Quel rôle peut jouer la bienveillance dans la prévention des risques psychosociaux au travail ?

8 octobre 2024
Par Aurélia Crémoux

Même si certains mythes associent la bienveillance au laxisme, plusieurs études ont au contraire démontré ses bienfaits dans un environnement de travail. Augmentation de la motivation, rétention des employés, baisse des facteurs de stress, hausse de la rentabilité en sont quelques exemples.

Selon une étude de l’Observatoire sur la santé et lemieux-être au travail, 38,4 % des travailleurs ressentaient de la détresse psychologique en milieu de travail entre 2021 et 2023. Le manque de reconnaissance, la surcharge de travail, la difficulté à concilier la vie professionnelle et vie familiale peuvent peser sur la santé psychologique d’un travailleur.

 

Selon Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations (CREIO), il existe d’autres facteurs de risques psychosociaux au travail. « La qualité de la relation du travailleur avec sa hiérarchie et la capacité de celle-ci à donner une direction claire et inspirante et à résoudre les conflits en milieu de travail sont très importantes », souligne Mme Morin.

 

Lutter contre les enjeux de santé mentale au travail

Les recherches de Jacques Forest, professeur titulaire à l’ESG UQAM, ont mis en évidence l’influence majeure que l’environnement de travail peut avoir sur la motivation et le bien-être des employés lorsqu’il satisfait adéquatement les trois besoins fondamentaux de l’être humain : l’autonomie, la compétence et le sentiment d’appartenance.

 

Il ajoute que selon la théorie de l’autodétermination développée par le chercheur finlandais Frank Martela, il existerait un quatrième besoin fondamental, celui de la bienveillance. « La bienveillance est une valeur morale très importante qui conditionne nos comportements sociaux, ajoute Mme Morin.

 

Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. Crédit : Courtoisie HEC

 

C’est aussi une attitude, une disposition personnelle à veiller sur le bien d’autrui, basée sur des échanges réciproques. » Marie-Ève Lécine, conseillère d’orientation et fondatrice de Let it be Méditation, précise qu’en milieu de travail, la bienveillance peut s’exprimer de différentes façons, par exemple en offrant un espace de dialogue, et en s’écoutant sans se couper la parole. « C’est important également de faire des petits gestes de bienveillance au quotidien, comme de tenir la porte, de remercier pour le travail accompli, de montrer de la reconnaissance sincère et de laisser le droit à l’erreur », poursuit-elle.

 

La bienveillance peut aussi s’exprimer sous forme de soutien matériel, ou en amenant une certaine flexibilité aux travailleurs qui en ont besoin, par exemple, que ce soit ponctuellement ou sur le long terme.

 

Pour Jacques Forest, la bienveillance au travail se matérialise aussi par le besoin de « faire le bien et montrer qu’on fait une différence dans la vie des gens ». Il illustre son propos par un exemple : « Dans une entreprise super capitaliste où le boss s’en met plein les poches, le travailleur sera juste là pour faire de l’argent [sans se soucier forcément de la qualité du travail], alors que s’il travaille dans une entreprise qui crée des milieux de vie durables qui permettent de loger des gens à un prix raisonnable tout en faisant vivre l’entreprise, il aura plus de sens dans son travail. »

 

Jacques Forest, professeur titulaire à l’ESG UQAM. Crédit : Courtoisie UQAM

 

La bienveillance permet aussi de réduire les facteurs psychosociaux liés aux risques physiques, en chantier par exemple. « Offrir un environnement sain et sécuritaire, apporter des mécanismes de surveillance, savoir qu’on peut compter sur son gestionnaire et ses collègues de travail même si les conditions environnementales changeaient est très important », ajoute Mme Morin.

 

La professeure constate que plusieurs études ont évalué les comportements des travailleurs en milieu de travail bienveillant et non bienveillant. « On a constaté une augmentation de la performance, une baisse du nombre d’accidents et d’arrêts de travail et une augmentation de l’engagement des travailleurs quand le leadership est bienveillant », rapporte-t-elle.

 

Il est aussi important de faire preuve « d’autobienveillance », poursuit-elle, car il est difficile d’être bienveillant avec les autres si on ne l’est pas avec soi-même. « Il faut reconnaître que nous sommes des humains, qu’on peut faire des erreurs, et accepter les choses qu’on ne peut pas changer », explique Mme Morin.

 

Implanter la bienveillance dans les organisations

Mais être bienveillant, selon Estelle Morin, demande parfois du courage : « On peut être placé dans une situation de type dilemme, où on doit choisir ce qui est bon pour le groupe, ce qui est bon à faire devant une situation qui comporte parfois un danger. » Pour cela, selon elle, il faut faire preuve d’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire être capable de réguler les émotions que comporte la situation, gérer son anxiété et sa frustration et faire preuve de compassion.

 

Marie-Ève Lépine. Crédit : Stéphane Leblanc

 

« Le monde de l’entreprise est un monde de sensibilité dans lequel il y a une grande diversité de profils, précise Marie-Ève Lépine. Il faut être stratégique pour prendre soin de cette sensibilité et pour que l’entreprise ne soit pas à la traîne. » C’est pour cela qu’elle a créé une formation sur le leadership intérieur, pour aider les gestionnaires à devenir plus conscients, positifs et bienveillants.

 

Elle observe tout de même que certaines entreprises ne prennent pas le temps d’implanter de tels changements. « Tout ce qui est de l’ordre de l’opérationnel va être priorisé généralement, constate Mme Lépine. Consacrer chaque semaine une plage horaire dans son calendrier pour implanter ces pratiques va peut-être prendre du temps à court terme, mais va en faire gagner à long terme. »

 

BIENVEILLANCE OU GENTILLESSE ?

La bienveillance est une valeur morale qui engage à veiller sur le bien commun et à prendre la décision qui sera la meilleure pour le bien d’un individu ou d’un groupe, sans essayer de plaire ou de déplaire. Alors que la gentillesse est un trait de caractère. Selon le dictionnaire Larousse, la gentillesse définit le caractère de quelqu’un qui est d’une complaisance attentive et aimable et qui fait preuve de bonté.