Renseignez vos clients… et vous-mêmes !

6 mai 2013
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Faire affaire avec le grand public est chose courante pour plusieurs entrepreneurs en construction dans le secteur résidentiel. En parlant de « grand public » nous faisons référence aux personnes qui n’ont aucune connaissance ou expérience en matière de construction. Et en effet, il est courant que des membres du grand public entreprennent eux-mêmes – en contractant directement avec des entrepreneurs en construction – des travaux majeurs de construction ou de rénovation résidentielle.

 

La conclusion et l’exécution d’un contrat avec un membre du grand public soulèvent des questions délicates, et parmi celles-ci se trouve l’ampleur de l’obligation de renseignement qu’assume l’entrepreneur.

 

Rappelons que l’obligation de renseignement est au cœur du contrat d’entreprise car elle repose sur l’obligation de bonne foi que se doivent les cocontractants [1]. De façon générale, lorsqu’il s’agit de décider si une partie au contrat doit donner une information à l’autre, trois éléments doivent être considérés : (1) la connaissance de l’information par la partie qui détient ou est sensée détenir l’information, (2) l’importance de l’information détenue et (3) la possibilité qu’a la cocontractante non informée de se renseigner elle-même et la confiance légitime qu’elle a envers la partie qui détient ou est sensée détenir l’information [2].

 

On voit donc l’importance de l’obligation de renseignement en construction résidentielle. Puisque le donneur d’ouvrage et interlocuteur principal de l’entrepreneur en construction est généralement une personne faisant partie du grand public qui a peu de connaissances et d’information, les renseignements donnés par l’entrepreneur seront parfois critiques, ainsi que les démarches préalables de l’entrepreneur pour s’informer lui-même.

 

Par contraste, la construction commerciale ou industrielle est souvent bien mieux encadrée, l’entrepreneur faisant d’habitude affaire avec des professionnels du milieu (architectes, ingénieurs, etc.) qui sont à la fois informés et capables de s’informer si nécessaire.

 

Une décision [3] récente de la Cour supérieure illustre bien comment l’obligation de renseignement peut prendre forme en construction résidentielle et à quel point il est important pour un entrepreneur d’y veiller.

 

Les faits

Mme Allyson conclut un contrat avec Les Concepts Architecturaux inc. (ci-après « Concepts ») pour construire une résidence neuve. Entre-temps, Mme Allyson entreprend les démarches pour obtenir un permis de construction de la Municipalité. Pour ce faire, elle communique plusieurs fois avec l’inspecteur municipal afin de s’assurer de bien remplir la documentation, notamment en ce qui concerne la hauteur des remblais et déblais. La Municipalité délivre le permis et l’inspecteur dit à Mme Allyson qu’il a toutes l’information nécessaire au dossier, qu’il s’est rendu sur les lieux et que tout semble conforme.

 

Les travaux de fondation commencent, mais avant que le béton ne soit coulé dans les formes, Mme Allyson communique avec Concepts pour exprimer des doutes quant à la hauteur des fondations. Concepts se fait rassurante et dit que tout ira bien.

 

Une fois les fondations coulées, Mme Allyson demande à l’inspecteur municipal de vérifier l’état des fondations. Ce dernier constate qu’il y a beaucoup trop de remblai, en violation de la réglementation, et demande la suspension immédiate des travaux. Forcée de détruire les fondations en place et les reconstruire, Mme Allyson poursuit Concepts et la Municipalité.

 

La décision

Le Tribunal retient la responsabilité de Concepts sur la base d’un manquement à l’obligation de renseignement. En effet, même si Concepts affirme ne jamais avoir été informée du fait que la réglementation interdisait des remblais de plus que quatre pieds elle aurait dû, compte tenu de certains indices, se renseigner sur la réglementation applicable.

 

Premièrement, le plan remis à Concepts par Mme Allyson, qui ne contenait que quelques annotations, était insuffisant pour permettre à Concepts d’aller de l’avant sans plus de précisions. Deuxièmement, le plan de nivellement de Mme Allyson aurait dû soulever des doutes, puisque certaines annotations étaient erronées. Finalement, le Tribunal trouve négligent le fait que Concepts se soit limitée à rassurer Mme Allyson lorsque cette dernière lui a exprimé des doutes par rapport à la hauteur des fondations. Concepts aurait dû traiter cette information avec plus de sérieux, et investiguer de manière plus approfondie.

 

Le Tribunal retient aussi la responsabilité de la Municipalité, mais sur la base du fait qu’elle aurait été négligente dans l’application de ses propres règlements. Cette négligence a contribué au problème d’information qui a mené à la construction des fondations devant être détruites.

 

Conclusion

Il est sans doute souvent facile pour un entrepreneur en construction de se faire rassurant lorsqu’un membre du grand public lui exprime des inquiétudes relativement à un projet. Souvent les inquiétudes sont à propos de choses normales ou routinières, et souvent l’entrepreneur – une personne de métier et d’expérience – a raison. Mais il faut quand même être vigilant, car parfois les soucis du grand public sont fondés.

 

La décision que nous venons d’examiner montre qu’il peut y avoir une certaine asymétrie quant à l’obligation de renseignement en construction résidentielle. En effet, l’entrepreneur est souvent la personne qui détient ou peut obtenir de l’information très importante, et le client est soit mal informé, soit incapable d’obtenir la bonne information. De plus, le client fait confiance à l’entrepreneur, qui est la personne du métier.

 

La réglementation municipale est un bon exemple : même si elle est en principe disponible à tous, l’entrepreneur est mieux placé que son client quand vient le temps de la comprendre et de l’appliquer au projet.

 

Alors : renseignez-vous !

 

1. Article 1375 du Code civil du Québec ; voir aussi Banque de Montréal c. Bail ltée, [1992] 2 R.C.S. 554.

2. Infra note 3 au para. 23.

3. Allyson c. Lac-Beauport (Municipalité de), 2013 QCCS 444.

 

Miller Thomson avocats

 

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 3 mai 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !