Hydro-Québec : une révolution numérique nécessaire

9 juillet 2021
Par Mathieu Ste-Marie

Confrontée à une productivité stagnante et à une vive compétition pour obtenir de la main-d’oeuvre qualifiée sur ses chantiers de construction, Hydro-Québec opère une révolution numérique ambitieuse mais nécessaire afin de réaliser ses nombreux projets.

« C’est un secret de Polichinelle : l’industrie de la construction n’est pas très productive. En fait, l’écart de productivité entre cette industrie et celle manufacturière n’a cessé de croitre depuis la Seconde Guerre mondiale », constate d’emblée le directeur principal - Projets de transport et construction chez Hydro-Québec, Guy Côté. Et ce n’est pas pour rien. Au fil des ans, l’industrie manufacturière a adopté des méthodes telles que le Design for Manufacturing and Assembly (conception pour la production et l’assemblage) ou la méthode de gestion de production Lean, qui ont permis à ce secteur d’augmenter considérablement sa performance.

 

Pendant ce temps, l’industrie de la construction, malgré son importance sur le plan économique au Québec, a mis peu de solutions innovantes en place. Le Conference Board du Canada estime que, depuis 2000, les dépenses en recherche et en développement réalisées par les entreprises de la construction au pays sont en moyenne de 0,08 pourcent (%) contre 4,2 % pour le secteur manufacturier. Résultat : le secteur de la construction est l’un des moins numérisés.

 

Un réveil brutal

« L’être humain est ainsi fait que parfois il faut un grand choc avant qu’il se réveille », illustre le directeur. Le choc, Hydro-Québec le vit présentement : les investissements en construction augmentent tout comme le cout des travaux, tandis que le manque de main-d’oeuvre est alarmant. Selon un calcul de la Commission de la construction du Québec effectué l’automne dernier, il ne manque pas moins de 13 000 travailleurs dans l’industrie de la construction.

 

Guy Côté directeur principal – Projets de transport et construction chez Hydro-Québec. Crédit : Hydro-Québec

 

Dans ce contexte, le gouvernement du Québec a annoncé en mars 2021 un plan d’action de 120 millions de dollars pour soutenir les travailleurs et les entreprises de ce secteur, en plus de développer la capacité de l’industrie à réaliser les projets d’infrastructure prioritaires des Québécois. Selon les prévisions d’Hydro-Québec, l’investissement total dans le secteur de la construction non résidentielle devrait retrouver son niveau pré-COVID-19 en 2023-2024. Ajoutons à cela que, dans les prochaines années, la société d’État devra remplacer ses principaux équipements qui datent de 40, 50 et même 60 ans.

 

Devant ces défis majeurs, Hydro-Québec a décidé d’entreprendre un virage technologique, dont la pierre angulaire est le Building Information Management (BIM). « Sa mise en oeuvre permet de rapprocher les fonctions de planification de la séquence réelle d’exécution d’un bâtiment ou d’un ouvrage. Cela en rendant possible notamment la visualisation de la réalisation projetée à l’échelle du temps d’une maquette numérique avec la planification 4D et des couts escomptés, à l’aide de la planification 5D. » C’est ce qu’expliquent des professeurs de Polytechnique Montréal et de l’École de technologie supérieure dans le document Le Québec économique, publié par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

 

Le BIM à la rescousse

Le BIM, qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Finlande, permet, entre autres, l’amélioration de la qualité des ouvrages, de la communication et de la gestion. L’échange de données en temps réel offre aussi la possibilité de fabriquer hors des sites de construction. « Nous voulons mettre de l’avant des technologies qui vont nous permettre de diminuer l’intensité de la main-d’oeuvre requise pour faire nos projets. Il faut donc favoriser le plus possible la préfabrication, le pré-assemblage et la modularisation hors site dans des environnements contrôlés », précise Guy Côté, ajoutant qu’en travaillant dans des environnements hors chantier, les risques d’accident pourraient être réduits.

 

Au final, le BIM permettra à Hydro-Québec d’augmenter sa performance avec moins de ressources sur les chantiers. Pour avoir une petite idée de l’impact d’un tel changement, des experts estiment que d’ici 2025 la transformation numérique à grande échelle de la construction non résidentielle permettra de réaliser des économies de cout global annuel de 13 à 21 % lors des phases d’ingénierie et de construction. Ce pourcentage serait de 10 à 17 % durant l’exploitation de l’ouvrage.

 

De réalisateurs à penseurs

Ce virage numérique entrainera une participation accrue des entrepreneurs qui s’impliqueront dès le début de la phase du projet. « Hydro-Québec a beaucoup travaillé avec les entrepreneurs comme s’ils étaient des réalisateurs, mais pas comme s’ils étaient des penseurs. Il faut les impliquer sur l’ensemble du cycle de vie d’un projet parce que ce sont eux qui réalisent nos chantiers. Ce sont eux qui connaissent les méthodes de construction et les techniques », explique le gestionnaire d’Hydro-Québec.

 

Hydro-Québec : une révolution numérique nécessaire Crédit : Hydro-Québec

 

Ce travail qui sera davantage effectué en collaboration avec les entrepreneurs signifiera d’autres formes de contractualisation que celles effectuées dans le passé, poursuit-il. « Si nous faisons intervenir un entrepreneur au début de la phase du projet, nous n’allons pas lui demander de soumissionner sur un travail sur lequel les plans et devis sont prêts. Nous allons devoir modifier la façon dont on contractualise. »

 

À travers ce changement d’approche, Guy Côté souhaite développer un écosystème de préfabrication, de préassemblage, de modularisation et de conception au Québec qui soit réfléchi en fonction du Design for Manufacturing and Assembly. Cette approche de conception met l’accent sur la simplification de la fabrication et de l’assemblage.

 

Réfléchir au virage numérique

S’il avait un conseil à donner aux entrepreneurs, le gestionnaire d’Hydro-Québec leur dirait de réfléchir dès maintenant au virage numérique. « La numérisation des entrepreneurs va être le nerf de la guerre. Ils devront proposer des idées en amont qui sont souvent liées à une capacité à faire de l’ingénierie ou des dessins d’atelier. » Les entrepreneurs devront faire preuve d’une grande ouverture, accepter certains changements et comprendre la nécessité de transformer la manière de travailler. « Le défi sera de réfléchir autrement le futur », estime-t-il. Le contexte actuel ne leur laisse tout simplement pas le choix.

 

PLUSIEURS INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES

En plus du Building Information Management, il existe plusieurs autres innovations technologiques en construction. En voici quelques-unes :

  • L’automatisation du travail et la robotique collaborative pour guider les gestes des travailleurs ou pour réaliser des tâches répétitives sur les chantiers.
  • Les véhicules aériens sans pilote (également appelés « drones ») qui collectent des données qui peuvent aider à surveiller des sites et suivre l’avancement des travaux.
  • La radio-identification pour localiser et reconnaitre des matériaux sur un chantier.
  • L’intelligence artificielle pour prendre des décisions en temps réel sur l’état d’avancement des travaux sur un chantier à partir d’images captées par des caméras.
  • Les matériaux augmentés pour obtenir un avantage du point de vue de la performance (conductivité thermique, dureté, efficacité, biodégradabilité) par rapport aux matériaux conventionnels couramment utilisés.
  • Également, l’impression 3D, le laser 3D et la réalité virtuelle.