Sociocratie. Si le terme peut avoir une consonance abstraite pour plusieurs, les bénéfices engendrés par son application au sein d’une entreprise s’avèrent très concrets. Surtout en période de changements.
Essentiellement, il s’agit d’une méthode de gestion qui diffère de la pyramide hiérarchique habituelle, qui en déconstruit quelque peu les fondements pour tendre davantage vers des cercles. Plutôt que de ne reposer qu’entre les quelques mains de la haute direction, certaines responsabilités sont « descendues » vers les équipes.
En découlent des cercles de décision rattachés aux différents départements, et parfois composés d’employés provenant des quatre coins de l’organisation. L’opinion de personnes travaillant à la production, par exemple, pourrait très bien être mise à profit dans le cadre d’un projet portant sur le service à la clientèle. Leurs connaissances des produits vendus s’avérant essentielles à la recherche de solutions.
Déléguer tout en gardant le contrôle
Mais il ne s’agit pas pour autant pour les dirigeants d’une entreprise d’en céder les clés aux employés, nuance Marie-France Godin, consultante stratégique en ressources humaines chez Go RH. À défaut d’être l’inventrice de la « sociocratie », plutôt fondée en 1970 par un certain Gerard Endenburg, celle-ci aide aujourd’hui à sa popularisation en sol québécois. Elle voit le tout comme une « inspiration », une « philosophie » qui peut teinter les façons de faire d’une organisation et l’amener à tendre vers une gestion plus collaborative.
« On descend le processus décisionnel au niveau des équipes, mais pas toutes les décisions évidemment, explique-t-elle. Ce qui est intéressant avec la sociocratie, c’est qu’on va quand même garder des rôles de gestionnaire. Parce qu’il y a des choses qui relèvent du big picture, et que ce n’est pas tout le monde qui peut avoir cette vision-là. On va plutôt avoir une vision qui est partagée vers un but commun. »
Sans qualifier de désuète la structure hiérarchique traditionnelle, Marie-France Godin n’y voit pas la possibilité d’accéder « au travail réel » des employés, où se trouvent parfois les meilleures solutions aux problèmes qu’ils rencontrent eux-mêmes, sur le terrain. La consultante donne l’exemple d’une entreprise en Chaudière- Appalaches qui a troqué la pyramide pour un système plus collaboratif depuis quelques années, et dont les employés sont impliqués dans de nombreux processus décisionnels. Notamment le choix des équipements. Appelés à les utiliser sur une base quotidienne, ils sont jugés les plus à même de mener les démarches auprès des fournisseurs.
Applicable à la construction ?
Lorsque questionnée à savoir si ce genre de gestion s’appliquerait bien au monde de la construction, c’est par l’affirmative que Marie- France Godin répond. « Je pense que oui. Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, il y a sûrement plusieurs pans de mur qu’il serait possible de transférer aux employés. » Elle mentionne même que certains de ses homologues en Suisse ont tenté le coup avec une entreprise spécialisée en structures de bâtiment. Une tentative visiblement fructueuse, puisque le système y est toujours en place.
Prévenir les effets pervers
Elle précise qu’il est important de fournir des balises aux équipes à qui l’on confie de telles responsabilités, afin de garder une mainmise sur les décisions qui y seront prises. Il faut aussi être conscients des effets pervers que peuvent entrainer ce type de changements, alors que des personnes moins à l’aise avec ces prises de décision peuvent être amenées à quitter le navire.
Consciente de prêcher pour sa paroisse, elle croit qu’il est donc préférable pour une entreprise d’être accompagnée lors d’un changement de cap comme celui-ci. Qu’il s’agit de la meilleure façon d’appliquer la théorie d’un concept comme la sociocratie aux réalités d’une entreprise sur le terrain.
« Avec un consultant, on va être capable de connaitre l’état de la situation, la maturité de l’équipe et proposer des solutions qui vont être adaptées. Moi je n’aime pas le one size fit all parce que ça ne sert personne. Mais en même temps, quand on a le nez collé sur l’arbre, on ne voit pas la forêt. »
Et mieux vaut y aller « graduellement », croit-elle, soit en commençant par appliquer la méthode dans un projet pilote, ou encore en y allant un département à la fois, afin de tâter le terrain et de s’assurer que les employés partagent la vision de l’organisation. La pandémie actuelle, terrain fertile en changements, pourrait d’ailleurs être le moment tout indiqué pour faire le saut. Par exemple, un projet pilote sur la façon d’améliorer les processus de télétravail s’avérerait un excellent point de départ aux yeux de la consultante.
Des conflits profitables
L’implication d’autant de gens dans les processus décisionnels peut bien sûr être source de conflits. Ce que Marie-France Godin ne voit pas comme un problème en soi, mais comme une partie intégrante de la solution.
« On n’est pas habitués de gérer des conflits. Souvent on n’en veut pas, on pense que c’est mal, mais c’est tout le contraire. Le conflit peut être géré de façon à amener de l’amélioration continue, et à se diriger vers une gestion plus participative. Il faut au départ demander à tout le monde comment on va gérer les conflits, avoir des processus qui vont permettre d’y faire face sans que ce soit négatif. »
Plus popularisées en Californie et en Europe, entre autres, les méthodes de gestion collaboratives comme la sociocratie se butent encore à certaines craintes au Québec. Au-delà du jargon toutefois, plusieurs de ces façons de faire y sont déjà appliquées inconsciemment.
« Juste à regarder les comités de santé et sécurité, c’est une manière de prendre les gens d’un peu partout dans l’organisation et de s’assurer qu’on répond à tous les objectifs. Si on a des équipes qui gèrent leurs projets et qui sont autonomes, on a une partie de la sociocratie d’implantée », estime la consultante, qui dit sentir une ouverture à travers la province.
Beaucoup de recherches ont été faites sur la théorie de l’autodétermination, selon Marie-France Godin. Leurs conclusions laissent entendre qu’une personne sera portée à être heureuse si les trois besoins psychologiques fondamentaux que sont le sentiment de compétence, d’autonomie et d’affiliation personnelle sont comblés. Y compris dans un milieu de travail.
« En gros, ce sont trois éléments qui, lorsqu’ils sont nourris, amènent les gens à ressentir un bien-être. Donc, si on fait confiance aux gens, et qu’ils ont la mainmise sur des éléments qui sont au coeur de leur travail, ça ne fait que les rendre plus heureux. Ils n’auront pas de contrainte et ne seront pas tout le temps en train de chercher à convaincre le patron. »
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2020. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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