21 juin 2018
Par Michel Bouchard

 

À l’ère de l’écoresponsabilité, l’enfouissement illégal et l’exportation hors Québec de sols contaminés devraient appartenir au passé. Afin de reléguer définitivement ces vilaines habitudes au statut de souvenir, un tout nouveau système de traçabilité voit le jour.

 

En mars dernier, dans la foulée des annonces concernant les travaux de réhabilitation de l’ancienne cour de voirie d’Outremont, la Ville de Montréal officialisait sa participation au tout premier projet pilote québécois de suivi du déplacement de sols contaminés. C’est par le biais du système Traces Québec – découlant d’une initiative de Réseau Environnement en collaboration avec Wiki- Net – que les intervenants impliqués au chantier auront la possibilité de faire un suivi en temps réel des trajets de tout véhicule effectuant un déplacement de matières.

 

« Au Québec, depuis 30 ans, nous n’avons pas de système de traçabilité de la matière, explique Jean Lacroix, PDG de Réseau Environnement. On en retrouve dans le domaine alimentaire, mais pas dans celui des sols contaminés. Donc, Réseau Environnement a décidé de lancer une initiative de déclaration volontaire de traçabilité des matières, après trois décennies de disposition illégale. On ne règle rien en cachant les sols ailleurs, on ne fait que déplacer un problème; il faut les tracer.

 

« Si on paie pour la décontamination, on veut éviter que ça aille ailleurs, enfoui dans un site illégal ou déversé dans une rivière. Ça ne fait pas l’affaire de tous, parce que l’illégalité est rentable pour un certain groupe de personnes. Le système est ambitieux et vient régler un problème criant. Malgré les inspecteurs en place, avec la quantité de matière qui se transporte, impossible d’y arriver sans l’implication de l’intelligence artificielle dans le processus. »

 

Importer ou concevoir ?

Afin d’élaborer un système aussi accessible que sécuritaire, l’équipe appelée à concevoir la plateforme a d’abord étudié les pratiques mises en place ailleurs sur le globe. Un coup d’oeil à l’international a permis de noter quelques éléments intéressants en France, aux Pays-Bas, en Belgique, en Angleterre et en Amérique du Nord. L’option de mettre sur pied un nouveau système a cependant supplanté celle d’en importer un et de l’adapter au territoire québécois.

 

De cette initiative allait naitre Traces Québec. « Nous avons effectué une approche avec un partenaire en mesure de faire du développement d’applications mobiles. Il fallait s’assurer qu’on ne déplaçait pas un problème de disposition de la matière du réel au virtuel. Il fallait donc crypter notre système pour le rendre inviolable. Nous ne sommes pas le Pentagone, mais le module d’intelligence artificielle Watson d’IBM est reconnu pour sa fiabilité. »

 

Si aucun système informatique n’est infaillible, la possibilité de retracer d’éventuelles manipulations externes rend le piratage risqué. « Il est impensable de garantir l’inviolabilité de la donnée, mais si quelqu’un devait trafiquer des chiffres, des marques permettraient de le retrouver puisque l’historique demeure en place. Avec les nouvelles technologies de l’information, les nouvelles méthodes de cryptage comme la blockchain et le TLS  .3, un protocole adopté en mars 2018, le niveau de sécurité atteint par Traces Québec était inimaginable il y a à peine cinq ans. Les intervenants n’ont pas la possibilité de jouer avec la réalité sans laisser d’empreinte. »

 

Gérer ses données

Le système permet à l’utilisateur d’être responsable de ses données. Les organisations s’affairant à la disposition des sols contaminés ne souhaitant pas voir l’information être utilisée par la concurrence, un usage unique pour chaque client est nécessaire. Ce qui est partagé au système Traces Québec par une ville lui appartient, tout comme le choix des destinataires auxquels le transmettre.

 

Un important changement de mentalité est actuellement observable en ce qui concerne l’environnement. Ce projet pilote effectué dans le cadre des travaux de réhabilitation de l’ancienne cour de voirie d’Outremont en est un bon exemple. Les 75 millions de dollars remis pour l’ensemble des autres projets en lien avec les sols contaminés à la Ville de Montréal, découlant d’une entente avec le Gouvernement du Québec qui exige la traçabilité des matières, vont également en ce sens. « Ainsi, tous les appels d’offres doivent contenir un système de traçabilité. Il n’y en a qu’un seul en place actuellement, celui de Traces Québec. Nous sommes les premiers. »

 

La disposition illégale de sols contaminés risque d’en prendre pour son rhume au cours des années à venir, l’obligation d’inclure un système de traçabilité au sein même des appels d’offres étant l’arme principale pour endiguer cette pratique.

 

« Si ce n’est pas obligatoire, pourquoi le faire ? Mais si un appel d’offres exige la traçabilité, la dimension change. C’est un cas où l’exemplarité de l’État fait en sorte qu’on l’exige dans le cadre normatif. Nous avons une entente avec le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques pour nous assurer que les sites récepteurs présents sur notre réseau sont conformes. Un site n’est pas obligé de le faire, mais s’il ne nous fournit pas l’information, il ne peut faire partie de notre base de données. Présentement, nous en sommes à 95 % des sites enregistrés dans le système. Un utilisateur peut consulter la liste et nous sommes en mesure de lui confirmer la conformité. »

 

Mettre la technologie à profit

Le suivi du déplacement de la matière se fait à l’aide d’un amalgame de plusieurs technologies. Par système de balance et de code QR, il est possible de savoir qu’un camion va d’un point A au point B et de le géolocaliser en temps réel. Si ce dernier ne va pas directement là où il doit se rendre, une pénalité est appliquée sous forme d’amende. Un tracé optimal peut être élaboré en vue du déplacement d’un camion et une alerte est émise s’il n’emprunte pas le chemin prévu. Même qu’en situation d’urgence, dans le cas d’un accident ou autre, l’intervention peut se faire encore plus rapidement.

 

L’intelligence artificielle des automates utilisés dans le système de Traces Québec permet donc d’améliorer la logistique de déplacement en devenant en quelque sorte un Uber du transport de matières. « Le système n’a pas vraiment de limite. Nous avons commencé en traçant les sols, mais on peut l’utiliser à bien d’autres sauces. On optimise les déplacements. Plus on déplace des sols à proximité, plus c’est payant. On crée une notion de valorisation de la matière et d’économie circulaire. »

 

De plus en plus de projets d’envergure voient s’intégrer la traçabilité dans les devis d’appels d’offres. « On est en voie d’emboiter le pas également au Gouvernement du Canada. Notre système n’est pas limité au Québec, il peut aller où le besoin est, le lieu physique n’a plus d’importance. »