De la présomption de connaissance du vice jaillit la lumière

19 octobre 2010
Par Me Antonio Iacovelli de la firme Miller Thomson Pouliot

La notion de vice caché est bien répandue dans le domaine de la vente d’une résidence ou d’un quelconque édifice, et ce relativement aux problèmes qui affectent l’immeuble vendu.

 

Ceci étant, la garantie contre les vices cachés s’applique à tous les biens vendus, qu’ils soient des biens meubles ou immeubles. Lorsqu’un bien vendu est atteint d’un vice caché, le vendeur est tenu de restituer le prix payé. Cependant, si le vendeur connaissait le vice caché, il est tenu non seulement de restituer le prix mais également de payer tous les dommages-intérêts subis par l’acheteur en lien avec le vice. Cette notion est très pertinente vu que le vendeur professionnel, quant à lui, est présumé avoir connu le vice au moment de la vente. Il va donc de soi que cette garantie a un impact considérable dans tout le secteur de la construction.

 

La Cour suprême du Canada s’est même prononcée pour une des rares fois sur la question des vices cachés dans le contexte du droit contractuel québécois dans l’affaire ABB inc. c. Domtar en 2007. Le jugement de la Cour suprême susmentionné met en perspective deux des principales obligations du vendeur professionnel d’équipements, entre autres, soit son obligation de garantie contre les défauts cachés et son obligation de renseigner ses clients.

 

Or, c’est sur les principes énoncés dans cette décision de la Cour suprême du Canada, à savoir la présomption de connaissance du vice, que repose une récente décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Lumen, division de Sonepar Canada c. Elliptipar, division de Sylvain R. Shemitz Designs inc.

 

Les faits

En mars 2002, Aéroports de Montréal (ci-après, « ADM ») octroie à Entreprises d'électricité Rial inc. (ci-après, « Rial ») un contrat pour la réalisation de travaux électriques à l’aéroport comprenant la fourniture de 660 luminaires, ballasts et lampes, et leur installation. Ces dernières composantes relèvent de Lumen, division de Sonepar Canada inc. (ci-après, « Lumen ») par suite du contrat que lui octroie Rial. Lumen, quant à elle, s’adresse à Elliptipar, division de Sylvan R. Shemitz Designs inc. (ci-après, « Elliptipar ») qui doit fournir les luminaires.

 

ADM exige formellement de Rial que la lumière projetée par les luminaires qui sont dirigés vers le plafond soit blanche. Malgré cette exigence, il s’avère deux mois après l’installation que la lumière projetée est plutôt verdâtre ou rosée. Insatisfaite du résultat, ADM retient une somme de 500 000 $ sur le prix des travaux effectués par Rial. Rial se dirige vers Lumen et cette dernière informe le fabricant des lampes du problème. Celui-ci accepte de remplacer les lampes par d’autres du même modèle ainsi que de défrayer les coûts de main-d’œuvre de Rial pour l’installation. Le problème perdure tout de même.

 

Après de nombreux tests et essais et les coûts que ceux-ci entraînent, le problème de variation de couleur est finalement réglé à la satisfaction d’ADM. ADM libère la somme retenue de 500 000 $. Toutefois, pour en arriver là, il a fallu que Rial remplace les 660 lampes par un modèle différent et qu’elle se retrouve avec des frais supplémentaires de 173 536,57 $.

 

Vu ce qui précède, Rial ne paie pas à Lumen le solde dû de 130 728,19 $ pour la vente de fournitures électriques croyant que les frais supplémentaires de 173 536,57 $ que Rial a défrayés devraient opérer compensation relativement à la facture de Lumen car Rial impute à Lumen la responsabilité de la débâcle des lumières.

 

Lumen poursuit donc Rial pour la somme que cette dernière lui doit pour la vente de fournitures électriques alors qu’en revanche, Rial fait valoir une demande reconventionnelle à l’encontre de Lumen pour les dommages-intérêts que Rial a subis. Confrontée à cette demande reconventionnelle, Lumen se retourne vers Elliptipar afin d’appeler cette dernière en garantie. Il incombe à la Cour supérieure de faire la lumière sur ce qui devient, à toutes fins pratiques, une bataille en première instance entre les experts respectifs de Rial et Elliptipar.

 

La Cour supérieure donne raison à l’expert d’Elliptipar qui écarte la possibilité que la variation de couleur soit attribuable aux luminaires fabriqués par Elliptipar. L’expert d’Elliptipar n’identifie pas, par contre, la cause du problème. En acceptant la version de l’expert d’Elliptipar, le tribunal rejette en même temps la demande reconventionnelle de Rial faisant en sorte que l’action en garantie de Lumen contre Elliptipar devient sans objet. Rial succombe et se pourvoit de la décision.

 

L’intervention de la Cour d’appel

Dans son analyse, la Cour d’appel fait référence à l’incontournable jugement de 2007 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire ABB inc. c. Domtar. Pour reprendre ses mots, la Cour d’appel nous rappelle que le « vendeur d’un bien est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou en diminuent sensiblement l’utilité (Art. 1726 C.c.Q.). Sont également tenus à la garantie du vendeur, le fabricant, le distributeur ou le fournisseur du bien (Art. 1730 C.c.Q.) ».

 

Le vendeur, fabricant, distributeur ou fournisseur d’un bien a également l’obligation de renseigner l’acheteur.

Dans le cas qui nous occupe, la lumière projetée par les lampes n’était pas blanche, et ce, contrairement à l’usage auquel ADM destinait le bien fourni et contrairement à l’exigence de Rial dans son contrat avec Lumen pour les fournitures électriques.

 

Puisque la preuve en première instance révèle qu’Elliptipar, se fiant au fabricant des luminaires, a conseillé un modèle de lampe autre que celui choisi par Lumen de son propre gré et qu’Elliptipar n’est ni le fabricant ni le vendeur du modèle utilisé, le recours en garantie de Lumen contre Elliptipar doit tomber. La demande reconventionnelle de Rial à l’encontre de Lumen doit, quant à elle, être accueillie.

 

De dire la Cour d’appel, Lumen est un vendeur professionnel en matière de fournitures électriques. C’est justement pour cette raison que Rial a retenu ses services. L’article 1729 de notre Code civil prévoit que lorsqu’un vice d’un bien vendu par un vendeur professionnel se manifeste prématurément, le vice est présumé être connu par le vendeur professionnel en question. Le vice en l’espèce est un défaut conventionnel selon l’arrêt ABB inc. c. Domtar puisqu’il était convenu que la lumière projetée devait être ni verdâtre ni rosée mais blanche.

 

Lumen n’a pas réussi à repousser la présomption qui pèse contre elle à titre de vendeur professionnel puisqu’elle n’a pas prouvé ni la faute d’ADM, ni celle de Rial, ni non plus celle d’Elliptipar qui a fabriqué les luminaires.

 

Puisqu’elle n’a pas poursuivi le fabricant des lampes, Lumen est responsable du vice ainsi que des dommages qui en découlent.

 


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Miller Thomson Pouliot