Plus de 70 ans après la construction du premier pont routier en aluminium au Québec, ce métal peine toujours à s’imposer au sein de ces grandes structures. Or, la situation serait sur le point de changer.
« D’ici cinq ans, nous devrions être capables de faire des ponts en aluminium comme on fait des ponts en acier-béton », prédit le responsable du chantier Infrastructures et ouvrages d’art chez AluQuébec, Mario Fafard. Ces dernières années, cet ingénieur civil s’est donné comme mission de convaincre les donneurs d’ouvrage de favoriser ce matériau, dont les avantages sont majeurs : léger, esthétiquement beau, durable et résistant à la corrosion atmosphérique.
Des avantages considérables
« Je dis toujours à la blague que si le pont de Québec était en aluminium, on n’en parlerait pas. L’aluminium, ça ne rouille pas et ça ne se corrode pas », illustre-t-il, en faisant référence aux nombreux travaux effectués sur ce pont depuis sa construction au début des années 1900. Selon l’Association de l’aluminium du Canada, l’importante détérioration de platelages de ponts en béton armé causée par l’utilisation du sel de déglaçage est une autre raison qui favorise l’utilisation de ce matériau.
En plus de ses qualités évidentes, ce métal ne manque vraiment pas au Québec. La province compte neuf alumineries, dont la capacité de production d’aluminium primaire totalise 2,8 tonnes, soit 90 pour cent (%) de la production canadienne. Le pays se classe au quatrième rang mondial à ce chapitre.
Malgré tout, seulement deux ponts sont construits avec ce matériau au Québec : celui d’Arvida au Saguenay, construit en 1950, et celui de Saint-Ambroise, situé dans la même région, dont le platelage d’aluminium a été ajouté en 2015.
Trop cher, l’aluminium ?
Pourquoi donc l’aluminium est-il aussi peu utilisé dans la construction des ponts par rapport au béton, à l’acier et au bois ? Mario Fafard avance deux raisons. Premièrement, le manque de connaissances des ingénieurs quant à ce matériau représente un frein majeur à son utilisation. À l’heure actuelle, les programmes de formation offrent peu d’enseignement sur le sujet. Deuxièmement, le ministère des Transports du Québec (MTQ) est encore réticent à l’utiliser. « Le MTQ est prudent. Il veut s’assurer qu’il n’y ait pas de problème avec l’aluminium dans le futur », souligne l’ingénieur civil.
Toutefois, cette réserve n’est pas uniquement motivée par des questions de sécurité. Le MTQ, qui applique sa politique du plus bas cout, hésite à favoriser ce métal puisque son prix initial est plus élevé que l’acier ou le béton. Or, sur une durée de vie de 75 ans, l’aluminium serait moins dispendieux puisqu’il demande moins d’entretien.
Une étude de l’Université Laval a comparé les couts du cycle de vie d’un pont non composite aluminium-acier et d’un pont composite béton-acier. Les résultats ont démontré que le prix initial d’un platelage en aluminium est deux fois plus élevé que celui d’une dalle de béton mais que, globalement, il est quatre fois moins élevé sur l’ensemble du cycle de vie.
« Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas un changement de mentalité au Conseil du trésor et que l’on ne calculera pas les sommes investies sur la durée de vie d’un pont, l’aluminium sera défavorisé », soutient-il.
Un changement de culture
Il semble cependant que ce changement de culture soit en train de s’opérer. D’abord, Québec utilise de plus en plus l’aluminium dans le secteur du génie civil, que ce soit pour ses panneaux de signalisation ou pour ses lampadaires. Ensuite, d’ici 2022, le MTQ compte investir environ cinq millions de dollars dans un projet de recherche qui vise à développer un platelage en aluminium testé en laboratoire à l’Université Laval. Ce platelage sera installé sur un pont dont la construction est prévue en 2022 dans le secteur de Montmorency à Québec. Ensuite, cette structure sera examinée et analysée pendant quelques années pour comprendre comment elle se comporte.
AluQuébec voit une belle occasion de développer son expertise qui va ensuite permettre au Québec d’exporter son produit notamment aux États-Unis ou ailleurs au Canada. Au cours des prochaines décennies, plus de mille ponts devront être remplacés ou réparés seulement dans le nord-est de l’Amérique du Nord, offrant une belle occasion d’affaires aux producteurs d’aluminium.
Les passerelles ouvrent la voie
Si les ponts en aluminium sont peu nombreux au Québec, ce n’est pas le cas des passerelles. Mario Fafard en a dénombré 44 à travers la province, dont certaines sont situées dans des ports ou au sein d’installations industrielles, où l’on valorise la haute résistance à la corrosion qu’offre ce matériau. De plus, ces passerelles ont la caractéristique d’être légères, pouvant donc être construites en usine pour être ensuite transportées. Ce n’est pas toujours le cas pour les passerelles en acier.
Selon l’ingénieur, il y a moins de réticence à construire des passerelles principalement parce que ce n’est pas le MTQ qui est le donneur d’ouvrage. Par exemple, celle du canal de Lachine à Montréal appartient à Parcs Canada, alors que la structure à Chandler en Gaspésie est la propriété de la Ville. Comme pour les ponts, les passerelles fabriquées avec ce matériau demandent très peu de travaux de réparation. La plus vieille, construite en 1985, est impeccable et n’a eu à subir aucun entretien. « Une entreprise qui ne construirait pas une passerelle en aluminium aujourd’hui, je ne la comprends pas », lance l’ingénieur civil.
Celui-ci rêve, un jour, de dire la même chose pour les ponts. Entretemps, AluQuébec veillera à ce qu’il y ait plus d’enseignement sur ce métal dans les formations de génie civil et continuera à faire valoir les mérites de ce matériau.
Nul besoin de se rendre bien loin pour visiter le plus vieux pont routier d’aluminium au monde. Construit par Alcan, peu après la Seconde Guerre mondiale en 1950, cette structure de 154 mètres de long sur 19 mètres de large est située à Arvida, au Saguenay.
« Durant la guerre, l’aluminium était beaucoup utilisé pour construire des avions. Mais comme la guerre était terminée, Rio voulait trouver un autre marché et a décidé de l’utiliser dans l’infrastructure civile », raconte Mario Fafard.
Ce pont était également nécessaire pour soutenir la croissance démographique de la rive nord de la rivière Saguenay et fait maintenant partie du patrimoine canadien en matière de génie civil.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2021. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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