Homme et lumière : une relation millénaire

1 août 2011
Par François Cantin, M. Sc. Arch.

Qu’on considère sa capacité à bien rendre les couleurs ou encore son dynamisme et son caractère changeant, la lumière naturelle a plusieurs avantages pour les occupants et, lorsqu’elle est bien maîtrisée, elle peut s’avérer un filon conceptuel de premier ordre pour les architectes. En fait, on ne compte plus les travaux de recherche vantant les mérites de l'éclairage naturel, certains d'entre eux ont même démontré que plus de 80 % des occupants sondés dans le cadre d'enquêtes portant sur l'éclairage dans les milieux de travail apprécient beaucoup la présence de la lumière naturelle (diffuse ou directe) et qu’ils qualifient de souhaitables les modulations de luminosité relatives au cours des jours et des saisons.

 

Bien que les avantages associés à chaque type d'éclairage soient nombreux, et que les travaux de recherche qui démontrent la préférence des occupants pour un type d'éclairage ou pour un autre le soient tout autant, une question demeure : même s’il y a suffisamment de lumière pour voir ou encore pour effectuer une tâche donnée, pourquoi une source ou une ambiance lumineuse particulière est‑elle préférée à une autre ?

 

Pour répondre à cette question, en partie du moins, Judith Heerwagen défend la thèse voulant que les préférences reconnues et documentées relatives à l'éclairage soient, la plupart du temps, issues de la relation qu'entretiennent l'homme et la lumière, et ce, depuis l'aube des temps. La chercheure, professeure affiliée au département d'architecture de l'Université de Washington et co‑auteure de multiples travaux de recherche en psychologie appliquée à l'architecture, explore et décrit cette relation dans un article surprenant pour les anthropologues, que la majorité d'entre nous ne sommes pas(1).

 

Bien avant...

...l’avènement des bâtiments, l’être humain vivait en symbiose complète avec la nature. Ses activités étaient largement contraintes par la présence ou par l’absence de lumière naturelle, et son système physiologique circadien était en parfaite harmonie avec le rythme des jours et des saisons. Bien que l'ensemble des sens de l’homme lui ait permis de collecter l'information essentielle à sa survie, la lumière, par le biais du système visuel, a certes joué un rôle prédominant dans la genèse de la notion de confort.

 

À titre d'exemple : être à un endroit sécuritaire au moment où le soleil s'apprête à disparaître à l'horizon est depuis toujours un élément important du bien‑être humain. Même si la capacité de la lumière naturelle (soleil et voûte céleste) à marquer le passage du temps et à fournir de précieuses informations sur les conditions météorologiques ont permis à l'homme de mieux s'organiser au fil des époques, il est permis de croire qu’elle a également contribué à façonner les besoins et les préférences actuels de l'homme. Ainsi, offrir aux occupants une vue de qualité sur l'extérieur se traduit-elle par un niveau de satisfaction élevé pour la majorité d’entre eux.

 

Lumière chaude, lumière sociale

Bien que le soleil ait formé, très souvent, la première source d'éclairage, le feu a, lui aussi, longtemps joué un rôle déterminant dans le confort physique et psychologique humain. L'anthropologue et physicien Melvin Konner(2) suggère même que les feux de camp constituent le fondement des sociétés telles que nous les connaissons aujourd'hui. Puisqu’ils permettaient d'allonger les journées, les feux de camp évitaient que l'homme ne porte toute son attention sur ses activités diurnes, soit principalement sur la chasse. Il pouvait donc profiter de ses soirées pour forger l'avenir grâce à la réflexion et cimenter d'importantes relations sociales au moyen de discussions et de partage d'expériences diverses.

 

Lumière et perception périphériques

Depuis toujours, l'homme utilise la lumière pour s'assurer que ses milieux de vie, naturels ou bâtis, soient sécuritaires. À titre d'exemple, plusieurs personnes ressentent un certain inconfort lorsqu'elles se trouvent dans un espace bien éclairé, dont les limites sont, toutefois, plutôt sombres. Ce type d'ambiance dite « ténébreuse » (gloomy) peut même conduire à un sentiment d'insécurité, étant donné que la perception périphérique ne bénéficie pas de suffisamment de données visuelles pour décoder l'espace tridimensionnel. Pour nos ancêtres, pareille situation pouvait nuire à la détection d'un danger potentiel tel que la présence d'un prédateur. Leur sécurité se trouvait alors fortement compromise.

 

En nous permettant de nous orienter, de socialiser et d'assurer notre sécurité, la lumière a permis, et permet encore aujourd’hui, de bonifier nos milieux de vie et de créer une architecture de qualité. Bien que les préférences relatives à l'éclairage demeurent uniques pour chacun d'entre nous, il semble que notre perception d'une ambiance lumineuse ne soit pas étrangère à la relation que nos ancêtres entretenaient avec la lumière.

 

En terminant, sachez qu'il me fera plaisir de prendre connaissance de vos commentaires sur cette chronique ou sur tout autre sujet connexe. Pour ce faire, vous pouvez m'écrire à l'adresse courriel suivante : fcantin@hudonjulien.com

 


1. Pour plus de détails :  Heerwagen, J. (2011), The Experience of Daylight, in Daylight and Architecture, no 15, p 14‑23.

2. Konner, M. (1982), The Tangled Wing: Biological Constraints on the Human Spirit, New York: Holt, Rhinehart & Winston.

 


L’auteur est stagiaire en architecture chez Hudon Julien et Associés, bénévole à la section du Québec du CBDCa et membre d’Écoopération, une coopérative offrant divers services de consultation en architecture durable.

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 28 juillet 2011 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !