La ferme GoodLeaf : construire l’avion en plein vol

24 septembre 2024
Par Isabelle Pronovost

En début d’année, l’entreprise GoodLeaf a mis en service dans l’arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil, la première phase de sa ferme verticale novatrice.

Elle y fait pousser des légumes-feuilles à l’aide d’un éclairage aux DEL, qui remplace la lumière du soleil. L’intelligence artificielle permet de son côté de surveiller de près température, humidité, irrigation et nutriments. Et des robots sont chargés de placer des plateaux garnis de semences sur des étagères de croissance, puis de les retirer lorsque les produits sont prêts à être récoltés et emballés.

 

Des décisions qui se font attendre

Chaque projet industriel amène ses défis de conception, ne serait-ce que parce que la technologie évolue et qu’elle est par conséquent toujours nouvelle pour les professionnels, qui doivent passer de nombreuses heures à se documenter, à apprendre le jargon technique et à questionner client et fournisseurs afin de maîtriser les procédés utilisés. Dans le cas de la ferme GoodLeaf, un défi supplémentaire s’est ajouté : le client n’avait pas d’idée précise des équipements qu’il allait installer dans sa future usine, alors même que la construction était déjà entamée…

 

Robert Bourdon, directeur de projets en bâtiment chez Stantec. Crédit : Stantec

 

« Les plans étaient finis et ça changeait constamment, parce que leurs procédés étaient en évolution », se remémore Robert Bourdon, directeur de projets en bâtiment chez Stantec, la firme chargée de concevoir les installations électriques de la ferme. « Il fallait réadapter, modifier, ajuster pendant la construction. » Il ajoute que même la méthode d’éclairage n’était pas déterminée : « On savait qu’il y aurait de l’éclairage aux DEL, mais chaque système est différent, chacun a ses propres caractéristiques. Donc il fallait qu’on essaie de faire un concept assez flexible pour être capables de prendre pas mal n’importe quoi, ce qui, en électricité, est très difficile à faire parce que généralement, soit que ça fonctionne, soit que ça fonctionne pas », souligne-t-il.

 

Un chantier en avance sur le client

Ces modifications constantes ont aussi entraîné des enjeux sur le chantier. L’ingénieure et gérante de projets à Espace Construction, Caroline Mailhot-Théberge, en a été témoin. Par exemple, peu après avoir déposé les plans et devis pour obtenir les permis, le client a revu ses budgets et décidé de rapetisser son bâtiment, la superficie au sol passant de 90 000 à 72 000 pieds carrés. Un revirement qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, analyse-t-elle après coup.

 

GoodLeaf Longueuil. Crédit : Marketing Espace

 

Elle donne également l’exemple de la coulée de la dalle du rez-de-chaussée, dont une section a dû être mise sur pause pendant plusieurs mois parce que nul ne savait s’il y fallait prévoir de la canalisation. « Venir implanter des fosses alors qu’on avait déjà fait toutes nos fondations à l’intérieur du bâtiment, puis à des profondeurs qui étaient plus profondes que nos empattements, ça a été tout un défi. Pour nous au chantier, mais aussi de la part des ingénieurs en structure, pour être sûrs qu’on ne venait pas déstabiliser le bâtiment qu’on venait de construire. On n’était plus à ciel ouvert aussi, et ce n’était pas toute la machinerie qui pouvait rentrer puis venir faire ça. C’était quasiment comme de la rénovation alors qu’on était dans un bâtiment neuf en construction ! »

 

Une collaboration sans pareille

Une des particularités de ce projet est qu’il s’est fait en gérance de construction plutôt qu’en mode forfaitaire, ce qui a amené une meilleure collaboration et permis d’éviter de nombreux conflits, de l’avis de Caroline Mailhot-Théberge. L’autre avantage a été son ampleur, ce qui a assuré une continuité de la main-d’oeuvre sur le chantier. « Mes entrepreneurs, les hommes au chantier, ont été là pendant des mois. Ce n’était pas du “on rentre, on sort, on reviendra dans deux semaines” », illustre-t-elle, mentionnant que cette mobilisation a facilité la coordination des travaux.

 

Elle ajoute qu’une des clés du succès repose dans les réunions en personne sur le site plutôt qu’en vidéoconférence, des rencontres qu’elle organisait avec comme appât chouquettes et café. « On trouvait tellement de solutions. Il y a tellement de choses qui se réglaient avant même de devenir des problèmes ! »

 

« Tout le monde a collaboré. Quand on dit qu’on est capable de se revirer sur un 10 sous, c’est pas juste grâce à nous. C’est aussi grâce à des ouvriers sur le chantier qui sont collaboratifs, qui sont allumés et qui sont capables de se revirer de bord », soutient Caroline Mailhot-Théberge. Un constat que dresse également Robert Bourdon : « On a tous trouvé ça dur, mais j’avoue que c’était vraiment un projet de collaboration extraordinaire, autant avec les équipes de professionnels, les entrepreneurs et le client. Moi, la phase 2, j’embarquerais dedans demain matin, avec la même équipe, sans aucune condition ! »

 

LE GRAIN DE SEL DE LONGUEUIL

L’équipe d’Espace Construction a aussi collaboré au projet de ferme GoodLeaf à Calgary, dont la construction se déroulait en parallèle. Caroline Mailhot-Théberge juge que le bâtiment québécois est esthétiquement plus réussi que celui de l’Ouest canadien, notamment en raison des exigences de la Ville de Longueuil. Elle mentionne son mur-rideau marquant l’entrée des employés et sa façade en maçonnerie. « Ça aurait pu être juste une boîte carrée blanche », fait-elle valoir. L’administration municipale a aussi formulé des demandes en matière d’aménagement paysager, dont la plantation de nombreux arbres.

 


Cet article est tiré du Dossier régional – Sud-du-Québec 2024, accessible gratuitement ici.
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