Dépôt électronique des soumissions au BSDQ : l’égalité entre les soumissionnaires

31 janvier 2014
Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M.

Depuis février 2013, le Code de soumission du Bureau des soumissions déposées du Québec (ci-après « BSDQ ») a subi des changements importants afin de refléter la nouvelle réalité du dépôt électronique de soumission, c’est-à-dire le système informatique permettant la transmission électronique des soumissions « TES », lequel a depuis cette date complètement remplacé le dépôt sous enveloppe. Depuis, le Code de soumission ne réfère plus à la réception des enveloppes blanches mais bien au dépôt électronique. L’utilisation de la TES avait été annoncée quelques années au préalable et dès novembre 2012, la presque totalité des usagers utilisaient déjà la TES selon le BSDQ.

 

L’implantation graduelle du système informatique a toutefois mené au litige relaté dans la décision Filtrum inc. c. Raymond Bouchard Excavation inc.1, tranché par l’honorable juge Dugré le 29 novembre dernier.

 

Les faits

Au mois d’août 2008, la Ville de Saint-Lin-Laurentides (ci-après la « Ville ») a lancé un appel d’offres pour l’augmentation de la capacité de traitement de son usine d’épuration. Dans le cadre de ce projet, Filtrum, entreprise spécialisée en mécanique de procédé, électricité et instruments, a déposé dans une enveloppe une soumission au montant de 487 300 $ pour l’exécution de travaux visés par le groupe de spécialités « tuyauterie industrielle/mécanique de procédé » le 25 août 2008. La soumission de Filtrum était conforme aux documents d’appel d’offres. À cette même date, Nordmec a aussi déposé une soumission pour ces travaux, mais par le biais du système TES.

 

Le 27 août 2008, le représentant de Raymond Bouchard Excavation inc. (ci-après « RBE ») se présenta à un bureau du BSDQ pour réclamer les soumissions qui lui étaient destinées en tant qu’entrepreneur destinataire. La préposée du BSDQ lui a alors remis une enveloppe contenant la soumission de Filtrum. Surpris de ne pas avoir d’enveloppe contenant la soumission de Nordmec, il a insisté auprès de la préposée en lui disant qu’une autre soumission lui était destinée. Il fut alors avisé que cette soumission avait été déposée par la TES. La préposée au BSDQ et sa supérieure furent toutefois incapables de lui remettre la soumission de Nordmec.

 

À cette date, RBE n’avait pas encore signé les documents nécessaires ni obtenu le mot de passe pour avoir accès aux soumissions déposées par le système TES. RBE envoya donc une lettre au BSDQ ainsi qu’une demande à Nordmec de lui transmettre copie de sa soumission qu’elle avait déposée au BSDQ par le système TES. RBE reçut de Nordmec une copie de sa soumission le jour même. Constatant que la soumission de Nordmec (421 532 $) était la plus basse soumission conforme, RBE accorda le sous-contrat à Nordmec. Le 2 septembre 2008, la Ville accorda le contrat à RBE puisque sa soumission était la plus basse soumission conforme.

 

Filtrum réclame de RBE et Nordmec la somme de 71 720 $ pour sa perte de profits et la somme de 5 000 $ à titre de troubles et inconvénients subis puisque, selon Filtrum, RBE a accordé fautivement et illégalement le sous-contrat à Nordmec alors qu’il aurait dû lui être octroyé. Filtrum soutient que RBE n’a pas pris possession de la soumission de Nordmec à l’intérieur du cadre du Code de soumission (ci-après le « Code »). Quant à Nordmec, celle-ci a aussi agi en contravention du Code en transmettant sa soumission directement à RBE et en acceptant de conclure un contrat avec RBE.

 

La décision

La Cour supérieure, sous la plume de l’honorable juge Gérard Dugré, est d’avis que RBE et Nordmec n’ont pas contrevenu aux dispositions du Code : Nordmec a bel et bien transmis sa soumission à RBE par le BSDQ et RBE a aussi réclamé la soumission en temps utile.

 

De l’avis de la Cour, le Code énonce que les dispositions portant sur la transmission électronique des soumissions doivent être adaptées et qu’elles requièrent des adaptations nécessaires à la suite de l’implantation du système informatique. En date du 27 août 2008, la deuxième phase du système TES n’était en vigueur que depuis le 4 août et certaines modalités n’avaient pas encore été établies. RBE n’a pu avoir accès à la soumission de Nordmec, car elle n’avait pas le mot de passe requis. Cependant, comme RBE a réclamé toutes les soumissions qui lui étaient adressées par le BSDQ par voie d’enveloppe ou électroniquement au moyen de la TES, la Cour est d’avis que RBE a pris possession de la soumission par le biais du BSDQ. L’obtention d’une copie de la soumission de Nordmec constitue une adaptation nécessaire afin que l’esprit du Code soit respecté suite à la mise sur pied du système TES.

 

L’appel

Filtrum a déposé une inscription en appel de cette décision en décembre 2013. Selon Filtrum, le juge de première instance a manifestement erré en droit en concluant que Filtrum et RBE n’ont pas contrevenu aux dispositions du Code, plus particulièrement, notamment les dispositions D-2 (laquelle édicte que toute soumission doit être transmise aux entrepreneurs destinataires uniquement par le truchement du BSDQ) et J-2 (laquelle édicte que l’entrepreneur destinataire est tenu d’accorder le contrat quant à une spécialité assujettie au soumissionnaire qui lui a adressé la plus basse soumission conforme… et dont il a pris possession). Filtrum met aussi l’accent sur les conditions d’application de la disposition J-7 du Code, laquelle ne permet à l’entrepreneur destinataire de communiquer avec les soumissionnaires pour obtenir leurs soumissions que si        « un seul ou aucun soumissionnaire n’a destiné une soumission à l’un des entrepreneurs destinataires dans une spécialité assujettie ».

L’affaire étant portée en appel, on peut retenir de cette affaire l’importance pour les soumissionnaires et entrepreneurs de transmettre et prendre possession des soumissions par le truchement du BSDQ, dans le cadre strict de la procédure établie.

 


Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec Me Andréanne Sansoucy par courriel à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.

 

1. Filtrum inc. c. Raymond Bouchard Excavation inc., J.E. 2013-2138 (C.S.) Inscription en appel 2013-12-27.

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 16 janvier 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !