructures provinciaux, devrait imposer l’utilisation de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies, et exiger qu’ils soient évalués, entres autres, en termes de coûts de possession, dans chaque projet majeur. Il pourrait même offrir un financement supplémentaire de 10 à 15 % aux projets qui vont en ce sens. »
Un virage nécessaire
Un virage d’autant plus important à prendre puisque le temps presse. En effet, avec les changements climatiques qui s’accélèrent, les façons de concevoir, d’exploiter et d’entretenir les infrastructures – routières, portuaires, minières, hydroélectriques – devront être entièrement repensées afin d’en accroître la résilience et la durabilité face aux bouleversements qui s’annoncent. Pour limiter les dégâts, les matériaux innovants et les technologies d’avant-garde devront forcément faire partie de la solution.
Heureusement, la recherche se porte bien et le béton, un matériau de choix dans les infrastructures, a vu ses propriétés mécaniques et physiques s’améliorer grandement sous l’égide du Centre de recherche sur les infrastructuresen béton (CRIB). Dirigé par Brahim Benmokrane, ce centre, qui regroupe sept universités québécoises, 35 professeurs et plus de 300 étudiants postdoctoraux, a pour mission de développer de nouveaux matériaux et de nouveaux outils permettant de prédire et d’améliorer la durée de vie des ouvrages.
Parmi les matériaux novateurs sortis du laboratoire de l’Université de Sherbrooke et qui ont fait leurs preuves à ce jour, le chercheur cite notamment les bétons à hautes performances, autoplaçants, à poudres réactives, renforcés de matériaux composites, autocicatrisants et, plus récemment, à poudre de verre. « Le béton est le matériau le plus consommé au monde, rappelle-t-il. Sa consommation est évaluée à 1 mètre cube (m3) de béton par personne, par année. Au Canada, où l’on estime à plus de 74 milliards de dollars le coût global de réparation des ponts et des structures, ça représente un marché énorme. D’où l’importance d’en améliorer la durabilité. »
Des structures durables
Également titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG sur les armatures en matériaux composites novateurs en polymères renforcés de fibres (PRF) pour les infrastructures de béton, Brahim Benmokrane dirige, en outre, des études sur l’utilisation dans le béton de barres en PRF. Ces barres composées de fibres synthétiques ou organiques incorporées dans une matrice polymérique connaissent en effet une popularité croissante en Amérique du Nord depuis les vingt dernières années, en raison de leur durabilité. Toutefois, leur usage reste marginal au Québec.
« Le but de nos travaux, c’est d’obtenir de nouvelles données sur la durabilité des barres de PRF, en particulier celles fabriquées de fibres de verre (PRFV), afin de rassurer l’industrie sur la performance à long terme de ces armatures, précise-t-il. Contrairement aux barres d’acier, les barres de PRFV ne sont pas sujettes à la corrosion, même dans les environnements les plus difficiles. Et la corrosion de l’armature d’acier demeure la première cause de détérioration des structures de béton. »
Au Canada, l’évolution des connaissances sur les barres de PRFV a conduit à la révision du Code canadien de calcul des ponts routiers (CSA-S6-00) et à l’élaboration d’un guide pour le calcul et la construction des composants contenant des polymères renforcés de fibres (CSA-S806-02). Et la recherche progresse toujours. En 2004, une nouvelle étude a démontré la supériorité des barres de PRFV sous les effets combinés d’une charge soutenue, de la température et de l’environnement humide et alcalin.
Un marché immense
Actuellement, Brahim Benmokrane se penche sur les aspects sismiques de ces nouvelles armatures, en s’attardant cette fois aux murs de cisaillement et aux connexions entre les poutres et les colonnes. Jusqu’ici, les résultats dépassent les attentes. « À l’échelle mondiale, le marché de l’armature est estimé à 40 milliards de mètres linéaires et il commence à se mettre en place, relève-t-il.
Présentement, il y a cinq ou six fabricants majeurs au Canada, mais c’est Pultrall qui opère la plus grande usine à l’échelle mondiale à l’heure actuelle. »
L’entreprise de Thetford Mines a d’ailleurs fourni les barres de composites nécessaires à la construction, en 2015, du pont de Nipigon, une première mondiale pour un pont à haubans. Plus tôt ce printemps à Panama City, Pultrall participait, avec l’Université de Sherbrooke et le ministère des Transports de la Floride (FDOT), à la réalisation d’une structure sur pieux battus le long du littoral, une autre première mondiale. Plus près de nous, le MTQ a commandé la réfection d’un tronçon de 300 mètres de l’A40 Ouest, à la hauteur du viaduc Saint-Charles. Les résultats, présentés en mai lors des journées de l’ACFAS, sont prometteurs.
Le Québec, avec ses infrastructures vieillissantes, aurait donc tout intérêt à recourir à ces nouveaux matériaux pour optimiser la conception de ses ouvrages d’art et des fondations de chaussées des grands centres urbains. « L’enveloppe annuelle du MTQ prévoit la réhabilitation d’environ 200 structures par an, fait valoir Brahim Benmokrane. Il serait peut-être préférable d’en faire moins chaque année, mais de les faire de façon novatrice et durable. Ce serait beaucoup plus payant à la longue. »
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2017. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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