Main-d’oeuvre, matériaux, transport, équipements, carburants, taux d’intérêt : les éléments à prendre en considération dans un budget de construction sont nombreux et leurs prix fluctuent sans cesse.
Néanmoins, des spécialistes, des façons de faire et des outils existent pour mieux gérer le risque économique en construction au Québec. À la clé? Un meilleur respect des couts, mais aussi une relation entre donneur d’ouvrage et entrepreneur sous le signe de la bonne entente !
La pandémie de COVID-19 le montre au grand jour, la gestion du risque économique en construction s’intègre encore peu aux projets dans la province. « La grande majorité des contrats de construction sont comme des boites noires. Les risques associés aux projets ne sont pas clairement définis et restent donc inconnus, non chiffrés et non attribués », constate Chantale Germain, ingénieure civile dotée d’une maitrise en gestion de projets et actuellement cheffe Optimisations et stratégies long terme chez Hydro- Québec et membre de l’AACE International (Association for Advancement of Cost Engineering International).
« J’ai vu passer quelques contrats contenant un partage des risques, mais ce sont des exceptions. » Pourtant, chaque étape d’un projet comporte ses risques. Et leur influence se fait non seulement ressentir sur la facture, mais aussi sur la date de livraison des bâtiments et des infrastructures ou encore sur la bonne entente entre les parties prenantes.
Recelant d’inconnus et d’imprévisibilité, un projet gagnerait donc à tenir compte des risques encourus. Le Brésil, entre autres, l’a compris. Une loi du pays oblige à la fois le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur impliqués dans un même projet à lister ensemble les risques qui peuvent survenir durant son exécution. « Le donneur d’ouvrage liste tous les risques qu’il entrevoit et l’entrepreneur fait de même de son côté. Ensuite, ils répartissent entre eux la prise de risque, le tout avant de signer le contrat », précise Chantale Germain. De cette façon, non seulement les risques sont identifiés, mais l’entité la mieux placée pour les gérer est aussi déterminée à l’avance. « Par exemple, dans un projet hydroélectrique, la productivité de la main-d’oeuvre reviendrait à l’entrepreneur, alors que le débit de la rivière tomberait sous la gouverne du donneur d’ouvrage. »
Cost engineer : une expertise
Au Brésil, mais aussi en Norvège et en Angleterre, on se démarque donc en gestion du risque économique. Tellement qu’on se spécialise sur cet enjeu et qu’une profession à part entière est apparue : le cost engineer, que l’on pourrait traduire par « ingénieur des couts ». En effet, certains pays demandent, pour entreprendre de grands projets, de suivre des cours et d’obtenir des certifications. Il s’agit d’ailleurs de la mission de l’Association for Advancement of Cost Engineering International. Cette organisation travaille à la montée en compétences des ingénieurs et autres professionnels de la construction attitrés à la gestion des couts totaux des projets de construction afin que ces derniers approfondissent les concepts de planification, d’estimation, de gestion des risques et de bénéfices dans le but d’en limiter l’impact sur les investissements des entreprises et des institutions.
Une fois formés, ces ingénieurs des couts et économistes sont au courant des tendances et des répercussions de la fluctuation des différents paramètres économiques en ce qui concerne la construction. Ils sont donc non seulement conscients du prix de l’acier aujourd’hui même, par exemple, mais aussi de son pourcentage d’augmentation possible l’année suivante et des tenants et aboutissants qui génèrent une telle situation.
Chantale Germain propose l’exemple fictif suivant pour illustrer ses propos : « L’acier d’un pays X est souvent moins cher, mais de moins bonne qualité. Et, en plus, il peut y avoir des délais d’approvisionnement. L’ingénieur des couts ou l’économiste pourrait dire que ce pays est en train de racheter de la ferraille pour abaisser son prix au maximum. Une fois qu’il aura réussi à descendre les prix, il prendra tout le marché et il n’y aura plus de concurrence. La personne ou l’entité conseillée pourrait alors décider de s’engager avec ce pays ou encore de s’attacher à un fournisseur qu’elle connait, qui est un peu plus cher, mais avec qui elle compte développer une relation à long terme.
C’est cette intelligence qu’il y a derrière l’imprévisibilité des indicateurs économiques qui est intéressante, parce que ça permet d’établir des stratégies pour couvrir les risques ». Toutefois, une telle expertise vaut son pesant d’or, voilà pourquoi l’ingénieure propose que les entreprises se regroupent afin de partager les couts reliés à l’embauche de tels professionnels.
Collaborer, être transparent et proactif
Pour la cheffe Optimisations et stratégies long terme chez Hydro-Québec, le point de départ lorsque l’on souhaite amorcer la gestion du risque économique est sans contredit d’identifier les risques et d’établir ensuite les stratégies pour y faire face, le cas échéant. Et le tout devrait être orchestré par une personne ou une équipe dotée d’une expertise en gestion de grands projets et en gestion de risques, et ayant atteint un niveau professionnel qui permet de travailler selon les bonnes pratiques de l’industrie. Le second point incontournable pour elle réside dans la transparence. « C’est le plus important, tient à mentionner Chantale Germain.
Entre un entrepreneur et un donneur d’ouvrage, chacun a son objectif. Et quand tu ne travailles pas en mode collaboratif, cela finit par couter une fortune. Tandis qu’en se donnant un objectif commun et en partageant le risque équitablement, on se rapproche et on travaille main dans la main. On évite ainsi les réclamations interminables et les conflits qui pourraient aussi s’éterniser », croit l’ingénieure. Collaboration, transparence et équité : la sainte trinité que met de l’avant la gestion du risque économique en construction. Ainsi, la table serait mise pour établir un rapport contractuel plus équitable entre donneur d’ouvrage et entrepreneur.
DANS LE CADRE DU RISQUE ÉCONOMIQUE ?
Outil de quantification probabiliste du risque économique, la simulation Monte Carlo fonctionne un peu à la manière d’un boulier. On y liste tous les indicateurs reliés à un projet de construction, comme les matériaux, la main-d’oeuvre, le transport, les équipements, le carburant. On définit ensuite les différents prix possibles de chacun de ces éléments. Certains prix s’influenceront entre eux, comme c’est le cas de l’acier d’armature et de l’acier de structure, par exemple. D’autres sont indépendants, comme le granulat. « On obtient alors une centaine de composantes qui comportent chacune une donnée optimiste et une donnée pessimiste », explique Chantale Germain. « Selon les milliers d’itérations envisageables, on arrive à une courbe de probabilité des couts. » En ayant toutes les cartes en main et en voyant toutes les possibilités de respect ou de dépassement de couts, le donneur d’ouvrage pourra ensuite déterminer s’il est prêt ou non à s’engager dans le projet. « C’est oser mettre sur la table tout ce qui pourrait arriver et ça donne alors l’intervalle de confiance. C’est encore une histoire de transparence ! », conclut Chantale Germain.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Projets 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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