Exosquelettes, la solution pour prévenir les blessures?

29 septembre 2021
Par Elizabeth Pouliot

Encore bien loin des puissantes armatures que revêtent les héros des films à grand déploiement, les exosquelettes se raffinent néanmoins depuis quelques années.

Plus petits, plus faciles à enfiler et à manoeuvrer, plus polyvalents aussi, ils investissent tranquillement mais sûrement les milieux de travail au Canada et au Québec. Où en sont rendus les exosquelettes dans l’industrie de la construction ? Et surtout, préviennent-il vraiment les blessures chez les travailleurs qui s’en servent ?

 

L’exosquelette, cette structure plus ou moins grande qui apporte son soutien dans une tâche donnée à la personne qui la revêt ou l’utilise, apparait d’abord dans le domaine militaire. Il permet aux soldats de parcourir de longues distances à la marche ou encore de transporter des charges très lourdes sans en subir les effets néfastes. Cette technologie passe ensuite au secteur de la santé, pour aider les patients aux prises avec des limitations physiques, par exemple. Peu à peu, les constructeurs et les fournisseurs souhaitent en élargir l’utilisation et la commercialisation. Les exosquelettes commencent alors à poindre dans le milieu du travail. Le but est de prévenir les maladies professionnelles. C’est du moins de cette manière que la technologie est présentée. Elle pourrait particulièrement avoir des impacts positifs sur les troubles musculosquelettiques, venant soulager les travailleurs ou alléger certaines de leurs tâches.

 

Denys Denis, professeur à l’Université du Québec à Montréa. Crédit : IRSST

 

L’Amérique du Nord accuse un certain retard dans le déploiement des exosquelettes, comparativement à l’Europe ou encore à l’Asie. Il existe différentes façons de les catégoriser, selon la stratégie priorisée, explique Denys Denis, professeur à l’Université du Québec à Montréal, chercheur et ergonome. « La partie du corps supportée, comme le haut du corps, le bas du corps, le dos, le corps en entier; la source d’énergie utilisée, passive ou active; l’utilisation visée, soit la réadaptation, le palier des incapacités ou l’augmentation des capacités et de la performance; ou encore leur ressemblance avec la morphologie humaine. » Les études manquent encore à ce jour afin de déterminer les avantages de les utiliser. Il demeure toutefois possible de déjà constater une baisse de la sollicitation musculaire, l’exosquelette diminuant la perception de l’effort que les individus ont à fournir dans leur situation de travail.

 

Les exosquelettes, ces inconnus

Si on peine à calculer les avantages, les désavantages, eux, sont pour l’instant multiples. Inconfort, modification du geste, qualité du travail à la baisse, points de contact dérangeants, friction, pincement, les exosquelettes mal implantés peuvent être la source de blessures. Et comme ils sont encombrants, ils créent des problèmes de gestion de l’espace. Sans oublier que les exosquelettes coutent cher et doivent pouvoir être rangés dans des endroits adéquats. Ils comptent aussi beaucoup d’inconnues, telles que les effets à long terme sur le corps. « Observera-t-on une fonte de la masse musculaire ? Joueront-ils sur le système nerveux ? De quelles manières modifieront-ils le mouvement ? », se demande entre autres Denys Denis. Les recherches se poursuivent et l’ergonome aimerait voir apparaitre des marches à suivre pour les employeurs qui souhaitent les implanter.

 

Bien présents ailleurs dans le monde dans l’industrie automobile ou aéronautique, c’est encore timidement que les exosquelettes sortent du placard au Québec. Dans le secteur de la construction, seule une poignée d’entreprises en détiennent. « Du côté des fournisseurs, Biolift s’intéresse à la construction horizontale, telle que les trottoirs, le pavage, l’asphaltage, ajoute Denys Denis, mais je crois que la construction est un secteur tout à fait adéquat pour essayer les exosquelettes. » Si des déplacements ou l’utilisation d’outils différents sont requis, ils perdent de leur utilité. Ils sont toutefois tout indiqués lorsqu’il s’agit de prêter main-forte à une tâche statique, comme celle d’un soudeur. L’exosquelette bien utilisé pourrait alors prévenir les troubles musculosquelettiques engendrés par des efforts répétitifs. Denys Denis croit également que les exosquelettes pourraient contribuer à la réadaptation. « Une personne nouvellement atteinte d’une lésion pourrait potentiellement rester en poste avec un exosquelette qui l’aiderait dans sa limitation. »

