Déployés notamment lors de la construction d’infrastructures souterraines et de fondations, les travaux en tranchée rythment nombre de chantiers. Malgré l’application de mesures de sécurité et le caractère commun de ce type de travaux, comment se fait-il que des accidents de travail, parfois mortels, se produisent encore de nos jours ?
«Le risque le plus important, c’est l’effondrement », prévient Maxime Robert, inspecteur à la direction de la prévention-inspection de la Rive-Nord, à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « Qu’il soit total ou même partiel, il fait l’objet d’une tolérance zéro à la CNESST », spécifie-t-il. Et pour cause. Le risque est réel et les conséquences, dramatiques. Même lors de situations où on ne les soupçonne pas.
Un sol particulier
Classe à part des accidents de travail, les accidents liés aux éboulements en tranchée ont de particulier leur élément déclencheur, qui n’est pas nécessairement dû à un facteur humain. L’erreur humaine, dans un cas classique d’effondrement de parois, serait plutôt de ne pas avoir bien anticipé et pris les mesures adéquates pour pallier un éboulement potentiel. Tout part du sol, véritable source de danger. Bertrand Galy, ingénieur et chercheur en prévention des risques chimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), précise : « Le gros souci, c’est que, la plupart du temps, il n’y a pas de signes avant-coureurs qui vont annoncer un accident imminent. »
Le risque d’effondrement serait d’ailleurs plus élevé au Québec, particulièrement sur l’étendue habitée longeant le fleuve Saint-Laurent en raison de son type de sol plutôt unique que l’on retrouve très peu ailleurs au Canada et aux États-Unis. Ancienne mer de Champlain, cette superficie est héritière d’un sol aux propriétés géotechniques propices aux glissements de terrain. Argileux et saturé d’eau au printemps venu, il est plus instable qu’ailleurs. Sa réactivité s’en trouve ainsi augmentée et, de ce fait, son indice de dangerosité aussi. Sous les pieds des travailleurs oeuvrant en tranchée guette un véritable danger.
Une évaluation difficile
Creuser en tranchée peut donc se révéler problématique. Les mesures préventives doivent être à la hauteur des conséquences encourues. Le hic, c’est que ce n’est pas si clair pour les entrepreneurs, un peu laissés à eux-mêmes et à leur bon jugement, selon la législation actuellement en vigueur au Québec. « Il n’y a pas beaucoup d’indications pratico-pratiques pour les entrepreneurs. On leur dit d’étançonner quand il y a un risque d’effondrement, mais la difficulté c’est justement d’estimer quand il y a un risque et quand il n’y en a pas », résume Bertrand Galy.
Pour l’heure, les travaux en tranchée sont encadrés par le Code de sécurité pour les travaux de construction, à son article 3.15.3. L’étançonnement est obligatoire en tout temps dès un creusement de 1,2 mètre (m) de profondeur. En deçà de cette profondeur, certains critères statuent sur l’obligation, ou non, d’installer un étançon. Cette pratique n’est pas obligatoire, notamment si le creusement est effectué à même un roc sain, ou lorsque les parois ne présentent pas de risques de glissement de terrain et que leur pente est inférieure à 45 degrés terrain est susceptible d’avoir lieu lorsque : la pente est supérieure à l’angle de repos au sol, il y a un gonflement de la paroi, le sol est fissuré, il y a une présence d’eau non négligeable ou des blocs se détachent de la paroi. Autant de variables influençant l’évaluation du risque encouru et qui nécessitent l’avis « personnalisé » d’un ingénieur – qui demeure d’ailleurs non exigé – et dont l’interprétation est laissée à l’employeur. La prise de décision par une personne ne possédant pas d’expertise en la matière peut alors se révéler un véritable coup de dé.
Dans la pratique, les boites de tranchée en acier conçues par des ingénieurs et couramment employées sur les chantiers sont utilisées en lieu et place d’un avis professionnel. Il s’agit donc d’une pratique jugée sécuritaire, bien qu’insuffisante. À noter que, même si l’utilisation d’un étançon est un critère incontournable de sécurité, sa seule présence n’élimine pas les risques pour autant. Encore faut-il appliquer les bonnes pratiques d’utilisation, sinon on pourrait voir se répéter des accidents de travail liés à des procédures bâclées, comme un retrait mal ordonné.
Ensevelissement partiel, risque total
Nul besoin de spécifier les risques liés à un ensevelissement total. Les dangers d’un ensevelissement partiel, en revanche, demeurent moins connus. Selon un projet de recherche de l’IRSST, un éboulement mineur de moins d’un mètre cube de terre à lui seul est suffisant pour blesser sévèrement un travailleur et peut, éventuellement, le tuer. Le phénomène est connu sous le nom de syndrome des ensevelis, aussi appelé syndrome de Bywaters, qui concerne l’impact de compression et ses graves conséquences physiologiques. Il a été décrit pour la première fois lors de la Première Guerre mondiale – véritable guerre de tranchées – sur des militaires ensevelis.
Même enseveli uniquement jusqu’à la taille, un travailleur se retrouve en situation critique et une véritable course contre la montre doit avoir lieu, sans nécessairement l’extirper rapidement de sa fâcheuse position. Ses membres inférieurs fortement comprimés ont pour effet de produire des toxines, lesquelles sont libérées dans tout l’organisme par l’effet de relâchement de la pression lorsqu’il est dégagé de terre. Les conséquences d’un dégagement mal exécuté peuvent être à ce point sérieuses que certaines pratiques de secourisme préconisent un plan de dégagement précis, parfois par un dégagement progressif du corps et un relâchement lent de la pression, dont les interventions sont déterminées par la durée de l’ensevelissement. Dans tous les cas de figure, une assistance des services d’urgence est requise immédiatement : « Le Code prévoit l’établissement d’un plan d’urgence et une procédure de sauvetage élaborés, et les travailleurs doivent en être informés », rappelle Maxime Robert.
L’IRSST propose une classification des sols qui serait adaptée au sol québécois, comme il en existe ailleurs dans la législation d’autres provinces canadiennes ainsi qu’à l’international. Déjà à l’ordre du jour dans le passé auprès du comité de réglementation chargé de la modernisation du Code de sécurité pour les travaux de construction, elle n’aurait cependant pas encore été adoptée. Bien que de nombreux efforts soient réalisés par la CNESST afin d’éliminer les risques liés aux travaux en tranchée, certains éléments restent donc à bonifier. Quelle serait donc la meilleure pratique sur les chantiers ? « Pour réduire les risques, il serait plus prudent d’étançonner en tout temps », explique le chercheur.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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