Arrivés en fin de carrière ou à un carrefour professionnel, certains entrepreneurs optent pour la relève quand vient le temps de quitter leur entreprise. Comment bien réussir cette passation, parfois aussi complexe d’un point de vue administratif que personnel ? La planification et l’accompagnement en seraient les clés.
Pour Ali Excavation, une entreprise de construction et de travaux de génie civil québécoise, la relève s’est déroulée d’une façon plutôt particulière. À la suite du décès précoce et soudain du fondateur, Serge Loiselle, la compagnie a dû faire face à la musique du jour au lendemain. « Ça a été un mode accéléré de passation et on était plus ou moins préparés », révèle Marc-André Loiselle, président directeur général (PDG) depuis le départ subit de son père. Ancré et actif dans l’entreprise depuis presque dix ans, le releveur était déjà très au parfum des opérations de chantiers et d’exécution. « C’était dans mes fonctions. Lors du transfert de relève instantané, le défi pour mes associés, mon frère Simon et Jean-François Beaulieu, et moi était d’apprendre à administrer une entreprise d’envergure », poursuit-il. En effet, faire passer une entreprise d’une main à une autre comporte de multiples étapes et implications, qu’on pense à l’administration, à la loi, à la fiscalité, pour ne nommer que celles-là. « C’est un processus long, complexe et hasardeux », confirme Pierre Graff, PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ). « Mais il y a moyen de s’entourer pour faire en sorte que ça fonctionne bien », ajoute celui dont l’organisme représente 42 jeunes chambres de commerce à travers les 16 régions administratives du Québec.
Cédants et repreneurs
Le cas d’Ali Excavation est bien entendu exceptionnel. Il n’en demeure pas moins que bien des entrepreneurs repoussent souvent le moment où ils devront se mettre à songer à la relève. « Ce qui est intéressant dans le fait de passer son entreprise à quelqu’un, surtout de plus jeune, c’est évidemment à la fois la pérennité de celle-ci et le fait qu’il puisse y avoir aussi une vision nouvelle qui permettra à l’entreprise d’évoluer et, éventuellement, d’innover », soutient Pierre Graff. Pour Isabelle Le Ber, PDG de l’École d’entrepreneurship de Beauce, là réside d’ailleurs la toute première question à se poser. « Est-ce que je veux laisser mon entreprise à un jeune entrepreneur ou est-ce que je veux vendre l’entreprise et ramasser l’argent ? C’est la question fondamentale de départ et c’est là que c’est compliqué. S’ils sont vraiment prêts, c’est-à-dire s’ils se sont vraiment posé les bonnes questions, leur vision de la succession suivra d’elle-même. » Fréquentant au quotidien à la fois des entrepreneurs aguerris et d’autres en début de carrière, la PDG est à même de constater que bien des jeunes sont intéressés à reprendre une entreprise existante. Et cette école, un organisme à but non lucratif, travaille justement à les soutenir. « Étienne St-Jean, professeur de management à l’Université du Québec à Trois-Rivières et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la carrière entrepreneuriale, a noté deux hausses : une chez les entrepreneurs émergents, qui sont passés de 10 % à au-delà de 15 %, et une chez les repreneurs, qui sont passés d’autour de 36 % à environ de 45 % », fait remarquer Isabelle Le Ber.
Accompagnateurs
Comme l’ont fait les trois associés d’Ali Excavation, lorsque la relève se met en branle, l’étape suivante est d’aller chercher les professionnels qui sauront bien nous entourer dans le processus. Consultants, fiscalistes, avocats, il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide. « Il faut que les repreneurs comprennent qu’ils ne possèdent pas nécessairement toutes les compétences et que s’ils ont une vision nouvelle, il va falloir qu’ils aient l’humilité de démontrer son bien-fondé au succédant », explique Pierre Graff. Ce dernier soutient d’ailleurs que ce qui serait responsable de la majorité des échecs, c’est le fait qu’il y ait un décalage entre la vision du jeune repreneur et celle du cédant. Les professionnels accompagnateurs peuvent donc non seulement favoriser le transfert matériel des actifs, mais aussi le transfert immatériel. « Ils les rassurent aussi puis font en sorte que tout se passe très bien en ce qui concerne l’équipe en place. Car, évidemment, changer de tête dirigeante peut affecter l’organisation », mentionne le PDG du RJCCQ, ce que Marc-André Loiselle a aussi constaté au sein de son entreprise.
Les trois intervenants interrogés s’entendent pour dire qu’il est impossible qu’une seule personne puisse détenir toutes les compétences et l’expérience nécessaire à une relève entrepreneuriale. « Certaines compagnies rechercheront à l’interne et à l’externe un profil déterminé. Aucune recrue n’a tout en main, il faut les développer », réitère Isabelle Le Ber. « Il y a des personnes à l’interne qui pourraient être impliquées dans un transfert hybride, c’est-à-dire pas seulement prendre comme repreneur les enfants de l’entrepreneur ou quelqu’un de l’externe, mais aussi quelqu’un de l’interne. On parle beaucoup de faire actionnaires les employés clés. Ça dilue l’actionnariat, oui, mais aussi le risque. Et c’est un moyen de rétention de la main-d’oeuvre », souligne Pierre Graff. Le PDG du RJCCQ note deux relèves réussies, celle de Delan et celle de BC Assur. « Ce sont deux repreneuriats familiaux qui sont aussi allés chercher comme actionnaires un employé clé à l’interne et quelqu’un à l’externe, parce qu’ils se sont rendu compte que le repreneur n’avait pas certaines compétences. De cette façon, ils croyaient qu’ils iraient certainement beaucoup plus loin et plus vite ensemble. »
Une transition réussie
Chez Ali Excavation, on a bien sûr beaucoup appris de la dernière relève, malgré la période de turbulence que la situation particulière a générée. « Ça nous avantage aujourd’hui, soutient Marc-André Loiselle, parce que le transfert est déjà fait et qu’on n’a pas à se soucier à court terme d’une autre transition. » Il soutient que bien communiquer et se doter d’une administration forte est essentiel. « Ça a été dur, on a sacrifié beaucoup très jeune pour siéger à ces places, mais on voit l’effet que ça donne aujourd’hui, dix ans plus tard. On s’en va dans la bonne direction. » Et forts de leur expérience passée, le PDG et ses associés ont déjà commencé le repérage en vue de la prochaine relève. « On cible à l’interne des candidats et on est dans la recherche d’un processus en amont du problème. On veut déjà préparer un plan pour mettre en place une relève, même si nous, les actionnaires actuels, avons encore une bonne vingtaine d’années devant nous », termine-t-il.
Environ 5,6 % de toutes les entreprises au Québec pourraient fermer d’ici la fin de cette année en raison du manque de relève. C’est ce constat qui a poussé le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec, en collaboration avec Desjardins et la Ville de Montréal, à créer le Mouvement Repreneuriat. Ce projet vise la relance et le maintien du développement économique par la voie du repreneuriat.
Cet article est tiré du Magazine – Les Leaders de la construction 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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