Les relations entre la Ville de Montréal et les développeurs sont loin d’être un long fleuve tranquille. Les griefs de ces derniers sont nombreux, mais l’administration leur tend la main afin de rendre cette collaboration plus aisée.
À Montréal, les tensions entre la Ville et les promoteurs immobiliers ne datent pas d’hier. Récemment, le développement du secteur Bridge-Bonaventure a fait les manchettes, des acteurs de l’industrie ayant fait une sortie en règle contre l’administration municipale. Le sujet a également été abordé durant le Forum stratégique sur les grands projets métropolitains le 29 avril dernier.
Certains participants en avaient gros sur le cœur et la liste des complaintes était longue : rigidité du processus administratif, délais interminables, trop grande place accordée à l’opinion des citoyens — le fameux « pas dans ma cour » — et frilosité à l’égard de la densité. Ce dernier enjeu a d’ailleurs été maintes fois soulevé durant la conférence.
L’enjeu de la densité
Le débat sur la densité se cristallise essentiellement autour de la hauteur des immeubles résidentiels. Pourtant, le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Rabouin, faisait remarquer que son quartier était l’un des plus denses au Canada, même s’il ne compte pas de tours d’habitation. Il appuie la densité pour des raisons environnementales, mais veut des quartiers à échelle humaine. Or est-ce réaliste étant donné la situation économique actuelle et les problèmes d’accès au logement qui se manifestent dans la métropole?
Selon Christian Yaccarini, président et chef de la direction de la Société de développement Angus, une plus grande densité favorise l’accès à la propriété pour la classe moyenne. « Ce n’est pas compliqué : si j’ai quatre étages, je vais vendre mes condos tant. Si j’ai six étages, je vais les vendre un peu moins cher. Si j’ai huit étages, je vais les vendre encore un peu moins cher. »
Le président du Groupe Mach, Vincent Chiara, croit que densité va de pair avec rentabilité, un mot qu’il considère quasiment tabou dans certains milieux. Sans rentabilité, les promoteurs ne peuvent se permettre d’intégrer du logement abordable, selon lui. Il adhère pourtant à cette obligation, question de préserver la paix sociale : « Il faut cohabiter. Il faut éviter d’ériger des murs et créer des ghettos. Il ne faut pas qu’on vive ce qu’on vit dans d’autres juridictions et créer un problème social qu’on ne vit pas actuellement à Montréal. » Son plus grand souhait pour le prochain Plan d’urbanisme et de mobilité (PUM) est que la Ville réalise que le privé ne peut pas absorber tous les couts liés à cette exigence. « On ne peut pas se mettre la tête dans le sable : s’il n’y a pas de rendement, il n’y a pas de projets », martèle-t-il.
Des programmes moins rigides
Christian Yaccarini espère pour sa part que le prochain PUM abandonnera la gestion par programmes. Il se dit en faveur du développement de quartiers mixtes et inclusifs, mais déplore la rigidité des programmes qui encadrent cette orientation. Il donne l’exemple d’un projet de résidence pour autistes adultes qui, étant financé par le ministère de la Santé plutôt que par AccèsLogis, n’est pas considéré comme étant du logement social. Même chose pour une maison d’hébergement pour femmes violentées. Il voudrait avoir la possibilité de demander une dérogation au conseil municipal pour « permettre à des autistes d’avoir une résidence et à des femmes d’aller se réfugier ». « Un seul programme pour tout, ça ne fonctionne pas. Et les programmes de la Ville de Montréal, les programmes du gouvernement du Québec, les programmes du gouvernement du Canada ne sont pas reliés. Des fois, c’est vraiment kafkaïen! »
La main tendue de la Ville
Le président et chef de la direction de la Société de développement Angus admet que certains irritants se sont toutefois dissipés au cours des années. Il mentionne la mise en place des arrondissements, qui a permis la décentralisation du service d’urbanisme et l’amélioration de la collaboration. Dans certains arrondissements comme Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, il voit même se développer de véritables partenariats.
La Ville a aussi créé ce qu’elle appelle une « cellule facilitatrice » afin de favoriser la communication et la compréhension entre les différents intervenants. Des ateliers où étaient conviés développeurs immobiliers, tables de quartier et groupes de ressources techniques ont eu lieu et un plan d’action devrait être dévoilé en septembre prochain, a expliqué Luc Rabouin. Parmi les solutions concrètes qu’il espère voir émerger, il y a le renforcement du processus de consultation. « Comment on se parle le plus tôt possible — la Ville, les citoyens, les promoteurs — pour éviter de perdre du temps à développer un projet qui, en bout de ligne, ne reçoit pas l’acceptabilité. » L’élu de Projet Montréal aimerait aussi améliorer le suivi des projets, question que les promoteurs sachent où en est rendu leur dossier, un peu comme lorsqu’on se fait livrer un colis. « C’est vraiment ça l’élément le plus important pour eux, c’est la prévisibilité. »
Il reste beaucoup de travail à faire pour réduire les frictions entre Montréal et ses développeurs, mais la volonté de trouver des solutions semble au rendez-vous.
Cet article est paru dans l’édition du 26 mai 2022 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.