Mettre en scène son chantier : la prise d’images automatisée

10 juin 2019
Par Marie Gagnon

Au-delà de l’outil promotionnel, la prise d’images automatisée permet de suivre le chantier et d’en vérifier la conformité en temps réel.

Qu’ont en commun les chantiers d’Humaniti, du Campus MIL, de l’échangeur Turcot et de la nouvelle Maison de Radio-Canada? Ils sont mitraillés en permanence par des webcams posées ici et là. Une pratique qui se répand auprès des grands donneurs d’ouvrage du Québec, où elle est surtout exploitée à des fins promotionnelles et de communication. Les plus belles photos sont sélectionnées, scénarisées puis montées en timelapse, ce film en accéléré qui met en scène les temps forts du chantier.

 

Mais la technologie va bien au-delà des belles images. Appuyée par une quincaillerie toujours plus sophistiquée – certains boitiers peuvent prendre jusqu’à 700 photos par jour et 150 000 photos par an –, la prise d’images automatisée évolue au gré du chantier numérique. Les technologies de l’information ont notamment ouvert le champ à de nouvelles applications, dont certaines font appel à l’intelligence artificielle. Il sera bientôt possible de gérer l’ensemble d’un chantier grâce à ces nouvelles solutions qui s’intégreront graduellement aux maquettes numériques.

 

La prise d’images automatisée repose sur un système autonome composé d’un ou de plusieurs boitiers sans fil alimentés à l’énergie solaire. Les boitiers sont équipés d’appareils photo numériques capables de capter des images haute définition selon un calendrier préétabli et de les transférer à haute vitesse vers un serveur, où elles pourront être consultées à partir d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone. La technologie est à distinguer toutefois de la vidéosurveillance, qui génère un flux d’images en continu et une quantité considérable de données.

 

« La vidéosurveillance produit entre 24 et 30 images par seconde, tandis que la prise de photos automatisée fonctionne par intervalle, c’est plus facile à stocker et à gérer à partir d’une base de données intégrale, explique Mathieu Pellerin, directeur général et fondateur de Fingo, une start-up québécoise qui a mis au point sa propre technologie. À une photo par minute, on capte peut-être moins d’images, mais on peut augmenter leur résolution jusqu’à douze fois. Ça permet de zoomer et de faire des analyses post-captation. »

 

Des usages multiples

Au chantier, ces images servent d’abord à communiquer en offrant une vitrine permanente sur le projet. Il suffit de publier les photos sur internet ou de les présenter sous forme de film en accéléré. Les images peuvent également être utilisées pour suivre un chantier à distance et repérer d’éventuels risques, un avantage appréciable lorsqu’on gère plus d’un chantier à la fois ou lorsque les travaux se déroulent en zone éloignée. Enfin, elles offrent la possibilité d’effectuer une vigie permanente en documentant chacune des étapes de la construction.

 

Cependant, la prise d’images automatisée ne peut être employée à des fins de surveillance. Comme il n’y a pas de suite entre les clichés, on ne peut présumer de la survenue d’un événement entre deux images. Par contre, elle peut s’avérer fort utile en cas de litige, comme en témoigne Renée Benhaïm, directrice du projet Humaniti, un complexe immobilier en construction à Montréal. « Les riverains se sont plaints que le chantier démarrait avant l’heure, rapporte-t-elle. Les photos ont montré qu’à 7 heures, la porte d’accès au chantier était toujours fermée. »

 

Devant un juge, les clichés pourraient avoir moins de poids, relève toutefois Benjamin Legrand, directeur des opérations de Devisubox, le chef de file français des technologies de l’image. « Je me souviens du cas d’un fournisseur qui avait facturé cinq grues, mais en réalité, il n’y en avait jamais eu que trois au chantier, relate-t-il. Les photos ont permis de trancher la question. Au tribunal, elles pourraient aussi être utilisées comme preuve parce que leur provenance est attestée, mais cela dépend toujours du pays et de sa juridiction. »

 

Une technologie évolutive

Benjamin Legrand ajoute par ailleurs que la technologie est en constante évolution et qu’il sera bientôt possible de l’intégrer au BIM (Building Information Modeling). « On peut superposer la maquette sur les photos et voir ce qui est réalisé et ce qui ne l’est pas, note-t-il. On a mené quelques projets pilotes en France – on sait que ça va être de plus en plus demandé –, mais l’intégration reste à faire. Ce qui est à surveiller présentement, ce sont les applications liées à l’intelligence artificielle, entre autres pour identifier des objets sur les photos. »

 

En effet, grâce à l’intelligence artificielle (IA), il est maintenant possible d’identifier des personnes sur les photos ou de s’assurer que les travailleurs portent leur casque de construction. Mieux encore, le couplage de l’IA et de capteurs déportés pour détecter les mouvements des travailleurs ou de la machinerie ouvre la voie à des applications en prévention du risque, en logistique et en contrôle de la performance. Le tout dans le respect des individus et conformément aux directives en matière de protection de la vie privée, c’est-à-dire en floutant les personnes détectées.

 

Mais il reste que, à l’heure actuelle, les fonctionnalités les plus populaires demeurent le film en accéléré et le suivi de chantier à distance. C’est justement le cas au sein du Groupe Canam, qui y recourt depuis peu pour documenter ses chantiers et en faire la promotion. « On s’en sert surtout pour raconter une histoire et on cible les chantiers en fonction de leurs particularités, comme la rapidité d’exécution, indique sa directrice marketing Manon Moisan.

 

« Le timelapse a aussi une vocation éducative, poursuit-elle. On l’utilise entre autres pour présenter des études de cas dans les salons professionnels. Nos vendeurs s’en servent aussi lors de visites chez les clients. C’est assez fascinant de voir un chantier entièrement retranscrit en quelques minutes. En plus, c’est facile de l’intégrer à l’intérieur d’une vidéo promotionnelle et de la diffuser sur les réseaux sociaux ».

 

TROIS USAGES
  • Communiquer : offrir une vitrine permanente sur le chantier
  • Monitorer : repérer à distance les situations à risque
  • Veiller : documenter toutes les étapes de la construction