7 octobre 2020
Par Marie Gagnon

Pour plusieurs, la reprise des activités post-confinement est synonyme de stress et d’anxiété. Voici comment en limiter les effets indésirables.

Le travail c’est la santé, chantait Henri Salvador. Vraiment ? Alors que la pandémie de COVID-19 n’a toujours pas dit son dernier mot, cet adage popularisé par le célèbre chanteur de charme prend un tout autre sens. La relance des chantiers, après deux mois de confinement, réunissait en effet tous les ingrédients pour susciter stress et appréhensions chez les travailleurs comme chez leurs employeurs. Dans un contexte aussi anxiogène, comment favoriser la santé psychologique en milieu de travail ?

 

Chercheuse en santé psychologique au travail à l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST), Alessia Negrini explique d’entrée de jeu pourquoi la crise sanitaire qui secoue la planète peut être vécue de façon extrêmement stressante : d’abord parce qu’elle est associée à un déclencheur (virus SRAS-CoV-2); ensuite parce qu’elle est perçue négativement (menace pour la survie); et, enfin, parce qu’elle est incontrôlable (absence de traitement). Sans parler du battage médiatique dont elle fait l’objet et qui entretient un climat délétère.

 

Les impacts

« Une des principales causes de ce stress, c’est d’apprivoiser une réalité qui n’a jamais été vécue auparavant, mentionne-t-elle. Il s’agit d’une situation particulière et inhabituelle, qui nécessite des ajustements de la part des travailleurs et des organisations, car elle comporte des défis qui demandent une certaine adaptation. Le stress peut alors découler de mauvaises stratégies d’adaptation, d’un manque de flexibilité ou de ressources insuffisantes pour faire face à la situation. »

 

Alessia Negrini, dhercheuse en santé psychologique au travail à l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST) - Photo: IRSST

 

La crise sanitaire impose en effet de nouvelles façons de faire au chantier. Il suffit de penser aux contrôles à l’entrée, au port d’un couvre-visage ou aux mesures de distanciation physique, pour n’en nommer que quelques-unes. Mais, pour que ces changements ne soient pas perçus négativement, encore faut-il qu’ils soient gérés efficacement et que le style de gestion des dirigeants soient en adéquation avec cette nouvelle réalité.

 

Les risques

À défaut de satisfaire à ces conditions préalables, il y a fort à parier que la vie au chantier se déroulera sous le signe de l’anxiété. Et que cette anxiété se répercutera sur le rendement des travailleurs, entrainant dans son sillage une diminution de leur capacité d’attention et de concentration. Avec, à la clé, un risque de blessures plus élevé. Un risque qui pourra éventuellement être aggravé par une insomnie dite d’anxiété, laquelle se traduira par une baisse de la vigilance et des manifestations d’impatience.

 

Rappelons au passage que les effets du stress ne sont pas que négatifs. Le stress joue aussi un rôle adaptatif, en rendant les individus plus attentifs à ce qui les entoure et en les prédisposant à agir. C’est le fameux « Fight or Flight » des anglo-saxons, traduit dans la langue de Molière par « se battre ou s’enfuir ». Poussée à l’extrême, cette logique peut cependant se manifester tantôt par une agressivité exacerbée, tantôt par un retrait social ou un comportement autodestructeur, comme la toxicomanie.

 

Pour éviter de tels extrêmes et favoriser le bien-être de ses travailleurs malgré la menace qui plane, l’employeur devra définir les comportements attendus et ceux jugés inappropriés, comme l’incivilité et l’intimidation, qu’elles soient verbales ou numériques. Il proscrira également toute forme de violence sur le lieu de travail, y compris de la part des fournisseurs et des sous-traitants. « Il est primordial de maintenir un climat de travail sain et des relations harmonieuses entre les individus », insiste Alessia Negrini.

 

Elle ajoute que la santé au travail, c’est avant tout une question d’équilibre. Avec la relance des chantiers, les travailleurs ont retrouvé leur identité professionnelle et se sentent de nouveau utiles. Deux facteurs qui contribuent à l’équilibre émotionnel chez l’humain. Mais les travailleurs de chantier ne sont pas les seuls à avoir été impactés par la crise sanitaire.

 

Le télétravail

Le 24 mars 2020, lorsque est entré en vigueur le décret gouvernemental ordonnant la fermeture des entreprises non essentielles, les dirigeants et les gestionnaires du secteur de la construction, tout comme leurs employés de bureau, ont pris le chemin de leur domicile. Du jour au lendemain, la pandémie bouleversait le monde du travail, poussant les entreprises à recourir massivement au télétravail pour assurer la continuation de leurs activités.

 

Ce télétravail forcé, qui prévaut encore dans certaines organisations, a généré lui aussi son lot d’inconfort et d’inquiétude. « Jusque-là, travailler de son domicile était plutôt anecdotique et la référence restait le bureau, note Alessia Negrini. Mais avec le confinement, la pratique s’est mise en place rapidement, sans préavis et sans aucune préparation. Une réorganisation du travail aussi rapide ne va pas de soi et peut être source de stress et de détresse. Pour y faire face, il faut d’abord un minimum de ressources, comme un ordinateur, des logiciels et un accès à distance. »

 

Si certains étaient déjà bien installés pour faire face à la situation, d’autres ont vu basculer leur univers. Pour plusieurs, le télétravail est venu empiéter sur leur vie personnelle, chamboulant du coup leurs habitudes de vie. Pour en contrer les effets pervers, Alessia Negrini suggère d’abord d’organiser la sphère privée. Elle recommande notamment de prévoir une pièce fermée réservée à l’activité professionnelle pour éviter les interruptions, surtout lorsqu’on a des enfants.

 

Le bureau dédié facilitera par ailleurs les interactions avec les autres membres de l’équipe, que ce soit par appel vidéo ou par conférence téléphonique. Mais encore là, il faut éviter l’invasion de la sphère privée et poser des limites. Bien que les écoles et les garderies aient rouvert leurs portes, les gestionnaires doivent tenir compte de ces paramètres lorsqu’ils communiquent avec leurs subalternes. Pour un parent, il peut être difficile de participer à une réunion à midi, si les enfants sont à la maison.

 

« Il faut aussi penser à établir une routine et un horaire de travail, conseille Alessia Negrini. C’est une bonne façon de faire face au stress et cela a un effet positif sur la santé mentale. Car la santé mentale, c’est avant tout une question d’équilibre. Lorsqu’un déséquilibre s’installe, les gens ressentiront de l’insécurité et éprouveront un sentiment d’impuissance. Pour relever le défi du télétravail, ils doivent disposer des bonnes ressources, mais aussi compter sur la bonne volonté de leurs supérieurs. »

 

LES DÉFIS D’UNE PANDÉMIE

Organisationnels

  • Prévenir la propagation : informer les travailleurs des mesures de protection mises en place et fournir les équipements de protection individuels requis
  • Gérer le personnel sur place et à distance : former les gestionnaires sur les meilleures pratiques pour réduire le niveau de stress

Individuels

  • Prévenir la propagation : informer les travailleurs des mesures de protection mises en place et fournir les équipements de protection individuels requis
  • Gérer le personnel sur place et à distance : former les gestionnaires sur les meilleures pratiques pour réduire le niveau de stress
  • Faire face à ses peurs : se concentrer sur des émotions positives et consulter les services de soutien offerts dès que le stress dépasse la capacité d’adaptation
  • Apprendre de nouvelles procédures de travail : partager avec les collègues les stratégies gagnantes