La progression sécuritaire d’un chantier où s’activent des grues exige de la planification, de la supervision et un respect scrupuleux des procédures.
Aucun entrepreneur ne veut assister, impuissant, au renversement d’une grue, lui faisant craindre le pire pour ses travailleurs. Les accidents impliquant des grues peuvent être catastrophiques et génèrent beaucoup d’attention. L’utilisation de ces appareils de levage implique un encadrement minutieux et chaque incident doit être l’occasion de faire le point.
« Le type d’équipement et sa capacité de levage seront sélectionnés en fonction des matériaux à transporter, de leur volume et de la charge utile prévue, explique Yannick Morin, ingénieur, président de Kraning qui se spécialise dans la formation sur les appareils de levage, et auteur technique. On doit aussi tenir compte de la zone de travail et des manoeuvres nécessaires. » On se tourne alors vers un ingénieur. Ce dernier doit s’assurer que la pression exercée au sol par les stabilisateurs, les pneus ou les chenilles de la grue mobile utilisée, soit inférieure à la capacité portante des sols ou de la structure.
L’humain au coeur de la machine
Au Québec, les grues mobiles utilisées en construction doivent être conformes à la norme ACNOR Z150-1974 qui régit l’assemblage, l’entretien, l’inspection et le fonctionnement de ces équipements. La norme précise à l’article 6.1.4 que « l’employeur doit mettre sur pied un programme de sécurité pour les grues, ainsi qu’un programme de formation pour ses travailleurs et il doit attribuer, entre ses équipes de levage, les responsabilités qui reviennent à chaque personne. »
Une des principales causes de renversement, avec des conséquences qui peuvent être mortelles, est l’emploi d’une grue mobile alors que tous les stabilisateurs ne sont pas correctement déployés et appuyés au sol. « Il y a parfois des obstacles qui rendent le déploiement complet des stabilisateurs impossible, mais pour pouvoir procéder, l’opérateur “trompe” l’ordinateur de bord en indiquant que toutes les pattes sont déployées à 100 %, dit M. Morin. Quatre-vingt pour cent des accidents sont d’origine humaine. »
Une mauvaise planification ou une mauvaise compréhension peut plus facilement entraîner des situations où, par désir de voir le chantier progresser, on prendra des libertés avec les procédures. Citons le cas d’une cliente peinée de voir ses rosiers écrasés par un des stabilisateurs lors d’une livraison de matériel de couverture. Pour l’accommoder, l’opérateur avait renoncé à déployer le support en question. La dame a cependant eu la frousse de sa vie lorsque la grue a basculé et son chargement a défoncé la toiture pour finir sa course à quelques mètres d’elle.
Préparer le terrain
Selon l’association américaine Cranes & Rigging Professionals, 44 % des décès impliquant des grues sont associés à l’électricité. On s’assurera donc que la zone de travail soit dégagée au sol comme en hauteur et que les manoeuvres aient lieu à une distance sécuritaire des lignes électriques, selon l’intensité du courant. Dans son rôle de supervision, le maître d’oeuvre ou son représentant doit s’assurer que son programme de prévention caractérise adéquatement les opérations de levage prévues au chantier et que l’opérateur connaît le type d’engin qu’il commande et sait s’en servir de manière sécuritaire et efficace. Ceci implique la compréhension et l’interprétation adéquate de trois documents cruciaux : le manuel du fabricant, le carnet de bord, et le tableau des charges nominales qui indique la capacité de levage maximale de l’équipement, selon différents paramètres.
Passer outre à la procédure et surcharger la grue peut causer, mais sans s’y limiter, un renversement, un bris du câble de levage, une déformation structurale ou le déroulement du treuil. « Les manufacturiers connaissent les points faibles de leur grues mobiles mais pas l’utilisateur, d’où l’importance de toujours respecter le tableau des charges nominales de la grue mobile », précise Yannick Morin.
Selon la loi, la grue ne doit pas être utilisée dans des conditions climatiques qui pourraient nuire à la sécurité des manoeuvres. L’opérateur et ses collaborateurs doivent toujours avoir une excellente visibilité, pouvoir se déplacer sans danger de chute et, dans le cas des grues mobiles, pouvoir déplacer l’équipement sans risques attribuables au brouillard, aux vents violents, à de fortes précipitations ou au verglas.
Des particularités très québécoises
Les entrepreneurs tiennent parfois pour acquises les aptitudes des opérateurs. Mais Yannick Morin incite à la prudence, citant des enjeux propres à la main-d’oeuvre québécoise : « On a beaucoup d’opérateurs et de mécaniciens qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue anglaise pour comprendre les subtilités des manuels d’opérations et d’entretien », dit-il. Autre problème : la coexistence du système métrique et du système impérial qui crée de la confusion chez certains utilisateurs. Pour s’assurer de la compréhension et de l’application rigoureuse des bonnes pratiques, les entrepreneurs doivent confirmer les aptitudes des recrues. Certains imposent même une formation de mise à niveau à tous les opérateurs qui accèdent à leurs chantiers.
Il appartient également à l’entrepreneur de maintenir un climat de travail où le respect des procédures est valorisé. La pression de compléter une tâche coûte que coûte est parfois citée comme facteur incitant l’opérateur à bâcler une étape ou à aller de l’avant avec une manoeuvre risquée.
« Il arrive que les travailleurs soient victimes de pressions externes, dit Yannick Morin. L’opérateur devrait toujours refuser les surpoids, mais parfois pour faire les heures, on passe ça sous silence. D’autres vont faire des heures déraisonnables et se rendre jusqu’à l’épuisement pour conserver leur job. »
Comme les grutiers sont des exécutants chargés d’une responsabilité immense, les entrepreneurs ont intérêt à les sélectionner avec soin et à encadrer leur progression, en fournissant de la formation continue.
Des travailleurs intelligents
« Un opérateur compétent est un atout pour une entreprise. Il faut être prêt à réagir à chaque seconde et demeurer alerte même pendant les temps morts », dit Guy Coutlée, directeur de l’atelier-école Les Cèdres, qui forme les opérateurs de grue se destinant à l’industrie de la construction au Québec. Les aspirants qui sont des têtes brûlées n’auront pas de longues carrières, ajoute-il. Les entrepreneurs sont conscients des risques et c’est un très petit milieu. »
Les grutiers doivent savoir communiquer efficacement et faire preuve de diplomatie. Les ingénieurs qui exécutent les calculs et élaborent la planification ont tout à gagner à collaborer avec eux, de même que les clients et fournisseurs dont les matériaux sont acheminés par la grue. « Ce sont des travailleurs intelligents qui sont capables de dire non ou de lever un drapeau pour signaler un danger », dit Guy Coutlée.
Et lorsqu’en dépit de la formation, des procédures et de la bonne volonté un drame survient, on met tout en oeuvre pour en tirer des enseignements. Dans un procédé didactique émouvant, l’école Les Cèdres va jusqu’à intégrer les rapports d’accidents dans le cursus de formation. « Quand l’accident arrive, conclut Guy Coutlée, il faut que ce soit une occasion d’apprentissage. »
- Erreur de l’opérateur (33,1 %)
- Échec du support de la grue (31,5 %)
- Échec sur l’utilisation sécuritaire des stabilisateurs (22,6 %)
- Bris structural et mécanique de la grue (11,2 %)
- Vitesse des vents (1,6 %)
Source : ACRP – Association of Crane & Rigging Professionals, Masterlink 2011, issue 104
Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2016. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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