Écosystème de la construction : un potentiel à libérer

5 décembre 2016
Par Léa Méthé Myrand

Une étude commandée par le Conseil du patronat du Québec dresse le portrait de l’écosystème de la construction et lance un dialogue sur d’éventuelles stratégies porteuses de prospérité.

« C’est la première fois qu’une telle initiative avait lieu pour réunir tout l’écosystème lors d’une réflexion sur le positionnement du secteur », affirme Yves Thomas Dorval, président-directeur général du Conseil du patronat du Québec (CPQ).

 

La démarche, mise en oeuvre en réaction à la morosité qui règne depuis la Commission Charbonneau, est un appel à la mobilisation du milieu de la construction pour retrouver davantage de dynamisme. « On sait ce dont le Québec est capable, mais il faut agir de façon concertée, aligner nos intérêts et utiliser la force du groupe, explique Louis J. Duhamel, de Deloitte, auteur de l’étude. À quand une stratégie nationale de la construction ? »

 

La notion d’écosystème, empruntée aux sciences naturelles, illustre la pluralité des intervenants dans un secteur donné et la complexité de leurs rapports. L’analogie est donc de mise pour caractériser le milieu de la construction au Québec : un secteur fragmenté qui compte, en plus des donneurs d’ouvrage, 26 000 entrepreneurs et d’innombrables fournisseurs, firmes de services, professionnels, centres de formation et organismes représentant divers intérêts.

 

Comme en écologie, chaque intervention dans une chaîne ou un cycle entraîne des répercussions qui influencent d’autres éléments au sein du système. Un écosystème peut être riche ou pauvre, fragile ou résilient, et se transformer à la suite de bouleversements. Qu’en est-il du milieu québécois de la construction ?

 

Faits saillants

Le secteur de la construction contribue pour 22,4 milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) du Québec, soit à hauteur de 6,5 %, et emploie 267 500 travailleurs. C’est le 4e secteur en importance après les services financiers et immobiliers, la fabrication et le commerce de gros et de détail. Il génère aussi 12,9 milliards de dollars en PIB indirect en sollicitant les produits et services issus des autres secteurs, notamment les matières premières, les produits manufacturés et les services d’architecture et de génie. Cela représente 155 800 emplois. De plus, les retombées attribuables aux dépenses des ménages engendrées par ces activités sont de l’ordre de 8,3 milliards de dollars.

 

L’industrie de la construction a connu, ces 14 dernières années, une croissance annuelle moyenne de 3,4 %, par rapport à 1,5 % pour l’économie de la province. Le quart de cette croissance est attribuable à l’investissement public, qui a un effet multiplicateur. La réalisation de grands travaux d’infrastructures signale un climat favorable aux activités économiques, engendre l’investissement privé et améliore les flux des biens, des personnes, des capitaux et des services. Le sous-secteur de la construction résidentielle est le plus gros employeur et représentait les trois quarts de l’investissement total en bâtiment pour l’année 2014, qui se chiffrait à 30,3 milliards de dollars.

 

La part du secteur commercial représentait 6,4 milliards, celle de l’institutionnel 2,9 milliards et celle de l’industriel 1,2 milliard. Si on peut se réjouir de la solidité de ce pilier de l’économie, la suite du document indique que l’industrie n’atteint pas son plein potentiel et que la constance des performances masque les problèmes structurels qui menacent sa compétitivité. En effet, la productivité du secteur de la construction (exprimée en dollars de valeur ajoutée pour chaque heure travaillée) a chuté de 47,5 $/h à 41 $/h entre 2009 et 2014.

 

Une image à refaire

Avec l’étude intitulée Vers une stratégie québécoise pourl’écosystème de la construction, le CPQ souhaitait contribuer à dissiper le climat de méfiance observé dans le secteur, la réputation de ce dernier ayant été mise à mal, entre autres, par les révélations de la Commission Charbonneau. « On percevait toute l’industrie comme ça, dit Louis J. Duhamel. Et c’est terrible parce que c’est un secteur qui a porté notre économie à travers des crises, un secteur noble où oeuvrent des gens honnêtes. »

 

