Au tribunal : Respecter les délais prévus au CCDG

30 novembre 2017
Par Me Andréanne Sansoucy

Lorsque les projets de construction ne se déroulent pas comme prévu, les réclamations des entrepreneurs sont fréquentes.

La cause des réclamations des entrepreneurs : les changements

Les changements entraînent des coûts imprévus et souvent un retard par rapport à l’échéancier contractuel.

 

Si les coûts immédiats d’un changement sont payés par le propriétaire en cours d’exécution des travaux (par exemple, les coûts relatifs à la main-d’oeuvre et les matériaux associés précisément à un changement), la réclamation de l’entrepreneur vise à réclamer non pas ces coûts immédiats, mais les conséquences du changement.

 

Les changements à un projet de construction surviennent habituellement dans les trois contextes ci-après décrits : 1. Ils peuvent résulter de modifi cations aux travaux, demandées volontairement par le donneur d’ouvrage ou ses professionnels, en cours de construction. 2. Ils peuvent découler de travaux imprévus. Ces imprévus peuvent par exemple survenir en raison de la découverte de conditions de sol inattendues. 3. Ils peuvent être causés par des manquements du propriétaire, tels que des erreurs ou omissions dans les plans et devis ou des ingérences du propriétaire dans la bonne marche des travaux, ce qui peut par exemple arriver si le propriétaire fait défaut de livrer les équipements nécessaires à l’entrepreneur.

 

Les avis à transmettre au propriétaire pour pouvoir loger une réclamation

Pour qu’un entrepreneur puisse loger sa réclamation auprès d’un propriétaire, il doit s’assurer de respecter la procédure d’avis de réclamation prévue au contrat, si une telle procédure y est stipulée. La procédure d’avis vise à informer le propriétaire qu’une réclamation est imminente.

 

Sur les projets de construction du ministère des Transports du Québec (ci-après « MTQ »), le contrat applicable est le Cahier des charges et devis généraux (ci-après « CCDG »), lequel prévoit que si l’entrepreneur croit qu’il est lésé pendant les travaux, il doit transmettre une lettre dans un délai de 15 jours à compter du début des diffi cultés (CCDG 2017, clause 8.8.1). À défaut d’entente avec le MTQ, l’entrepreneur doit pendant les travaux accorder au surveillant « la possibilité de tenir un compte rigoureux des moyens mis en oeuvre pour l’exécution des travaux en litige » (CCDG 2017, clause 8.8.1, paragraphe 5). Ce n’est pas tout, l’entrepreneur doit ensuite transmettre sa réclamation dans le délai de 120 jours prévu à la clause 8.8.2. du CCDG 2017.

 

La lettre transmise dans un délai de 15 jours permet au propriétaire de suivre les coûts réels encourus par l’entrepreneur[1] .

 

En ce qui concerne la validité de ces clauses imposées par le MTQ, la Cour d’appel les avait jugées valides dans l’affaire Construction Infrabec Inc. c. Paul Savard, Entrepreneur Électricien Inc.[2] en 2012. Les courts délais de 15 et 120 jours sont valides et ne contreviennent pas à la règle d’ordre public selon laquelle « on ne peut pas convenir d’un délai de prescription autre que celui prévu à la loi ». Ces avis permettent à l’entrepreneur de cristalliser son droit d’action.

 

La décision récente de la cour supérieure C.F.G.Construction Inc. C. Construction Bau-Val Inc.

La Cour supérieure a eu à se prononcer à nouveau au sujet de la procédure prévue au CCDG dans sa décision C.F.G. Construction inc. c. Construction Bau-Val inc.3 rendue le 9 novembre 2017.

 

En 2015, Construction Bau-Val inc. (ci-après « Bau-Val »), entrepreneur général, obtient du MTQ le contrat de reconstruction du pont d’étagement situé sur le boulevard Roland Therrien au-dessus de l’autoroute 20, à Longueuil. Ce contrat prévoit que Bau-Val devra disposer du matériel d’excavation excédentaire. Un rapport relatif à la qualité de ce matériel est remis par le MTQ et mentionne que le sol sera d’un certain niveau de qualité.

 

Le matériel est retiré par le sous-traitant de Bau-Val, C.F.G. Construction inc. (ci-après « CFG »). Les analyses de sol démontrent que le matériel retiré du site de Longueuil est de qualité inférieure à celle mentionnée au rapport initialement remis par le MTQ à Bau-Val.

 

Bau-Val avise le MTQ le 6 décembre 2015 que la caractérisation des matériaux qu’il lui a remise initialement semble erronée et que « si des frais supplémentaires devaient être encourus pour le traitement de ces matériaux, ils devront nous être remboursés ». Après l’envoi de cet avis, Bau-Val n’achemine aucune réclamation au MTQ, jusqu’au jour où elle notifi e un recours en garantie au début du mois de mars 2017, en réaction au recours que lui intente alors CFG.

 

La Cour supérieure devait trancher la question soumise par le MTQ, à savoir si Bau-Val avait respecté la procédure prévue au CCDG. Bau-Val plaidait que tant qu’elle n’avait pas reçu la réclamation de son sous-entrepreneur CFG, elle ne pouvait pas elle-même présenter la sienne au MTQ et qu’en conséquence, sa demande en justice n’est pas tardive.

 

La Cour juge que Bau-Val n’a pas transmis au MTQ sa réclamation dans le délai de 120 jours. L’argument de Bau-Val de l’absence de réception de la réclamation de CFG n’est pas retenu. Bau-Val a appris durant l’exécution du contrat que la qualité des sols du chantier était moindre que celle qui lui avait été représentée par le MTQ. Elle savait dès lors qu’elle subirait une augmentation éventuelle de ses propres coûts. Même si le montant exact de la réclamation de CFG n’était pas encore quantifi é, il lui appartenait tout de même de transmettre sa réclamation afi n de préserver ses droits. La Cour rejette donc le recours de Bau-Val contre le MTQ.

 

L’on retient de cette décision que l’entrepreneur général doit absolument respecter les délais prévus au CCDG. Afi n d’y arriver, l’entrepreneur général pourrait stipuler dans ses contrats de sous-traitance des clauses qui lui permettraient de respecter celles qui le lient au MTQ. Par exemple, le sous-traitant pourrait s’engager à respecter la clause 8.8.1 du CCDG en transmettant une lettre à l’entrepreneur général dans un délai de 7 jours, ce qui permettrait à l’entrepreneur de respecter son propre délai de 15 jours. De la même façon, le sous-traitant pourrait s’engager à collaborer avec l’entrepreneur afi n de lui fournir toutes les informations requises pour élaborer une réclamation au cours de la période avant l’expiration du délai de 120 jours.

 


1. Cela est conforme aux principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Corpex (1977) inc. c. R., [1982] 2 R.C.S. 643. Dans cette affaire qui concernait la construction d’un barrage sur la rivière Saint-Charles à Québec, le volume d’eau à pomper s’était avéré supérieur aux estimations, forçant l’entrepreneur à procéder à la mobilisation de pompes supplémentaires. La Cour suprême avait jugé que la transmission des avis stipulés au contrat est requise. Cette procédure permet au donneur d’ouvrage de vérifi er les prétentions de l’entrepreneur, de décider des remèdes, de s’assurer qu’il n’y aura pas de retards excessifs dans la poursuite de travaux et de « contrôler les coûts pendant que les travaux s’effectuent ».
2. Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc., 2012 QCCA 2304, par. 56-57.

 

Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre MeAndréanne Sansoucy par courriel à asansoucy@millerthomson.comou par téléphone au 514 871-5354



Miller Thomson avocats


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Cet article est paru dans l’édition du jeudi 16 novembre 2017 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.