 

Le bras droit des travailleurs

Chez Atwill-Morin, un groupe qui se spécialisent en maçonnerie, en réfection structurale de béton et de stationnement étagé ainsi qu’en location, en vente et en montage d’échafaudages, on est friand de technologies. Pas étonnant qu’il ait été parmi les premiers au Canada à se procurer un exobras après en avoir fait la découverte dans une foire technologique. Quatre ans plus tard, il en détient maintenant huit, déployés parmi ses 800 employés et ses 130 chantiers de l’est du pays. Tous identiques, les exobras du groupe s’attachent mécaniquement à un échafaudage, une nacelle articulée ou une plateforme élévatrice, et viennent supporter les mains des employés. « Pour le moment, c’est très utile dans les travaux de démolition. À titre d’exemple, un cogneux qui pèse près de 20 livres ne pèse plus qu’une demi-livre grâce à l’exobras. On imagine la répercussion que ça peut avoir sur la qualité de vie de nos employés dans une journée, une semaine, une saison ou une carrière », note Matthew Atwill-Morin, président de l’entreprise familiale.

 

Matthew Atwill-Morin, Président du Groupe Atwill-Morin. Crédit : Gracieuseté

 

Réduction de l’effort répétitif, impact positif sur la pénurie de main-d’oeuvre, augmentation de l’efficacité, l’employeur dénote pour sa part plus d’avantages que d’inconvénients dans cette technologie toutefois très couteuse. « Mais ça prend des gens ouverts d’esprit pour aimer l’utiliser et un travail pas très mobile. Le temps d’installation de l’équipement ne doit pas non plus être plus long que la tâche à réaliser. » Sans statistiques à l’appui, le président et son équipe constatent néanmoins que les risques de blessures sont diminués et que les employés forcent moins pour faire le même travail. En attendant des résultats plus précis, Atwill-Morin continue d’étendre ses exobras et a très hâte de voir les exosquelettes, pour l’instant à l’étape de recherche et développement, faire leur entrée sur ses chantiers. « Je recommande aux entreprises de les essayer. Il faut trouver les dernières technologies pour maximiser la longévité des employés et s’assurer qu’ils seront le plus heureux et le plus efficaces possible », croit Matthew Atwill-Morin.

 

Denys Denis, de son côté, juge primordial d’entreprendre d’abord et avant tout une analyse ou un diagnostic des enjeux dans l’environnement de travail afin de savoir si la difficulté peut être réglée à la source. « Un exosquelette, pour moi, c’est un équipement de protection personnelle, tout comme les bouchons. Si on n’est pas capable de diminuer le bruit, on va demander aux employés d’en mettre. Ça les protège peut-être du bruit, mais ça les empêche aussi d’entendre des sons importants et parfois de bien faire leur travail », explique Denys Denis. « N’acheter pas d’exosquelettes avant de savoir si c’est ce qui correspond à vos besoins. Et assurez-vous de faire affaire avec des ressources qui pourront vous guider », termine l’ergonome.

 

POURQUOI TANT D’INCONNUES ?

Avec toutes les technologies dont l’humain dispose, pourquoi les exosquelettes comptent encore autant d’inconnues ? À l’heure actuelle, la majorité des études sur leurs effets se déroulent en laboratoire. Quand une tâche y est reproduite, elle est toujours simplifiée, s’éloignant de ce que les travailleurs font réellement sur les chantiers. De plus, les analyses s’échelonnent sur une période plutôt brève, soit entre trente minutes et une heure, alors que sur le terrain, une personne utiliserait sans doute l’exosquelette plus longtemps, donc commencerait à en sentir les effets plus tard. « Assurément, il va falloir allonger les temps d’analyses des bénéfices pour adopter une meilleure démarche méthodologique », conclut Denys Denis. Beaucoup de questions demeurent donc sans réponse et de conclusions de recherches, en suspens! Mais nul besoin d’avoir toutes les cartes en main pour essayer les exosquelettes; il importe cependant, pour les employeurs, de rester très vigilants.