Le potentiel insoupçonné de l’ossature légère en bois

10 novembre 2023
Par Cynthia Bolduc-Guay

Omniprésente dans le secteur résidentiel, l’ossature légère en bois demeure pourtant méconnue et sous-utilisée dans les secteurs commercial, institutionnel et industriel. Regard sur un système structural au grand potentiel.

« Le secteur commercial étant dominé par les structures en acier, on a tendance à oublier l’ossature légère en bois, car la chaîne d’intervenants y est différente de celle des constructions résidentielles », explique Louis Poliquin, directeur du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois).

 

Cette association de l’ossature légère en bois avec les maisons fait également en sorte que les professionnels ont le réflexe de lier ce système structural à des bâtiments de petit gabarit. « Pourtant, dans le secteur commercial, beaucoup de restaurants, cliniques, dépanneurs ou autres commerces de petite ou moyenne surface ne sont pas tellement plus grands », nuance l’administrateur de Cecobois. Selon lui, une très large proportion des bâtiments commerciaux mis en chantier pourraient ainsi être construits en ossature légère en bois.

 

Un potentiel hautement économique

« Ça fait 10 ans que je dis la même chose », commente en riant Stéphan Langevin, architecte associé principal et concepteur principal chez STGM. Très tôt dans sa carrière, il a compris le potentiel de ce système structural souvent négligé dans le secteur non résidentiel. « En travaillant sur le siège social de la Fédération des chasseurs et pêcheurs du Québec, nous nous sommes rendu compte que nous n’arrivions pas à respecter le budget avec les autres matériaux. Nous allions abandonner, puis, en optant pour l’ossature légère en bois, nous avons réalisé que c’était maintenant possible de le faire. »

 

Stéphan Langevin, architecte associé principal et concepteur principal chez STGM. Crédit : Guillaume Girard

 

Depuis, sa firme et lui ont continué d’utiliser ce système pour de nombreux projets, dont certains ont même gagné des prix, notamment leurs propres bureaux. « L’ossature légère en bois était la meilleure solution pour notre budget », ajoute l’architecte. Elle était même tout indiquée pour limiter les charges au sol et réduire le coût des fondations. Petite touche de créativité : les fermes de toit à l’étage ont même été peintes en blanc et laissées apparentes, montrant qu’il n’est pas toujours nécessaire de cacher ce système structural.

 

Une des grandes forces de l’ossature légère en bois réside dans le fait qu’elle est grandement optimisée en raison de son utilisation dans le secteur résidentiel depuis des décennies, ce qui a contribué à standardiser les dimensions des différents éléments structuraux. « C’est super brillant comme système : on fait une structure avec des bâtons de popsicles », s’enthousiasme Stéphan Langevin, expliquant que moins de matière est nécessaire pour arriver au même résultat structural. C’est ce qui contribue à le rendre aussi économique.

 

« Sérieusement, ceux qui n’utilisent pas l’ossature légère en bois laissent de l’argent sur la table », croit Louis Poliquin. Il cite l’exemple d’Ultramar, qui a fait le virage vers ce système structural pour ses stations-service en 2009. En tout, ce changement a permis de monter la structure 70 % plus rapidement et de réaliser une économie de 26 000 $ à l’époque pour un projet qui aurait coûté 91 000 $ avec une structure d’acier, soit un gain de 28 %. C’est sans compter les ventes supplémentaires réalisées grâce à l’ouverture du commerce une semaine plus tôt.

 

De grandes dimensions

Grâce au bois d’ingénierie, l’ossature légère peut désormais atteindre de grandes portées. « Aujourd’hui, nous pouvons construire des murs de 6 m et plus de haut et des portées libres de 18 à 24 m, voire même 30 m », explique Louis Poliquin.

 

Stéphan Langevin ajoute que dans le cas du siège social de Dessercom, conçu par sa firme d’architecture, les portées atteignent 26,5 m, laissant l’espace du garage complètement libre de tout poteau afin d’accueillir 18 véhicules d’urgence. Ce bâtiment qui fait 1 858 mètres carrés comprend même des murs hauts de 4,3 m.

 

Dans les faits, la véritable limite de ce système structural est souvent dessinée par la sécurité incendie. Mais de récentes avancées dans ce domaine font en sorte que la Régie du bâtiment permet maintenant les constructions multirésidentielles de cinq ou six étages depuis 2015. « Aujourd’hui, 30 % des bâtiments multirésidentiels de cinq ou six étages sont construits en bois au Québec, mais en Colombie-Britannique, c’est plus de 80 % », compare Louis Poliquin.

 

Potentiel de préusinage élevé

Avec son haut taux de préfabrication actuel, l’ossature légère en bois ouvre la porte à une plus grande industrialisation de la construction… et à des économies encore plus marquées en terme de temps et d’argent. Des systèmes de murs, de planchers ou même des modules entiers comprenant l’isolant et même le filage peuvent être fabriqués en usine dans des conditions optimales, puis livrés directement sur le chantier pour être assemblés rapidement et facilement. Cette avenue accélèrerait davantage la construction sur le chantier et permettrait une livraison encore plus rapide des projets, d’où l’intérêt de ce système structural pour l’avenir, surtout dans un contexte de rareté de la main-d’oeuvre.

 

Stéphan Langevin y voit notamment un grand potentiel pour les bâtiments institutionnels qui demandent la conception en série de plusieurs espaces similaires, comme les CHSLD, les Maisons des aînés, les CPE et les écoles. « C’est certain que c’est plus efficace et économique quand les espaces sont tous pareils, mais nous pourrions aussi très bien concevoir des modules différents », estime-t-il.

 

Vers la carboneutralité

Dans l’ombre de la crise climatique actuelle, le bois s’impose de plus en plus comme une solution évidente en tant que l’un des matériaux les moins énergivores et émettant le moins d’émissions de CO2 selon les analyses de cycle de vie. « On cherche une solution, et elle est là ! », fait valoir Louis Poliquin, qui y voit une occasion d’avancer vers la carboneutralité. « On s’attend même à ce que les seuils d’empreinte carbone deviennent réglementaires, comme c’est déjà le cas en Europe. On ne sait pas quand, mais ça s’en vient », prédit Louis Poliquin.

 

Louis Poliquin, directeur de Cecobois. Crédit : Cecobois

 

Un autre choix intéressant est celui de combiner ce système avec du bois massif, dont le bois lamellé-collé ou lamellé-croisé (CLT), permettant ainsi à l’ossature légère en bois d’être utilisée dans une plus grande variété de projets tout en contribuant à réduire les coûts.

 

C’est ce que Stéphan Langevin fait dans trois de ces plus récents projets, comme l’agrandissement de l’école Louis-Saint- Laurent, le Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale du Cégep de Baie-Comeau, récemment inauguré, et le nouveau poste de la Sécurité du Québec à Waterloo. Dans ce dernier exemple, l’ossature légère en bois a même permis d’obtenir une toiture expressive angulée inspirée des montagnes avoisinantes, montrant également toute la flexibilité de l’ossature légère en bois d’un point de vue du design. « Nous l’utilisons chaque fois que nous en avons l’occasion. Il est temps qu’on arrête de bouder ce système structural et qu’on voie tous les avantages qu’il procure », conclut-il.