Comment réussir une transition énergétique complète du secteur des bâtiments d’ici 2050 ? Le Conseil québécois des entreprises en efficacité énergétique (CQ3E), regroupant 24 entreprises, propose des actions concrètes pour y parvenir.
Ces actions sont rassemblées dans le Manifeste pour la décarbonation des bâtiments du Québec (PDF), publié en août dernier. Ce manifeste, dont les démarches se sont étirées sur près de huit mois, a été savamment réfléchi par un comité de rédaction composé de dix différents acteurs de l’industrie, membres du CQ3E : entrepreneurs, gestionnaires d’immeubles, firmes de construction, firmes d’ingénierie et fournisseurs de produits électriques, etc. « Le dominateur commun du CQ3E, c’est d’être une association de fournisseurs. Nos clients ne font pas partie de l’association : c’est plutôt notre auditoire », précise son président, François Dussault, également conseiller stratégique en efficacité énergétique chez Ambioner.
Réduction de la consommation
Alors que les bâtiments commerciaux et institutionnels sont la source de près de 10 pour cent des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec, l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 dans ce secteur repose sur trois piliers indissociables les uns des autres : la réduction de la consommation, l’électrification judicieuse et la gestion de la demande de puissance. Pour chacun de ceux-ci, un total de 17 recommandations sont émises et s’adressent à divers publics cibles. On souhaite notamment attirer l’attention du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie et du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs afin qu’ils contribuent à la réduction de la consommation d’électricité.
Le CQ3E recommande donc, entre autres, d’exiger des seuils maximums d’intensité énergétique (kWh/m2) et des taux maximums d’émission de GES par bâtiment. « Sur le plan de la réglementation, il faudrait être beaucoup plus sévère là-dessus. Cette recommandation serait une approche plus coercitive, qui passerait par la législation », indique le président du CQ3E. La réduction des besoins à la source peut entre autres passer par la récupération de l’énergie perdue dans les bâtiments, l’optimisation du contrôle des horaires de fonctionnement ou le stockage d’énergie. Il s’agit en fait de chercher des opportunités pour mieux gérer l’énergie en ce qui concerne le bâtiment avant de penser à l’électrification. « On parle souvent des technologies mécaniques parce qu’il s’agit des solutions les plus courantes, mais l’amélioration de l’enveloppe des bâtiments existants doit sérieusement être davantage envisagée », ajoute cependant François Dussault.
Revoir l’électrification
Ce manifeste concerne aussi les donneurs d’ouvrage. Pour participer à une électrification judicieuse, les propriétaires doivent améliorer leur compréhension de l’énergie. Il est ainsi recommandé de développer la littératie et les compétences des gestionnaires immobiliers, des entrepreneurs, des professionnels de la construction et des techniciens d’entretien sur les technologies de thermopompes et les meilleures pratiques d’installation, d’opération et d’entretien. « Notre or au Québec c’est l’électricité et on va le gaspiller à se chauffer avec les plinthes électriques. On ne devrait pas faire ça quand il y a des façons plus efficaces de se chauffer et de garder ces ressources pour les valoriser ailleurs », fait valoir André Rochette, fondateur d’Ecosystem, une entreprise spécialisée en efficacité énergétique et membre du CQ3E.
Pour ce faire, il faut toutefois arriver à gérer la demande de puissance afin de ne pas créer des problèmes de pointe sur le réseau. Cela passe, entre autres, par le stockage d’énergie et l’utilisation du gaz naturel renouvelable (GNR). La bonification des tarifs et des programmes d’appuis financiers relatifs à la gestion de pointe et de stockage, tout en tenant compte des besoins des différents secteurs de l’industrie, consiste ainsi en une recommandation du manifeste sur laquelle les distributeurs d’énergie, comme Hydro-Québec et Énergir, peuvent agir : « Pour eux, nous avons des recommandations concernant davantage la bonification des programmes. Nous souhaitons ainsi encourager certaines solutions plutôt que d’autres et recommander des façons d’augmenter ainsi que de multiplier les subventions quand les bonnes technologies sont utilisées ou quand l’approche à trois piliers est adoptée », détaille François Dussault.
Une vision intégrée
Ainsi, toutes les recommandations sont de nature à encourager les visions intégrées, autant pour les bâtiments existants que pour les nouvelles constructions. Plus les projets sont réalisés de façon intégrée, plus l’atteinte des objectifs de performance future dans l’exploitation d’un immeuble est favorisée. Bien entendu, beaucoup de projets en mode conception- construction se réalisent déjà. « Nous ne sommes pas en train de proposer qu’aucune de nos recommandations n’est appliquée en ce moment. Nous souhaitons souligner les bons coups et retirer du chemin les barrières et les mauvaises pratiques », souligne le président du Conseil. Parmi les 17 recommandations, beaucoup d’entre elles sont déjà mises en branle ou en discussion. Le CQ3E veut toutefois faire partie de la conversation sur la carboneutralité : « Nous, ce qu’on amène, c’est l’expérience du terrain », poursuit-il.
Une volonté commune
Les 24 entreprises signataires du manifeste ont participé à plusieurs rencontres pour arrimer leurs perceptions. Mais dès le départ, une certaine convergence des idées était déjà présente au sein du groupe. « Fondamentalement, dans le CQ3E, tout le monde comprend le problème des changements climatiques et veut faire quelque chose », lance André Rochette. Ainsi, tous se sont fédérés autour d’une vision commune et d’objectifs à atteindre. Porter un message d’une voix unie est sans aucun doute la valeur ajoutée de ce manifeste, estime François Dussault : « Ce sont de grosses pointures dans le secteur qui parlent ensemble. C’est beaucoup plus percutant que de parler chacun de notre côté. » La liste des entreprises signataires comprend Aedifica, Ainsworth, Akonovia, Ambioner, Bouthillette Parizeau, Ciet, C-Nergie, Dunsky, Econoler, Ecosystem, Energénia, Énergère, Enero Solutions, Honeywell, Johnson Controls, Krome, Lemay, Master, Nordexco, Pomerleau, Siemens, Sofiac, Trane et TST.
Dix conditions essentielles ont été identifiées pour que les trois piliers de l’efficacité énergétique soient au coeur de la décarbonation des bâtiments. Parmi celles-ci, l’accélération de la mise en oeuvre de systèmes de cotation et la divulgation publique de la performance et des émissions des bâtiments.
Ce système existe déjà en Europe et dans l’État de New York, où une fiche est bien visible sur la porte de l’immeuble, un peu à l’image des cotations de salubrité des restaurants. « Personne ne veut aller manger dans un restaurant coté D. À New York, ils considèrent donc que personne ne voudrait louer des bureaux dans un immeuble qui est coté D », donne en exemple André Rochette. Au Québec, on viserait une cote à deux indices. Le premier concernerait l’intensité énergétique, c’est-à-dire la consommation d’énergie par mètre carré. Le deuxième aurait trait aux émissions de GES. En effet, un bâtiment peut être très performant, mais continuer à utiliser des combustibles fossiles. « Dans ce cas, il ne devrait pas être considéré comme aussi exemplaire qu’un bâtiment qui est très performant et sans énergie fossile », souligne François Dussault.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Bâtiment 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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