L’idée à la base du cotravail est somme toute très simple : les professionnels indépendants fonctionnent mieux en communauté qu’en solitaire. Désireux de trouver une solution stimulante et enrichissante au travail à la maison (ou au café du coin), les travailleurs autonomes se tournent de plus en plus vers le mode de vie professionnelle différent que peut leur offrir le cotravail. En échange de frais souvent minimes, celui-ci donne accès à un environnement de travail complet (table de travail, salle de conférences et café) qui est partagé par un groupe de travailleurs indépendants (freelancers).
Cette cohabitation permet de cultiver aisément un réseau de contacts tout en générant un nombre important de rencontres fortuites des plus pertinentes. De plus, pour les jeunes entrepreneurs en démarrage, cette solution de remplacement au local commercial typique permet d’éliminer tout risque financier relatif à la signature d’un bail de longue durée en raison de la flexibilité des forfaits offerts.
Ce mode de travail, dont la popularité est en constante croissance, influence d’ores et déjà le marché. Selon certains spécialistes des environnements de travail, l’heure est désormais au bilan en ce qui a trait au type de bâtiments administratifs à ériger. D’autres vont même jusqu’à prédire l’extinction, dans un avenir rapproché, des édifices de bureaux dits traditionnels.
Constat
Au dire de Francis Duffy 1, architecte anglais et pionnier dans le domaine des stratégies d’occupation en milieu de travail, la construction d’édifices de bureaux tels que nous les connaissons aujourd’hui s’avère de moins en moins justifiable. À l’échelle internationale, la crise économique de 2008 a laissé plusieurs « coquilles » administratives vides, et ce, même dans les plus grands pôles économiques, de Vancouver à New York, en passant par Kuala Lumpur et Shanghai pour ne nommer que ceux-là.
Sur le plan fonctionnel, ces grands édifices abritent une multitude de postes de travail qui, plus souvent qu’autrement, sont désertés en raison de l’emploi du temps de leurs occupants de plus en plus varié et caractérisé par une grande mobilité. Ceci étant dit, malgré leurs taux d’occupation réduits, ces bâtiments continuent néanmoins à afficher une consommation énergétique pour le moins impressionnante, entre autres en raison du fait que l’éclairage artificiel est constamment sollicité.
Dans son livre Work and the City (2008), Duffy suggère que le secteur de la construction soit davantage gouverné par l’énoncé de réels besoins et non plus majoritairement par la spéculation immobilière. Selon lui, l’ascension soutenue du phénomène du cotravail est l’occasion de prendre conscience du fossé qui s’est creusé entre l’offre d’espace et les nouveaux besoins de la force de travail, besoins qui continueront forcément à évoluer.
Tendance lourde
En 2012, aux États-Unis seulement, on dénombrait environ 1 800 environnements de cotravail, un nombre qui a doublé chaque année depuis 2005. Certaines compagnies ont même vu l’émergence de ce type de lieux comme une opportunité de rationnaliser leurs dépenses. À titre d’exemple, en 2011, Plantronics a annoncé à 175 de ses employés qu’ils n’avaient plus d’espace de travail qui leur était dédié au sein des locaux de la compagnie ! Cette main-d’œuvre était désormais invitée à travailler à partir de la maison ou encore à fréquenter des lieux de cotravail localisés à proximité.
Les taux d’occupation en milieu de travail étant en constante diminution, il est même prédit que d’ici 2020, une grande part de la force de travail sera composée de travailleurs autonomes, soit près de 40 % 2. Alors que de plus en plus de gens feront le choix d’une plus grande autonomie et d’une flexibilité accrue, les propriétaires immobiliers et les concepteurs devront faire preuve d’imagination afin de s’adapter à cette tendance.
Proposer des environnements sur mesure et à la hauteur des attentes des travailleurs de demain nécessitera un important questionnement sur les modes d’occupation en milieu de travail, ce qui poussera du même coup certaines organisations à se redéfinir partiellement ou de façon plus marquée.
1. Francis Duffy, cité dans Saval, N. (2014) Cubed: A Secret History of the Workplace, New York: Doubleday, 368 pp.
2. http://http-download.intuit.com/http.intuit/CMO/intuit/futureofsmallbusiness/intuit_2020_report.pdf
L’auteur est chargé de projet chez Coarchitecture , bénévole au sein de la section du Québec du CBDCa et membre d’ECOOP, une coopérative offrant divers services de consultation en science du bâtiment.
Cet article est paru dans l’édition du mardi 24 octobre 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo,abonnez-vous !