Pour réussir en affaires, peu importe que l’on soit un homme ou une femme, il suffit de conjuguer vision et gestion. Trois entrepreneures en témoignent.
Encore aujourd’hui, les femmes occupent une place marginale dans l’industrie de la construction au Québec, autant du côté des métiers que dans les postes décisionnels.
Mais, tandis que les chantiers se féminisent timidement, certaines femmes n’hésitent pas à prendre les commandes pour se frayer une place au sein d’une industrie considérée comme un fief masculin. Motivées par leur fibre entrepreneuriale, elles sont la preuve que la réussite en affaires, c’est avant tout une question de flair et de savoir-faire. Construction ou pas.
Sauf qu’en construction, être femme et entrepreneure, ce n’est pas aussi facile qu’on le croit. C’est du moins ce que rapportent Angélique Salvas, Valérye Daviault et Anik Senécal-Beauchamp, qui ont accepté de partager leur vécu et de discuter des enjeux du secteur. Malgré des profils différents et une diversité d’expériences, toutes trois font état de certains obstacles, liés entre autres aux préjugés et aux stéréotypes de genre. Des obstacles qu’elles ont toutefois dépassés grâce à certains traits de caractère propres à tous les chefs d’entreprise.
Angélique Salvas, notamment, aura dû jouer des coudes avant de fonder en 2014 GSR Construction Décontamination. En 1997, alors qu’elle étudie en design d’intérieur, elle décroche un contrat pour la construction d’un plex. « J’ai engagé mon prof d’architecture et je me suis lancée, se remémore-t-elle. J’ai tout de suite aimé ça, l’estimation, la gestion de projet, l’atmosphère du chantier. Après, j’ai essayé de postuler chez des entrepreneurs généraux, mais quand tu as 25 ans et que tu es une fille, oublie ça. »
Sexisme et discrimination
Au milieu de la décennie 2000, une entreprise de construction lui donne sa chance et l’embauche comme estimatrice. Graduellement, elle acquiert de l’expérience et devient chargée de projet commercial, puis chargée de projet institutionnel. Mais sa condition « féminine » dérange et lui vaut des menaces de mort. « Certains contremaitres m’accusaient de saboter leur job, ils me l’ont fait savoir, dit-elle un sourire dans la voix. Mais c’est surtout sur le plan des conditions de travail que ça ne fonctionnait pas. »
En effet, malgré l’expérience acquise au fil des emplois, Angélique Salvas ne connait toujours pas la parité salariale. « Je voyais bien que j’étais sous-payée sous prétexte que je n’étais pas pourvoyeur, raconte-t-elle. Je voyais aussi ce que la compagnie engrangeait grâce à mon travail. Si j’avais été traitée de façon équitable, je serais probablement restée estimatrice ou chargée de projet. C’est ce qui m’a poussée à fonder ma propre entreprise. »
Mais le sexisme et la discrimination ne s’arrêtent pas pour autant. Au début, certains clients ne veulent parler qu’à Martin, son associé. « Je laissais un message et c’est Martin qu’ils rappelaient, on ne me prenait pas au sérieux, déplore-t-elle. Mais comme les clients ont fini par comprendre que je sais de quoi je parle, les choses ont fini par évoluer. »
Évolution tranquille
Même s’il était semé d’embuches, le chemin parcouru par Anik Senécal-Beauchamp a moins les allures d’un parcours du combattant. Aujourd’hui âgée de 27 ans, elle a fondé A.C.W. Construction, une entreprise spécialisée en isolation et en systèmes intérieurs, en 2016, alors qu’elle n’avait que 24 ans. « Je n’ai jamais eu l’impression que je n’étais pas à ma place, souligne-t-elle. C’est peut-être moins évident avec les générations précédentes, qui sont plus méfiantes et réticentes.
« En fait, c’est plutôt moi qui me suis mise beaucoup de pression, ajoute-t-elle. Je sais ce que je veux et ce que je vaux. Et je voulais montrer qu’une femme était aussi capable qu’un homme, qu’on pouvait être l’égale d’un homme. Je crois que c’est normal d’avoir certaines confrontations. Mais du dénigrement, de l’intimidation, je n’ai pas connu ça. Peut-être que si on recule d’une dizaine d’années, les choses étaient différentes. Pour ma part, je sens plutôt que les mentalités ont évolué. »
Même son de cloche de la part de Valérye Daviault, qui a fondé Konexco en 2018. Femme-orchestre, elle se concentre sur la rénovation commerciale et n’emploie que des sous-traitants. Fille d’un constructeur d’habitations, elle commence sa carrière par une technique en architecture, mais ne se voit pas rivée à un ordinateur des journées entières.
Elle tâte le terrain en génie de la construction pour finalement entreprendre un certificat en gestion de la construction.
Choix de vie et de carrière
Entre-temps, Valérye Daviault fait ses premières armes comme stagiaire en gestion de projet chez J. Raymond Couvreur et Fils. Elle y restera huit ans. « Certains clients refusaient de me voir sur leur chantier, ils voulaient choisir leur équipe, signale-t-elle. Heureusement, j’étais bien appuyée par mes patrons, qui ne se gênaient pas pour remettre les pendules à l’heure quand on me faisait des misères. Mais il n’y avait pas vraiment de possibilité d’avancement. Après un temps de réflexion, j’ai décidé de fonder ma propre entreprise. »
Aujourd’hui, c’est elle qui choisit ses clients, ses projets et même ses professionnels. Depuis 2017, elle est en outre présidente des Elles de la construction, un réseau qui promeut la place des femmes dans le secteur de la construction. « Mon nom a beaucoup circulé, les gens me connaissent bien, fait-elle valoir. Des gens qui viennent tester ma crédibilité, je n’ai plus à gérer ça. »
Pour Valérye Daviault, il est en effet plus important de se concentrer sur la gestion de ses projets que sur les états d’âme de ses pairs. Et pour ce faire, elle compte sur les dernières technologies de l’information pour l’aider dans son quotidien d’entrepreneure. « Les nouvelles technologies me permettent de consulter rapidement mes dossiers, où que je me trouve, note-t-elle. Elles m’aident aussi à être mieux organisée. Je peux classer l’information de manière à avoir un portrait global des objectifs d’un client et de ses besoins, et y accéder au moment voulu. »
Des défis partagés
Du côté de GSR Construction Décontamination, on favorise aussi l’innovation, mais pour faciliter la tâche des travailleurs et, de là, favoriser leur rétention. « Nos gars travaillent avec des marteaux-piqueurs, ils ont mal au dos, ils se font des tendinites, indique Angélique Salvas. On veut les aider en leur fournissant les bons outils. » Elle les a notamment équipés d’un petit chariot sur rails pour sortir les débris plus rapidement ainsi que d’un planeur pour retirer la peinture au plomb et le crépi d’amiante sans qu’ils aient à tout démolir.
La rétention de la main-d’oeuvre est aussi au coeur des préoccupations d’Anik Senécal-Beauchamp, qui dit puiser dans les bassins pour garnir ses rangs. « C’est facile d’embaucher des femmes, les bassins sont toujours ouverts pour elles, note la fondatrice d’A.C.W. Construction. Quand j’ai besoin d’une charpentière-menuisière, je fais entrer une femme et je la forme moi-même. Mais, cet été, j’avoue que ça été plus difficile. Les gens le savent qu’on est en pénurie et la main-d’oeuvre est plus volatile. Il faut leur en offrir plus, surtout aux milléniaux. »
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2019. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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