Retard à réclamer et frais de retard : qui doit quoi ?

2 août 2013
Par Me Anik Pierre-Louis

Dans le domaine de la construction, le respect des échéances pour effectuer les travaux constitue un élément crucial qui peut engendrer des frais et pénalités importantes. Pour déterminer qui doit en supporter les frais, il faut identifier quel acteur est responsable des retards. À cela peut s’ajouter un délai contractuel pour effectuer toute réclamation. À défaut de le respecter, bien que la réclamation soit fondée, elle ne peut alors être recevable.

 

Ce délai peut être prévu expressément au contrat principal entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage et il peut aussi, par renvoi en des termes généraux stipulés dans le contrat de sous-traitance, s’appliquer aux réclamations du sous-traitant. En effet, le contrat de sous-traitance peut simplement contenir une clause générale à l’effet que l’ensemble des exigences, termes et conditions du contrat principal s’appliquent au contrat de sous-traitance. C’est ce qui se produit dans un cas récent devant la Cour supérieure du Québec.1 Le sous-traitant doit alors redoubler de vigilance et bien lire le contrat principal afin de ne pas se faire refuser des paiements auxquels il aurait autrement droit.

 

Les faits

Carrières Bob-Son inc. (« Bob-Son »), l’entrepreneur général, conclut un contrat avec la municipalité de Rivière-au-Tonnerre pour la réalisation de travaux d'aqueduc et d'égout. Bob-Son fait ensuite appel à Les Constructions BLH (1997) inc. (« BLH ») en tant que sous-traitant pour la construction d'un réservoir et d'un bâtiment de service. Il est prévu au contrat de sous-traitance que les travaux doivent s'échelonner entre le 20 avril 2009 et le 15 juillet 2009. Dans les faits, les travaux de BLH débutent avec trois semaines de retard et se terminent au début du mois de septembre 2009, sous réserve d'apporter des travaux correctifs à l'ouvrage. La mise en service finale de l’ouvrage réalisé par BLH est effective au début de décembre 2009.

 

BLH intente un recours contre Bob-Son pour des travaux de construction impayés ainsi que pour des frais supplémentaires. Quant à elle, Bob-Son considère que les réclamations de BLH sont irrecevables puisqu’elles sont effectuées hors du délai prévu au contrat principal conclu avec la municipalité. De plus, Bob-Son invoque que BLH est responsable en partie pour les retards dans l’exécution des travaux. Bref, qui doit quoi ?

 

Délai de réclamation

La discorde survient à l'occasion de réclamations de BLH pour des frais supplémentaires. En effet, ce n'est qu'au mois de février 2011, soit plus d’un an suite à la mise en service de l’ouvrage, que BLH procède à la facturation de certains de ces frais à Bob-Son. Or, cette dernière invoque que les réclamations sont irrecevables puisqu’elles sont tardives. Le délai de 120 jours qui est prévu au contrat principal est échu. Selon Bob-Son, ce délai serait aussi applicable aux réclamations de BLH puisque le contrat de sous-traitance l’incorpore de la manière suivante : « Dans la mesure où ils sont applicables, les exigences, termes et conditions du contrat principal entre Les Carrières Bob-Son inc. et le propriétaire et dont le sous-traitant déclare avoir pris connaissance s'appliquent au présent contrat de sous-traitance. » Le Tribunal retient cet argument.

 

En effet, bien que BLH n'ait jamais produit de déclaration explicite à l'effet qu'elle avait pris connaissance de la clause du délai de 120 jours prévu au contrat principal, le Tribunal déclare qu'il est de « la responsabilité du sous-traitant de prendre connaissance du contrat principal, lorsque sa soumission est retenue par l'entrepreneur général et qu'une clause de son contrat de sous-traitance réfère au contrat principal ». Ainsi, toute réclamation de BLH produite au-delà du délai de 120 jours est irrecevable. Bien que les frais supplémentaires soient justifiés, « la tardiveté de la production de cette réclamation fait échec à son acceptation ». Or, sans la présence d’une telle clause de déchéance pour faire valoir une réclamation, une partie dispose normalement de trois ans pour entreprendre des recours judiciaires en vue de la faire valoir. Par son simple retard à agir, BLH perd donc un montant de plus de 10 000 $ que le Tribunal lui aurait autrement octroyé.

 

Frais de retard

Quant aux frais de retard réclamés à son tour par Bob-Son, la Cour refuse de tenir BLH responsable. En effet, le juge applique le principe bien établi qu'il incombe à l'entrepreneur de prendre les moyens nécessaires pour que le chantier débute à la date convenue de début des travaux du sous-traitant, afin que ce dernier puisse respecter l'échéancier. Dans le cas présent, le contrat principal conclu avec la municipalité a été octroyé à Bob-Son au printemps 2008. Cette dernière disposait donc de tout le temps nécessaire pour effectuer les travaux préalables à ceux de BLH. Or, Bob-Son est responsable pour un délai de plus de trois semaines qui s’est écoulé avant que BLH ne puisse commencer son exécution.

 

Mais il y a plus. Le Tribunal conclut que Bob-Son est aussi responsable pour les retards survenus en cours d’exécution puisqu’il revient à l'entrepreneur général de coordonner le chantier pour faire en sorte que les délais convenus avec la municipalité soient respectés. Bref, la réclamation de Bob-Son pour les retards est totalement rejetée puisqu’elle a manqué à des obligations de préparation et de coordination du chantier qui lui revenaient.

 

Conclusion

En conclusion, il faut retenir du cas de Bob-Son et de BLH qu’un contrat de sous-traitance peut légalement renfermer de manière implicite des termes et conditions qui sont décrits au contrat principal, tel un délai de déchéance de réclamation. Il revient au sous-traitant de prendre bien connaissance du contrat principal dans un tel cas. D’un autre côté, l’entrepreneur ne peut réclamer des frais de retard lorsqu’il manque à son obligation de préparer le chantier et de coordonner les travaux des multiples intervenants.

 

1. Constuction BLH (1997) inc. c. Carrières Bob-Son inc., 2013 QCCS 2200

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372 ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com.


Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 19 juillet 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !