4 octobre 2019
Par Marie Gagnon

La violence au travail, c’est l’affaire de chacun. Quelques pistes pour la contrer.

Ces dernières années, les médias se sont fait l’écho de témoignages, notamment de travailleuses, dénonçant des cas d’intimidation et de harcèlement au chantier. Des témoignages jugés d’autant préoccupants qu’ils ternissent l’image du secteur et, par ricochet, menacent sa compétitivité. Histoire de décrire le phénomène et d’en mesurer l’ampleur, la Commission de la construction du Québec (CCQ) a commandé une étude afin d’identifier les facteurs favorisant ces comportements hostiles et de proposer des solutions.

 

« Cette démarche s’inscrit dans le cadre du Plan stratégique de la CCQ, rappelle sa présidente-directrice générale, Diane Lemieux. Mais c’est une réalité qui doit être abordée par les employeurs, ce sont eux les responsables du climat de travail sur leur chantier. Et la qualité du climat de travail, c’est un facteur de rétention de main-d’œuvre. Dans un contexte de rareté de celle-ci, les employeurs ont tout intérêt à examiner ce problème et à prendre les mesures qui s’imposent. »

 

Un état des lieux

Coordonnée par Éric Charest, professeur agrégé à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP), cette étude rendue publique en février dernier visait d’abord à dresser un état des lieux. « La CCQ et ses partenaires voulaient aller plus loin que l’opinion négative relayée par les médias, explique le chercheur. Le but, c’était de savoir ce qu’il en est vraiment, s’il s’agit bien du reflet de la réalité ou d’un phénomène anecdotique. L’étude devait aussi mettre en évidence les formes que prennent le harcèlement et l’intimidation au chantier afin d’élaborer une stratégie pour le secteur. »

 

Éric Charest, professeur agrégé à l'ENAP. Photo : Carolina Chuang

 

Pour mener à bien leur mandat, les chercheurs ont d’abord procédé à une revue de la littérature afin de définir les concepts d’intimidation et de harcèlement, de même que leurs répercussions sur la personne et l’organisation. Le travail de terrain a débuté par des entretiens avec les premiers répondants de la CCQ, qui reçoivent les dénonciations des victimes. « On voulait savoir de quoi les gens se plaignent, quels sont leurs motifs de grief », précise Éric Charest.

 

L’enquête s’est poursuivie par une tournée des associations patronales et syndicales, puis par un sondage fondé sur le questionnaire Leymann Inventory of Psychological Terror (LIPT). Ce questionnaire, qui permet d’estimer la prévalence des situations de violence au travail, a toutefois été adapté au contexte québécois et au secteur de la construction du Québec. Des questions sociodémographiques – minorités visibles, personnes handicapées, autochtones – y ont notamment été incluses.

 

Le sondage a été mis en ligne sur Simple Sondage et des invitations ont été envoyées par courriel à un échantillon aléatoire de 10 000 employeurs et autant de salariés, où les femmes étaient surreprésentées afin d’obtenir un portrait juste de la question. « Le taux de réponse était suffisant, relève Éric Charest. Environ 1 000 employeurs et 1 000 salariés ont répondu au sondage, ce qui suffit pour brosser un portrait réaliste. »

 

Pour compléter leurs analyses, les chercheurs ont ensuite tenu 11 groupes de discussion avec des salariés et deux groupes de discussion avec des employeurs. « On voulait les entendre, qu’ils nous racontent leur expérience, pour mettre de la chair sur les données recueillies jusqu’ici. »

 

Les apprentis aussi

Sans grande surprise, ces rencontres ont mis en lumière les enjeux auxquels sont confrontées les femmes, comme la pression de performance, les congédiements arbitraires, le harcèlement sexuel et l’ambiance de travail sexiste, pour ne nommer que ceux-là. C’est toutefois du côté des apprentis que la surprise est venue. Le rôle du compagnon n’étant pas balisé, les abus de pouvoir seraient fréquents, note Éric Charest.

 

« Les représentants des employeurs et des syndicats en sont témoins, mais ils laissent faire, poursuit-il. Certains croient même que c’est légitime : on les a traités ainsi à leur entrée dans l’industrie; une fois compagnon, ils agissent de la même façon. L’esprit de groupe est aussi très fort au chantier. Pour combattre le phénomène, il va falloir que tous les acteurs réfléchissent aux moyens à prendre. Il faut une approche globale. »

 

En conclusion, les chercheurs formulent 12 recommandations, dont l’élimination des situations d’intimidation et de harcèlement sexuel et un meilleur encadrement des jeunes à leur entrée dans l’industrie. Ils insistent également sur la nécessité de proposer des mesures pour sensibiliser les acteurs du secteur et de mettre en place une stratégie pour publiciser les recours en cas de harcèlement ou d’intimidation.

 

Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la CCQ. Photo : Gilbert Duclos

 

La CCQ et la Commission des droits de la personne s’apprêtent justement à publier une cartographie des instances pouvant venir en aide aux victimes, dont la Ligne relais-construction. « Mais les mentalités commencent à évoluer, note Diane Lemieux. En vertu de la loi R-20, les donneurs d’ouvrage publics doivent signaler toute inconduite et deux cas ont été signalés à ce jour. Nos sondages maison montrent également un assainissement du climat de travail.

 

« Mais c’est l’employeur qui reste responsable de son chantier, insiste-t-elle. Les délégués syndicaux ont aussi leur rôle à jouer, parce que ce sont leurs membres qui vivent ces situations ou qui les font vivre à d’autres. L’étude montre que 21 pour cent (%) des répondants vivent du harcèlement et que 39 % de ceux-là disent être victimes d’autres employés. Il faut que ça cesse. »

 

AGIR SUR LE TERRAIN
Quelques-unes des recommandations de l’étude Intimidation et harcèlement dans le secteur de la construction : comprendre une réalité complexe afin de mieux intervenir (PDF).
  • Reconnaitre les situations vécues par les travailleuses;
  • S’attaquer au harcèlement sexuel;
  • Publiciser les recours en matière d’intimidation et de harcèlement;
  • Mieux encadrer l’entrée des jeunes dans le secteur;
  • Renforcer les obligations d’accès à l’égalité afin de diversifier les effectifs;
  • Faire évoluer la culture du milieu;
  • Envisager la création d’une instance indépendante pour les victimes.

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2019. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !