CCQ : Resserrer l’étau pour assainir les pratiques

17 janvier 2014

La CCQ déploie des efforts sans précédent pour assainir les pratiques dans l’industrie. Chronique d’une offensive annoncée.

Par Rénald Fortier

 

Resserrement de l’application de ses règles visant à s’assurer de la conformité des chantiers, modernisation de ses méthodes d’enquête, intégration de sa force d’inspection sur le terrain et aux livres... La Commission de la construction du Québec (CCQ) prend les grands moyens pour changer les comportements dans l’industrie, histoire de favoriser une saine concurrence entre les entrepreneurs et de faire échec à l’évasion fiscale.

 

Il faut dire que ce coup de barre, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, s’imposait pour contrer les activités illégales dans l’industrie de la construction. D’autant plus que ce grand pan de l’activité économique québécoise, depuis toujours en proie au travail au noir, prête plus que jamais flanc à l’infiltration du crime organisé. Comme l’ont notamment mis en lumière les travaux de la Commission Charbonneau.

 

Jean-Guy Gagnon est bien placé pour en parler. Ancien directeur adjoint du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il est aujourd’hui conseiller spécial aux enquêtes de la CCQ. « L’industrie de la construction est vulnérable à l’infiltration du crime organisé et au blanchiment d’argent parce qu’il y a beaucoup de sous-traitance, que de nombreux travailleurs vont d’un chantier à un autre, que de l’argent comptant y circule et qu’il y a plein d’exceptions qui permettent à de gens de rentrer dans l’industrie.

 

« Le positionnement du crime organisé a évolué au cours des dernières années, observe également celui qui fut aussi commandant de l’escouade Carcajou et responsable de la Section antigang du SPVM. Comme dans le cas du trafic de stupéfiants, il y a des territoires qui ont été développés par la mafia et les groupes de motards. Ce qu’on commence à voir, c’est l’utilisation de la violence pour protéger ces marchés. Et on a des cas très concrets, et très sérieux, où des individus reliés au crime organisé ont intimidé nos inspecteurs. »

 

Un constat qui a d’ailleurs conduit la CCQ à développer un plan de lutte à l’intimidation en trois phases. La première consiste à documenter et à caractériser les événements ; la seconde, à fournir des mesures de protection aux employés ; et, la dernière, à référer certains cas aux forces policières. Comme l’enjeu que pose la lutte aux activités criminelles dans l’industrie est très grand, la CCQ a notamment intégré au sein d’une même équipe ses inspecteurs veillant à s’assurer de la conformité sur les chantiers et ceux chargés d’enquêter aux livres. Et elle a entrepris de leur fournir des outils technologiques leur permettant d’accéder à toutes ses bases de données en temps réel.

 

En fait, la CCQ s’est donné une nouvelle structure d’intervention comportant quatre niveaux : un réseau régional d’inspecteurs de chantier et d’enquêteurs aux livres ; une équipe de soutien pour des enquêtes particulières ; une escouade tactique regroupant notamment des enquêteurs chevronnés ; et un réseau de partenaires parmi lesquels figurent l’Agence de revenu du Québec, la Régie du bâtiment du Québec et les forces policières.

 

« L’équipe tactique a été mise en place pour s’attaquer aux stratagèmes, aux structures organisées et aux comportements plus systémiques, souligne Guy Lacroix, vice-président aux opérations de la CCQ. Comme c’est plus gros, il faut des forces et des stratégies différentes. »

 

Jean-Guy Gagnon précise : « Compte tenu que ce sont des causes de nature pénale et qu’on a de la difficulté à faire témoigner les plaignants, parce qu’ils craignent de subir des représailles financières et physiques, il nous faut monter des preuves hors de tout doute. La seule façon de faire alors, c’est de varier nos méthodes d’enquête pour faire une démonstration par des documents ou des observations. Ou en utilisant les pouvoirs que nous confère la loi R-20 pour perquisitionner sans mandat un chantier ou une place d’affaires reliée à l’industrie de la construction. »

 

La CCQ vise ainsi à ficeler du mieux possible les dossiers avant de les transmettre aux autorités policières, bref de fournir un niveau d’information qui permettra à ces derniers de poursuivre le travail. « Nous, nous sommes dédiés à la construction, note Jean-Guy Gagnon, tandis que les corps policiers ont beaucoup d’autres priorités à gérer. Alors, il faut voir à amener nos dossiers jusqu’au bon niveau de priorité. »

 

Pour Guy Lacroix, il ne fait pas de doute que la CCQ est en voie d’accroître son impact et sa pertinence à des niveaux sans précédent pour lutter contre les activités illégales et la concurrence déloyale dans l’industrie : « C’est une transition qui nous amène certainement à être beaucoup plus percutants », conclut-il.

 

 

ZÉRO TOLÉRANCE

Le travailleur de la construction qui contrevient à l’obligation de détenir un certificat de compétence fait désormais systématiquement l’objet, tout comme son employeur, d’un recours en justice. C’est que depuis le printemps dernier, la CCQ a mis un terme à sa pratique administrative de laisser tomber ce recours lorsque le travailleur régularisait sa situation à l’intérieur d’une période allant de 60 à 75 jours.

L’élimination de ce délai de grâce fait que chaque infraction liée à la non-détention du certificat de compétence sur un chantier est analysée et transférée au Directeur des poursuites criminelles et pénales, sans égard aux démarches de régularisation que le travailleur ou l’employeur concernés aient pu entreprendre.

Plus récemment, la CCQ annonçait une offensive sur les avis d’embauche et de fin d’emploi que les employeurs ont l’obligation de déclarer, dans un délai de 48 heures, pour soutenir la qualité des renseignements colligés dans ses bases de données servant à la référence et à la gestion des bassins de main-d’oeuvre.