Retour sur la déconstruction du pont Champlain

4 juillet 2024
Par Benoit Poirier

L'idée de dynamiter un pont obsolète est désormais révolue. Son démantèlement méthodique, en revanche, constitue une véritable prouesse, d'autant plus lorsqu'il s'agit de minimiser l'impact sur l'environnement fragile qu'il surplombe et de récupérer le maximum de matériaux. C'est le cas du jadis pont Champlain, dont la déconstruction exemplaire a été largement saluée.

« Comme donneur d’ouvrage, notre première orientation était de faire déconstruire et non démolir l’ouvrage. Donc un démantèlement pièce par pièce en suivant les grands principes du développement durable. Pour nous, c’est très important de bien protéger le fleuve Saint-Laurent et sa biodiversité », explique Nathalie Lessard, directrice des communications de la société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI).

 

En plus de restrictions environnementales sévères, la société d’État a prévu pour ce projet la carboneutralité. Les mesures de compensation ont ainsi ciblé les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi des éléments comme les travaux d’enrochement pour les jetées d’accès dans les sections peu profondes où il est impossible de naviguer. Heureusement, fait valoir Nathalie Lessard, « l’empreinte des jetées a été temporaire, mais le projet de compensation a un impact à perpétuité. »

 

« Pour nous, c’est une première. Parce qu’un ouvrage comme ça, il ne s’en déconstruit pas beaucoup. C’est un projet d’une génération, le projet d’une vie », s’exclame Simon Hébert, directeur des travaux civils chez Les Services Environnementaux Delsan – A.I.M. « La plupart des techniques utilisées avaient déjà été éprouvées sur d’autres projets, mais n’avaient jamais été appliquées à une si grande envergure ni dans ce contexte unique. »

 

Nathalie Lessard, directrice des communications pour la Société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée. Crédit : Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée

 

Autres défis de taille, relate-t-il, une météo peu clémente notamment avec un été caniculaire suivi d’un hiver particulièrement rude, au-dessus d’un fleuve, et l’attribution du contrat un certain mois de mars 2020... La mise en place de nouveaux systèmes, le maintien d’un esprit d’équipe et la coordination de celles-ci, le tout de façon virtuelle, « c’était nouveau. Mais nous nous en sommes très bien sortis. C’est pour ça qu’aujourd’hui nous en parlons en riant. Mais ç’a a été pour nous un immense défi organisationnel plus que technique. »

 

Le gros du défi : la gestion des matériaux

« C’est 96 % des matériaux qui ont été soit réutilisés ou recyclés, ce qui est énorme parce que notre objectif était de 80 % », indique Nathalie Lessard, qui souligne que la traçabilité des matériaux a été exigée au contrat alors que ce n’était pas obligatoire à l’époque.

 

« Tout ce qui pouvait être recyclé a été recyclé, dont 100 % de l’acier », corrobore Simon Hébert. Quant au suivi des matériaux démantelés, il n’y a pas d’échappatoire, assure-t-il. « Nous serions capables de démontrer au travers du temps qui a reçu quoi et comment ça a été utilisé. » De plus, on assure que tous ces matériaux demeurent dans le cycle de production de la chaîne d’approvisionnement canadienne via des repreneurs situés dans un rayon de 550 km du chantier. Du béton extrait de la structure puis concassé et utilisé pour la construction de jetées temporaires aura même une troisième vie lors de futurs travaux de renforcement des rives et de la reconstruction de l’autoroute Bonaventure.

 

Un total de 96 % des matériaux du pont Champlain a été réutilisé ou recyclé, dont 100 % de l’acier. Crédit : Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée

 

Et s’il y avait une prochaine fois ? Mieux estimer le coût et le temps reliés à la réutilisation des matériaux, notamment en termes de transport et d’entreposage, et prévoir en amont tous les fournisseurs requis. « La traçabilité existe peu ou pas dans l’industrie. Mais ultimement, pour l’ensemble du projet, nous avons atteint tous les objectifs que nous nous étions fixés », se félicite Simon Hébert.

 

Relations de bon voisinage

D’aucuns peuvent témoigner que, lors d’un projet, la perception du public est bien différente qu’il y a 25 ans... Or, dans le cas qui nous concerne, uniquement trois plaintes ont été formulées en 41 mois, rapporte la porte-parole de la PJCCI. Selon elle, le succès du projet comporte trois clés : en premier lieu la planification, des réunions régulières avec tous les intervenants et une communication en continu à l’intérieur des équipes, entre les équipes ainsi qu’à l’externe.

 

Mesures d’atténuation du bruit, des vibrations et de la poussière, rencontres publiques avec la population riveraine, comités citoyens, transparence du suivi environnemental, « tous les paramètres, toutes les nuisances potentielles pouvant avoir un impact sur l’environnement et l’écosystème mais aussi sur les gens qui essaient tout simplement d’avoir une vie paisible autour du projet sont suivis en temps réel », tient à souligner Simon Hébert. « C’est tout un volet important qui est piloté par le propriétaire et qu’on ne retrouve pas dans un projet normal. »

 

Simon Hébert, directeur des travaux civils pour Les Services Environnementaux Delsan – A.I.M..  Crédit : Pierre Seager

 

Pourquoi parler au présent d’un pont qui appartient au passé ? En fait, le projet n’est pas terminé. La société d’État a tout récemment entamé l’aménagement des terrains qui ont été libérés par la disparition du pont pour laisser un legs à la population. « Normalement, lorsque des ingénieurs travaillent sur un projet, ils laissent quelque chose à la fin : un ouvrage. Mais là, l’objectif premier, c’était qu’il ne reste plus rien. Mais, en réalité, nous ne voulions pas qu’il ne reste plus rien. Nous voulions qu’il reste quelque chose »! »

 

À CONSULTER

 

Espaces publics renaturalisés et aménagés avec des espèces indigènes, sentiers piétonniers et pistes cyclables, points de vue sur le fleuve, intégration de vestiges du pont comme des piles et des éléments d’acier, sur une superficie totalisant sept hectares d’une rive à l’autre. Sans compter de nombreuses oeuvres d’art imaginées à partir de matériaux récupérés, diverses utilisations comme pour du mobilier scolaire et la distribution de 4 000 rivets extraits du pont chers aux souvenirs de nombreux usagers, tel pour ce couple qui a témoigné s’être rencontré lors d’un accrochage sur le défunt pont, sourit Nathalie Lessard.

 

UNE DÉCONSTRUCTION RESPONSABLE

Le consortium Nouvel Horizon Saint-Laurent (NHSL), formé de Pomerleau et Les Services Environnementaux Delsan-A.I.M., a réalisé la déconstruction du pont Champlain, de juillet 2020 à novembre 2023, pour le coût de 225,7 M$. Ce chantier de 41 mois s’est déroulé en respectant le budget initial et s’est conclu deux mois avant l’échéancier prévu. Entre autres grâce à la collaboration des villes de Montréal et de Brossard. Le pont de 3,4 km comportait 56 travées, 53 piles et 53 semelles, pour des quantités totalisant 250 000 tonnes de béton, 25 000 tonnes d’acier et 12 000 tonnes d’asphalte. Le démantèlement minutieux de chaque élément a généré 264 000 tonnes de matériaux. Pas moins de 96 % de ceux-ci ont été valorisés (soit 90 % réutilisés et 10 % recyclés), laissant un minime 4 % de déchets résiduels.

Ce projet mené par la société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) prévoyait trois projets de compensation de l’habitat de poissons, notamment l’aménagement de six hectares en terre inondable, à Saint-Ignace-de-Loyola. En ont par ailleurs découlé douze projets de recherche et développement, qui doivent se conclure en 2025, et le volet Héritage Champlain, qui vise l’aménagement en espaces publics des terrains libérés par le retrait de l’ancien ouvrage d’art, soit à l’Île des Soeurs, sur la digue de la Voie maritime et à Brossard.