Hydro-Québec a eu chaud lors de la crue historique du printemps 2019 dans le sud-ouest du Québec. Pour ne pas se trouver à nouveau en eaux troubles, la société d’État a procédé cette année, à vitesse grand V, à d’importantes interventions sur les infrastructures du barrage et de la centrale de la Chute-Bell, à Grenville-sur-la-Rouge.
On se souviendra que la crue millénaire d’avril 2019 de la rivière Rouge avait mené à l’évacuation préventive d’une cinquantaine de résidents en aval du barrage par le ministère de la Sécurité publique. Le débit au déversoir du barrage frôlait les 1 000 mètres cubes à la seconde (m3/s), ce qui s’approchait dangereusement de la limite de sa capacité de retenue d’environ 1 050 m3/s. La situation risquait même de s’aggraver avec des prévisions météorologiques qui faisaient craindre une crue pouvant atteindre quelque 1 250 m3/s.
Un acte de Dieu
« Il n’y a rien eu de comparable sur nos autres ouvrages hydroélectriques, confie Francis Labbé, porte-parole de la société d’État. À aucun autre endroit on a approché autant les limites de capacité pour lesquelles les ouvrages ont été conçus. On savait que le barrage pouvait vraisemblablement résister, mais devant l’inconnu de la météo, on ne pouvait pas assurer la sécurité des gens du secteur. Hydro-Québec a donc suggéré à la Sécurité civile de procéder à l’évacuation. »
Après cette urgence, Hydro-Québec a dû s’attaquer au problème de vulnérabilité de son infrastructure en cause. Mission : évaluer les dommages causés par le stress de cette crue anormale et préparer un scénario d’interventions ayant le moins d’impacts possible, à la fois sur l’environnement et la communauté. Objectif : réaliser les travaux avant la crue suivante anticipée entre le début et la mi-avril 2020.
Les deux pieds… dans la neige
Durant les semaines et les mois suivant la décrue, des évaluations et des estimations des travaux correctifs à apporter ont donc été élaborées par l’équipe d’expertise de Barrages et infrastructures d’Hydro-Québec, avec l’appui des données des ingénieurs de SNC-Lavalin pour la préparation des plans et devis de construction et le soutien technique pour la durée du projet. Le scénario retenu prévoit alors quatre interventions principales à réaliser en hiver, alors que le niveau de la rivière serait à son plus bas. Dès le début du mois de janvier 2020, les équipes d’intervention d’Hydro-Québec et externes se mettaient en branle.
« D’abord, on a enlevé les pales des deux turbines de la centrale. Une mesure qui a contribué à abaisser encore plus le niveau de la rivière Rouge, laquelle n’offre aucune possibilité de contournement de l’eau pour réaliser les travaux. Cela a permis en plus de travailler au sec pour l’enlèvement de la vanne gonflable sur la crête déversante du barrage. On a aussi effectué des travaux d’ancrage de solidification sur les plots 1 et 2 du barrage et d’excavation d’un canal de dérivation sur la rive ouest de la rivière », explique Christian Dobre, l’ingénieur responsable du projet à Hydro-Québec.
Une cadence soutenue
Toutes ces interventions ont été réalisées en mode accéléré par des équipes d’au plus une vingtaine de travailleurs, à la centrale, et d’une trentaine d’ouvriers de divers corps de métiers et fournisseurs, au barrage. Ces derniers se sont d’ailleurs relayés jour et nuit et parfois sept jours sur sept, incluant la surveillance sur le chantier.
« On a mis toutes les chances de notre côté pour terminer les travaux avant l’échéance fixée de la fin mars », avoue l’ingénieur, qui ignorait alors quelle quantité d’eau arriverait à la crête du barrage advenant une crue soudaine, même en plein hiver en raison d’épisodes possibles de redoux et de pluie. Résultat : les travaux de modification ont été complétés le 9 mars, devançant ainsi de quelques semaines la livraison de l’ouvrage.
« Tout compte fait, poursuit-il, la réalisation des travaux a permis d’accroitre la capacité de retenue du barrage d’environ 150 m3/s, pour la faire passer de 1 094 à un maximum de 1 246 m3/s. » En détail, l’intervention sur les turbines a permis d’ajouter une capacité de 90 m3/s, celle de l’excavation de deux mètres de roc pour le canal de dérivation sur la rive ouest de 40 m3/s, et celle inespérée de l’enlèvement complet de la vanne gonflable sur l’ensemble de la crête (au lieu des deux seuls premiers plots) de 20 à 30 m3/s de plus.
Des leçons pour l’avenir
Quant à savoir quelle durabilité ces interventions peuvent avoir sur l’ouvrage, Christian Dobre n’en doute pas et se fait rassurant. « Chaque ouvrage doit prévoir une crue de sécurité pour éviter les risques d’impacts et de dommages, conformément à la Loi québécoise sur la sécurité des barrages. »
Pour sa part, Francis Labbé souligne que tout le projet a pu être réalisé avec un budget de 3,5 millions de dollars et en devançant l’échéancier initial. « Par ailleurs, ajoutet- il, les travaux de démantèlement des pales des turbines sont réversibles, si jamais Hydro-Québec avait besoin de remettre la centrale en service, laquelle ne l’est plus depuis 2011. »
Outre le fait que les travaux ont été exécutés en hiver en obligeant le maitre d’oeuvre à assurer du chauffage pour une bonne partie des travaux, le défi du projet consistait principalement à trouver une solution pour contrôler un tant soit peu le débit de la rivière. Rappelons que ce barrage et cette centrale exploitée autrefois au fil de l’eau ne disposent pas d’un réservoir pour accumuler et retenir les eaux comme certains autres ouvrages hydroélectriques.
Ces installations n’ont d’autre choix que de laisser passer l’eau ou la turbiner. De plus, aucun dynamitage n’a pu être pratiqué sur la structure de roc pour l’aménagement du canal de dérivation sur la rive droite en raison de la proximité des équipements de la centrale.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2020. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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