Le consultant estime qu’il faut cependant avoir le courage de faire face à certains enjeux. « Notre cadre règlementaire ne date pas d’hier. Les règles se sont additionnées, ce qui donne une drôle de bibitte et à la fin c’est très complexe, dit Louis J. Duhamel. Quand on songe à la règle du plus bas soumissionnaire, on n’a pas encore trouvé comment la remplacer. On craint que l’alternative ne soit pas souhaitable ou encore pire. C’est peut-être une boîte de Pandore, mais il faut s’asseoir et regarder les options. »

 

Si notre main-d’oeuvre brille par ses compétences, on déplore aussi le travail en vase clos qu’accentue la règlementation des métiers. La division du travail rigide conduit à la multiplication des intervenants sur le chantier et complique la gestion et la coordination des travaux. Elle expose également les régions aux pénuries de main-d’oeuvre puisque la spécialisation décourage la polyvalence et complique la réaffectation des travailleurs disponibles.

 

L’étude fait état de plusieurs autres éléments qui nuisent au dynamisme du milieu : une carence au niveau du contrôle de la qualité dans les travaux, la volatilité des investissements publics, les délais d’obtention des budgets d’une part, et des paiements de l’autre.

 

Une initiative encore trop timide ?

Pour avoir raison de l’inertie, encourager la concertation et favoriser la croissance, Louis J. Duhamel fait la somme des actions à poser. D’abord, rebâtir la fierté des gens du milieu et démontrer l’intérêt qu’ils ont à se parler. Ensuite, constituer une entité fédératrice pour parler d’une voix forte et unie. Ultimement : oser entreprendre un grand chantier règlementaire et développer une stratégie pour faire foisonner l’innovation.

 

Si les objectifs sont audacieux, Jean Paradis, président de l’Association des économistes et estimateurs de la construction du Québec, estime que le CPQ s’est montré encore trop timoré dans sa manière d’aborder certains sujets fondamentaux. « La règle du plus bas soumissionnaire conforme est ce qui nuit le plus, insiste-t-il. On exige de l’entrepreneur qu’il soumissionne dans des délais courts et qu’il compose avec les sous-traitants qui offrent le plus bas prix, même s’il sait pertinemment que ceux-ci ne peuvent pas livrer ».

 

M. Paradis convient que d’autres modes contractuels sont envisageables, mais en plus d’exiger davantage d’efforts de la part du donneur d’ouvrage, ils se prêtent plus facilement aux soupçons de conflit d’intérêts qui minent toujours le climat de travail dans l’industrie. Lorsque les bonnes pratiques qui impliquent des communications en amont, comme la conception intégrée et le partnering, deviennent suspectes, on se prive d’une large part de la compétence des entrepreneurs. « C’est devenu dangereux de se parler », déplore-t-il.

 

Plus acerbe dans ses critiques, Jean Paradis se rallie néanmoins à plusieurs des propositions du CPQ en vue de revitaliser le milieu. Le développement d’une culture collaborative est incontournable, de même que l’adoption d’un cadre règlementaire qui la favorise. Pour l’inspiration, il pointe vers le Royaume-Uni, le gouvernement fédéral et la Société québécoise des infrastructures (SQI). Il insiste enfin sur le rôle fondamental des propriétaires dans l’adoption des pratiques d’excellence.

 

Un consensus semble exister sur le potentiel présent dans le milieu de la construction et les enjeux qui y font obstacle. Reste à voir si l’appel du CPQ sera entendu et la mobilisation suffisante pour aiguillonner le géant engourdi.

 

CONSTRUCTION ET LIBRE-ÉCHANGE

La construction est généralement perçue comme un secteur local et circonscrit par la géographie. Or, de plus en plus d’entreprises font affaire à l’international. Les exportations manufacturières relatives au secteur de la construction sont passées de 10,8 milliards en 2010 à 14,2 milliards de dollars en 2015. Les importations, croissant à un taux comparable, sont moitié moins importantes, ce qui a permis au Québec d’accroître la balance commerciale à son avantage de 31,9 % sur la même période. Les principales destinations de ces exportations sont les États-Unis, les Pays-Bas et le Mexique.

 

Source d’opportunités, la mondialisation des marchés expose néanmoins le Québec à la compétition internationale, ce qui met en évidence des lacunes relatives, notamment sur le plan de l’innovation. Quatre-vingt-trois pour cent des employeurs comptant moins de six employés, les entreprises d’ici peinent à composer avec la multiplication des procédures règlementaires, sans parler d’investissement dans l’automatisation ou de l’intégration des technologies informatiques.

 


Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2016. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !