La manière d'appliquer les critères ESG demeure encore nébuleuse pour certains entrepreneurs en construction. En quoi consistent-ils exactement et comment les intégrer dans son entreprise.
Si pour démarrer, performer et durer, une entreprise doit bien entendu être lucrative, trois autres facteurs sont aussi importants et regardés de plus en plus près par créanciers, investisseurs, assureurs et clients. Il s’agit de l’environnement, du social et de la gouvernance, communément appelés les critères ESG. « Ce sont des facteurs extrafinanciers d’une entreprise ou d’une organisation qui ne se mesurent donc pas en termes de flux d’argent, mais bien par rapport à d’autres lignes directrices », explique Jean-Michel Champagne, responsable à la direction de la transition durable et à la direction des infrastructures au Département de management de HEC Montréal.
L’environnement fait référence à la nature, à la planète Terre comme système. L’aspect social factorise la relation de l’entreprise avec la société qui l’entoure et ses impacts sur elle; il inclut les employés et d’autres sphères comme les organismes publics, le gouvernement, le voisinage. La gouvernance, quant à elle, ramène aux notions d’éthique, elle concerne l’idée de travailler aussi pour le bien collectif et de manière durable.
Il importe, pour une entreprise, d’installer un certain équilibre entre ces trois sphères, sans oublier non plus l’aspect financier. Le spécialiste, aussi chargé de cours en responsabilité sociale des entreprises, suggère de faire une analogie avec une table : « Si on ne met l’effort que dans une seule de ses pattes, l’argent par exemple, la table a un débalancement et finira par s’effondrer. On cherche donc à la stabiliser pour obtenir les meilleurs résultats possible », illustre-t-il. À contrario, si une entreprise mettait tous ses oeufs dans un seul autre facteur sans se soucier de l’aspect financier, elle ferait faillite. « Certaines entreprises ont des taux de roulement plus élevés, plus de scandales, sont plus polluantes; c’est parce qu’elles ont un déséquilibre. Ça ne veut pas dire qu’elles ne fonctionnent pas, mais simplement qu’elles ne sont pas durables et qu’elles n’atteignent pas leur plein potentiel. »
Se commettre sans commettre d’erreurs
Il ne faut surtout pas percevoir les critères ESG comme des outils de communication marketing, avance Jean-Michel Champagne. « Historiquement, les rapports extrafinanciers en étaient souvent. Les équipes de communication et de rédaction étaient parfois chargées du développement durable dans l’entreprise. C’est devenu une erreur parce que, ultimement, leur objectif est de rehausser l’image et le prestige, alors que les critères ESG sont plutôt des facteurs d’évaluation des risques pour les parties prenantes, comme les actionnaires, les créanciers, les investisseurs, les subventionnaires, les assureurs et les clients », insiste le spécialiste.
La faute est donc de suivre la mode, de créer de jolis rapports, ce qui démontre que les entrepreneurs ne comprennent pas pour qui ils intègrent les critères ESG à leur entreprise. « Les assureurs, qui veulent réduire leurs risques et leur exposition, resteront insatisfaits. Le gouvernement qui subventionne veut voir l’impact. Les créanciers, les prêteurs veulent s’assurer que l’entreprise demeure résiliente et solide. » Les critères ESG sont donc des outils de prise de décision.
Dans un autre ordre d’idées, pour le chargé de cours, un gestionnaire ne devrait pas être évalué uniquement sur la performance financière de son groupe, mais aussi sur son taux de roulement, par exemple. « Si les employés quittent parce qu’ils ont des conditions de travail épouvantables, mais que d’autres personnes arrivent et les remplacent, le cadre s’en sort bien. Néanmoins, il ne devrait pas être considéré comme ayant du succès, parce qu’il a une faiblesse d’un point de vue social », met-il en lumière.
Se dépasser
L’implication des personnes au sommet, au milieu et en bas est essentielle dans le processus d’implantation des critères ESG. Il s’agit en effet d’un travail collectif. « Il faut qu’il y ait une communication et des échanges entre tous les niveaux de l’organisation pour voir une performance à la fois financière et responsable. C’est comme ça qu’on va aller plus loin », avance Jean-Michel Champagne. Les employés peuvent par exemple agir sur des cibles environnementales. La réduction d’eau, de déchets, de consommation d’énergie est concrète et leur est accessible. « Ce sont des cibles que les employés devraient pouvoir suivre, auxquelles ils peuvent contribuer autrement que via une simple boîte à idées. Il faut vraiment que les employés soient sensibilisés à la performance financière et extrafinancière de l’entreprise. »
Si de grands groupes comme Pomerleau ou encore Montoni comprennent souvent très bien les critères ESG et leur application, les petites et moyennes entreprises (PME) en construction gagneraient à les intégrer aussi, même si rien ne les y oblige, légalement parlant. « Il faut comprendre que la mouvance des facteurs ESG n’est pas nécessairement quelque chose à quoi une PME à capital fermé devra répondre à court terme. Mais elle sera néanmoins touchée de plein fouet, et ce, de manière rude et rapide, par les déclarations de ses chaînes de valeur », note le spécialiste. Il ne s’agira plus simplement de fixer un prix pour réaliser un service de construction, mais de rendre des comptes par la suite. Origine des matériaux, santé-sécurité, mode de construction, émissions polluantes : tout comptera de plus en plus, pour les clients comme pour les banquiers. « C’est le genre de questions maintenant qu’un investisseur posera en entrant dans une entreprise, non pas pour décider s’il investira ou non, mais afin de savoir par où commencer pour lui donner une valeur et la rendre plus robuste », observe en terminant Jean-Michel Champagne.
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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