Ce projet d’envergure a constitué un défi autant logistique que technologique. Mais les humains ont aussi été au coeur de la réflexion de la société d’État. Retour sur les moments marquants de ce mégachantier.
Un des aspects qui semblent avoir marqué l’esprit de Stéphane Jean lorsqu’il se remémore les grandes étapes de l’aménagement du complexe hydroélectrique de la Romaine, qui a débuté en 2009 et devrait se terminer cette année, tient à l’organisation du chantier. « Ce projet concerne la construction de quatre centrales, mais c’est également un projet de logistique », indique d’emblée le directeur principal des projets de construction et de production de la Société de développement de la Baie-James (SEBJ) chez Hydro-Québec.
Il raconte que pour se rendre aux abords de la rivière qui donne son nom au complexe, il a fallu construire une route partant de la 138, un peu à l’est de Havre-Saint-Pierre, pour se diriger vers le nord. Il fallait en outre loger les ouvriers. Un petit campement a donc été construit au kilomètre (km) 1 afin que les travailleurs puissent ouvrir un chemin de 36 kilomètres, au bout duquel le campement des Murailles a été établi. C’est à partir de cet emplacement qu’ont été construites les centrales Romaine-2 puis Romaine-1. Une fois l’ouvrage achevé, la route a été prolongée, d’abord jusqu’au km 84 pour installer un camp temporaire, puis enfin jusqu’au km 114 où a été implanté le campement Mista, nécessaire à la construction de Romaine-3 et de Romaine-4. « C’est un projet grandiose. On avait, au sommet de la construction, plus de 2 000 travailleurs sur le chantier. Et ça, 2 000 travailleurs sur le chantier au campement, c’est une petite municipalité », fait valoir Stéphane Jean.
Technologie Norvégienne
Outre la logistique, d’autres défis se sont présentés pour la construction de ce projet d’envergure. Habituellement, le centre des barrages est constitué de moraine, une argile présente dans la nature et qui assure l’étanchéité des ouvrages. Puisqu’il n’y en avait pas à proximité de la centrale Romaine-2, les concepteurs ont décidé de s’inspirer de la Norvège pour construire au Québec le premier barrage doté d’un noyau asphaltique, c’est-à-dire composé d’un bitume très dense. Le procédé a aussi été utilisé pour construire cinq digues autour de l’imposante structure ainsi que pour le barrage de Romaine-1. « Ç’a été développé avec les entrepreneurs, avec les gens d’ingénierie à l’interne et les firmes d’ingénierie externes. C’est vraiment une belle innovation. On n’avait pas d’expertise. On a fait un petit banc d’essai sur un projet à la Baie-James avant de l’appliquer à grande échelle sur le projet de la Romaine », explique Stéphane Jean.
Autre innovation : le recours à la préfabrication. Par exemple, une bonne partie de l’assemblage des turbines a été effectuée hors site plutôt que sur le chantier. Du béton préfabriqué a aussi été utilisé lorsque possible, notamment pour remplacer la maçonnerie. « L’objectif était de réduire la main-d’oeuvre au chantier, diminuer les risques en santé et sécurité et également améliorer notre échéancier », souligne le directeur principal.
Virage santé et sécurité
Ce projet a d’ailleurs marqué un point tournant en ce qui a trait à la santé et sécurité chez Hydro-Québec. Le virage a été effectué à la suite du décès d’un travailleur en décembre 2016 (trois autres avaient préalablement perdu la vie depuis le début du chantier). Cela s’est d’abord manifesté par une participation des gestionnaires aux réunions qui précèdent chaque quart de travail. Pour Stéphane Jean, il est important que les employés se sentent soutenus : « En voyant la gestion aux réunions de début de quart, il y a un lien de confiance et de proximité qui se met en place. Les travailleurs apprennent à nous parler s’il y a des choses qui sont inconfortables », précise-t-il.
Une analyse sécuritaire des tâches (ATS) a aussi été mise en place. Concrètement, il s’agit d’un petit carnet que l’ouvrier doit remplir avant de commencer à travailler. Ce dernier doit répondre à quelques questions à savoir s’il connait bien sa tâche et s’il est à l’aise de l’accomplir. Si la réponse est non, il doit en discuter avec son contremaitre. Une autre section du carnet vise à bien cerner les risques inhérents au travail à effectuer. « On a vraiment mis l’accent sur les dangers critiques. Donc pour chaque tâche, c’est quoi les dangers critiques et c’est quoi les mesures de mitigation qu’on met en place avant de l’exécuter. » Le directeur principal du projet se réjouit du fait qu’aucun autre accident mortel n’est survenu depuis.
La communication et l’écoute ont également été au coeur des relations avec les syndicats, les communautés autochtones et allochtones ainsi qu’avec la MRC de Minganie. Les préoccupations étaient nombreuses : embauches locales, retombées économiques régionales… sans oublier la pandémie de COVID-19. Pour chaque enjeu, des rencontres avec les acteurs du milieu ont permis de trouver des solutions, d’établir des plans de match. « C’est ça que je retiens de toute mon aventure de la Romaine. On a présentement aujourd’hui une belle entente, une belle collaboration avec les parties prenantes. Et je suis quand même assez content de ça ! », conclut fièrement Stéphane Jean.
Le chantier de la Romaine comporte un important volet de suivi environnemental, accompagné de mesures de compensation : les aires utilisées pour les travaux sont reboisées, des bancs d’emprunts sont transformés en milieux humides et des arbres fruitiers sont plantés pour favoriser le retour de la sauvagine.
Hydro-Québec concentre toutefois une bonne part de ses efforts autour des poissons. « Évidemment, le fait de passer d’une rivière à une série de réservoirs a un impact sur les espèces. La famille qui est la plus touchée est celle des salmonidés. On a donc des programmes de mise en valeur qui ont été mis en place », explique Maude Richard St-Vincent, chargée de projets en environnement à la société d’État.
Des frayères pour le saumon ont ainsi été aménagées en aval de Romaine-1 ainsi que des aires d’alevinage, dans lesquelles les jeunes poissons peuvent prendre du poids avant de retourner en mer. Un programme d’ensemencement et de frayères a aussi été mis en place dans le réservoir de Romaine-1 pour la truite grise. « On souhaite qu’éventuellement tout le monde puisse bénéficier de ce réservoir-là pour aller à la pêche. On a aménagé des rampes de mise à l’eau justement pour permettre aux gens d’aller sur le territoire », ajoute Maude Richard St-Vincent. Un programme similaire a aussi été développé pour la ouananiche dans le secteur de Romaine-4. De quoi favoriser de bonnes histoires de pêche.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Projets 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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