Le 13 octobre dernier, le consortium Manon Asselin Architecte et Jodoin Lamarre Pratte et associés architectes / Martin Roy et Associés /SNC-Lavalin remportait une mention honorifique et la distinction Développement durable dans la catégorie BÂTIMENT ICI – PRATIQUES NOVATRICES à l’occasion de la remise des 23e Trophées Innovation et développement durable Contech.
Ces honneurs ont été décernés à l’équipe pour l’intégration architecturale et créative des systèmes électromécaniques, de même que pour la recherche de solutions architecturales concrètes et durables et pour l’intégration audacieuse et sophistiquée des systèmes d’éclairage et d’apport d’air à même le rayonnage métallique standard à la bibliothèque Raymond-Lévesque, à Saint-Hubert.
Maximiser le potentiel énergétique
Le bâtiment a été conçu de façon à maximiser le potentiel éolien et solaire du site. On notera entre autres éléments l’installation d’un plancher radiant au glycol, d’un système géothermique comprenant 20 puits et trois thermopompes, d’un puits canadien et d’un bassin de rétention minérale. Aussi, l’intégration, à même l’enveloppe du bâtiment, d’ouvrants motorisés qui, avec la forme du toit et la cour intérieure, favorisent la ventilation naturelle des locaux et permettent une réduction substantielle des besoins mécaniques ainsi qu’une réduction de 40 % de la consommation d’eau potable.
Les occupants peuvent en outre apprécier les brise-soleil actifs orientés en fonction de l’angle d’incidence du soleil et permettant d’avoir une vue sur l’extérieur sans être ébloui, tout comme le recours au bois local torréfié, encore peu utilisé au Québec et qui allie stabilité, esthétique et pérennité, plus précisément du peuplier jaune et de l’érable, respectivement pour l’enveloppe et pour les aménagements intérieurs.
Environ 90 % des déchets de construction ont été récupérés. Les solutions écologiques retenues représentent près du quart du coût de construction ; la rentabilité de l’investissement prévue est de cinq ans et demi.
Le concept
« Le concept architectural mis de l’avant — le tapis volant — au moment du concours, décrit l’architecte Manon Asselin, proposait de représenter poétiquement les forces de la nature qui agissent sur le bâtiment (vent, eau, soleil), non seulement à travers les stratégies bioclimatiques, mais avant tout en les rendant visibles à travers l’expression architecturale.
« Et, donc, la volumétrie aérienne du bâtiment, le mouvement du vent représenté par la rotation des brise-soleil se poursuivait à l’intérieur par un plafond dont la forme est plastique et topographique. Cette expression architecturale exigeait que la surface du plafond demeure épurée et libre de toute quincaillerie électromécanique (éclairage, grille de ventilation, etc.). La seule solution était donc d’intégrer ces systèmes au rayonnage métallique, étant donné qu’il y a très peu de murs dans une bibliothèque. »
La réalisation
Au niveau de l’éclairage artificiel, les concepteurs ont intégré un appareil fluorescent double inversé au sommet des rayonnages. « Cet éclairage, vers le haut, permet de mettre en valeur la surface articulée des plafonds. Le rayonnage métallique a aussi été adapté avec une tablette de sommet plus profonde qui permettait d’installer un appareil d’éclairage fluorescent linéaire sous la tablette. Cet éclairage, orienté vers le bas et à hauteur d’homme, permet d’avoir un éclairage adéquat pour la sélection des livres », explique Manon Asselin. Dans les deux cas, chaque unité de rayonnage est filée à même ses montants verticaux, depuis le plancher, afin d’alimenter les appareils d’éclairage.
Le bâtiment utilise par ailleurs un système de ventilation mécanique à basse vélocité, poursuit l’architecte. « Puisque la distribution de ce type de système n’est pas nécessairement le sol, nous avons choisi d’intégrer la distribution d’air à même le coup-de-pied des rayonnages en perforant ceux-ci avec le pourcentage d’ouverture adéquat. Ce type de ventilation permet un confort optimal, non seulement grâce à sa basse vélocité, mais aussi à la stratification efficace et passive de l’air vicié. Cette intégration à même le coup-de-pied permet de plus d’économiser sur l’achat de grilles de ventilation ; elle diminue aussi la saleté accumulée dans des grilles au sol et avant tout permet d’éviter la pollution visuelle des surfaces associée avec la surcharge d’accessoires mécaniques. »
Un défi
Il va sans dire que ce type d’intégration exige une coordination serrée des différentes disciplines (architecture, structure et électromécanique) durant la phase de dessin d’exécution et de construction, note l’architecte. « Il fallait par exemple s’assurer que le positionnement des conduits de ventilation sous les dalles était bel et bien aligné avec la position future des rayonnages. Dans certains cas, il y a eu des erreurs sur le chantier, déplore-t-elle.
« Le bilan qu’on en fait est principalement associé à la question d’adaptabilité dans le temps d’un tel système. En effet, la thèse mise de l’avant ici était que, par exemple, si on déplaçait ou éliminait dans le futur des unités de rayonnage, le système était suffisamment flexible pour permettre des modifications. »
La flexibilité associée à la ventilation mécanique, précise-t-elle, avait été conçue afin que le manchon installé dans la dalle puisse recevoir une grille de finition au cas où le rayonnage serait retiré. « Le ragréage au sol associé au conduit électrique, quoique plus petit, sera en fait plus problématique puisqu’il exigera dans le futur des réparations à la surface de plancher, du linoléum dans le cas présent. Enfin, d’un point de vue de l’éclairage artificiel, l’élimination des unités de rayonnage entraîne aussi la perte de source d’éclairage. L’alimentation au sol permettrait ici de mettre en place une nouvelle stratégie d’éclairage indirecte en remplacement. »
L’avenir
« Nous n’avons pas réalisé d’autre projet avec ce haut niveau d’intégration. Mais il est certain que, de notre point de vue, il demeure essentiel de continuer la recherche sur l’intégration des systèmes à l’architecture, et ce, non seulement pour des raisons esthétiques, mais aussi économiques et performatives, souligne l’architecte.
« En ce moment, fait remarquer Manon Asselin, la question de l’interdisciplinarité, je crois, est la source première d’innovation nécessaire pour arriver à contrer la trajectoire destructive en termes des ressources naturelles vers laquelle on se dirige. Et, idéalement, les solutions mises de l’avant par les professionnels et l’industrie ne seront pas simplement d’ordre technique et performatif (ingénierie), mais contribueront aussi à créer des milieux de vie de plus grande qualité du point vue du bien-être des usagers. Ce travail de bien-être — qui n’est pas quantifiable — est central dans l’œuvre de l’architecte.
« C’est d’abord et avant tout un travail d’espace et d’expérience de l’espace en lien avec la perception. Cette qualité de vie n’est pas nécessairement améliorée par des innovations technologiques. La recherche de solutions passives et low-tech demeure, je crois, la première avenue », conclut Manon Asselin.