Le moment est venu de s’attarder aux orientations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) en raison des investisseurs qui y accordent de plus en plus d’importance, mais aussi en vue de la réglementation gouvernementale qui exigera plus de transparence de la part des compagnies.
De l’avis de Pierre Taillefer, associé et chef national, développement durable et ESG chez BDO Canada, toutes les entreprises seront éventuellement évaluées selon les perspectives ESG. C’est-à-dire qu’en plus de présenter leurs résultats financiers, elles devront intégrer efficacement les perspectives ESG à leurs activités et démontrer leur responsabilité économique et sociale. D’ailleurs en Europe, la réglementation sur la finance durable, la taxonomie européenne, est déjà en vigueur.
Rappelons qu’en 2022, le gouvernement fédéral a présenté son Plan de réduction des émissions pour 2030, dont la cible est fixée à 40 % des émissions par rapport aux niveaux de 2005. Parmi les objectifs de ce plan, on retrouve entre autres l’écologisation des maisons et des bâtiments et de l’aide pour les industries dans leur adoption des technologies propres et leur transition vers la carboneutralité.
Le secteur de la construction, qui représente un moteur économique important, est donc une industrie qui se trouve au coeur des préoccupations liées aux critères ESG. Selon Andrée De Serres, professeure et titulaire de la Chaire Ivanhoé Cambridge d’immobilier, directrice de l’Observatoire et centre de valorisation des innovations en immobilier (OCVI2), tous les secteurs économiques sont touchés par ces enjeux, mais ceux des secteurs de la construction et de l’immobilier le sont encore plus. « Le bâtiment en soi, c’est un producteur de GES et un consommateur de ressources. L’entreprise qui veut un contrat de construction doit s’entendre avec un donneur d’ouvrage qui à son tour doit aller chercher son financement. Sauf que, d’ici peu, les grandes institutions financières vont exiger la divulgation des GES dans les états financiers pour accorder un prêt, par exemple. C’est là que la roue tourne. »
Dans cette même ligne de pensée, Julie-Anne Chayer, vice-présidente — responsabilité d’entreprise chez Groupe AGÉCO, un chef de file dans les secteurs de l’économie agroalimentaire et de la responsabilité sociale et environnementale, explique qu’en fait « on peut résumer que ESG remplace ce qu’on appelait auparavant la responsabilité corporative. Le bon citoyen corporatif doit maintenant démontrer ses valeurs, son empreinte et sa gestion. La stratégie ESG est directement reliée à la finance durable en réponse à des critères d’investisseurs qui, eux, doivent répondre aux enjeux de développement durable. »
Comment entreprendre un virage ESG ?
Le premier pas est de réaliser le diagnostic de son entreprise, affirme Pierre Taillefer. « On se pose les questions en partant du moment présent : qu’est-ce que j’ai comme mesures environnementales en place ? Quelles sont mes politiques internes ? Qu’est-ce que je suis capable de chiffrer ? Mais aussi, qui sont mes partenaires, mes investisseurs, mes clients… il faut d’abord dresser le portrait exact de nos indicateurs, pour éventuellement en faire un audit. »
Les trois experts rencontrés soulignent que toutes les entreprises seront éventuellement évaluées selon des perspectives de transparence en matière de développement durable et on leur demandera d’auditer leurs facteurs durables, de quantifier les GES et de présenter leur gestion des ressources, leur politique d’inclusion et d’autres principes sociaux de diversité. Il s’agit du point de départ pour évoluer vers un changement de pratiques dans toute la chaîne de production. Tous s’entendent pour dire qu’une telle démarche doit tout d’abord être entreprise par les hauts dirigeants afin de faire percoler les valeurs et les actions dans toutes les strates de la compagnie, Pour Andrée De Serres, « personne ne part de zéro; l’économie locale, la durée de vie des matériaux, l’efficacité énergétique des composantes d’un bâtiment, ce sont des aspects déjà considérés par les constructeurs. Maintenant, c’est de s’améliorer et d’être prêt à rendre des comptes sur ces enjeux. »
Les avantages de s’y intéresser maintenant
À première vue, il peut sembler hasardeux et préoccupant pour une entreprise de se lancer dans la mise sur pied concrète d’une stratégie ESG. Pour Andrée De Serres, c’est plutôt une occasion en or de propulser son entreprise sous une bonne chaîne de valeurs : « Le milieu politique est favorable aux critères ESG, les jeunes sont reconnus pour être plus écoanxieux et, de ce fait, être plus attirés à travailler pour un employeur qui adhère à des principes sociaux et durables ». Elle ajoute aussi que les assureurs seront de plus en plus enclins à évaluer les risques de l’entreprise avant d’accorder un financement.
De l’avis de Julie-Anne Chayer, il va de soi que, tôt ou tard, les entreprises de construction seront appelées à développer leur rôle-conseil en tant que constructeur vers les investisseurs et les donneurs d’ouvrage. « Juste cette année, certaines régions ont connu des pluies intenses et des feux de forêt. On doit être en mesure d’évaluer les risques et d’avoir une vision à 360 degrés avant de construire un bâtiment. Les entreprises de la construction peuvent améliorer leur expertise pour répondre à ces besoins de durabilité », ajoute-t-elle.
Pour l’ensemble des intervenants rencontrés, il s’agit d’une avenue importante dans la création de valeur ajoutée pour l’expertise d’une entreprise de construction. « Imaginez le nombre de bâtisses qui devront être mises aux normes dans les prochaines années ! L’entreprise qui a prouvé son efficacité en matière de stratégie ESG risque d’avoir une foulée d’avance sur ses compétiteurs », soutient Andrée De Serres.
Dans un avenir plutôt rapproché, Pierre Taillefer affirme que, pour répondre à un appel d’offres, le dépôt d’un rapport ESG sera requis : « En tant qu’entreprise en construction, on devra montrer à notre donneur d’ouvrage la capacité durable du bâtiment. Les locateurs et les locataires vont demander ces renseignements pour ensuite les diffuser dans leurs propres rapports d’émission de gaz à effet de serre. »
Changer le rapport à la performance
« La performance d’une organisation est grandement basée sur son portrait financier présentement. Il faut changer ce rapport. Maintenant, la performance est plutôt basée sur la façon dont tu es arrivé à réussir financièrement, sur ton impact et sur l’efficacité de ton entreprise », explique Pierre Taillefer.
Madame Chayer conclut en expliquant que l’entreprise agile qui aura un pas de fait dans une démarche d’efficacité durable sera d’un point de vue une meilleure citoyenne corporative : « Une entreprise qui présente à ses parties prenantes une démarche ESG va s’assurer d’une longueur d’avance et renforcer sa position de leader dans son domaine d’expertise. »
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
Ce sujet pique votre curiosité ? Lisez tous les articles du dossier LES LEADERS DE LA CONSTRUCTION 2023 :
- Les Leaders de la construction 2023
- Heures travaillées : les leaders au Québec en 2022
- Les chefs de file des heures travaillées par métier en 2022
- Les critères ESG : un outil de gestion incontournable
- Responsabilité sociale des entreprises : attirer et rétenir des talents
- Pénurie de main-d’oeuvre : toujours aussi importante sur les chantiers ?
- Découvrir la certification B Corp
- Nouveaux gestionnaires : maîtriser son savoir-être
- Envisager la rémunération flexible
- Lente progression de la mixité sur les chantiers
- Favoriser sa croissance grâce à une acquisition réussie
- L’expansion réussie du Groupe Moreau
- Pour ou contre l’intelligence artificielle dans son entreprise ?