En vertu de la Loi sur le bâtiment, la Régie du bâtiment (ci après la « Régie ») exerce le pouvoir d’émettre, renouveler, suspendre ainsi que d’annuler les licences d’entrepreneur en construction. Dans le cas des licences détenues par des entrepreneurs qui exercent des activités consacrées aux membres de la CMEQ ainsi qu’à ceux de la CMMTQ, ces mêmes pouvoirs sont exercés par ces derniers organismes en vertu des dispositions de la loi permettant la délégation de certaines fonctions attribuées à la Régie.
Ces pouvoirs sont toutefois bien encadrés par la Loi sur le bâtiment. C’est ainsi qu’à l’article 61 de la loi (applicable lors de l’émission, mais aussi lors du renouvellement de licence), il est notamment prévu que « La Régie peut refuser de délivrer une licence à une société ou personne morale lorsqu’un de ses dirigeants : 1o a été dirigeant d’une société ou personne morale dans les 12 mois précédant la faillite de celle ci survenue depuis moins de trois ans ; 2o a été dirigeant d’une société ou personne morale qui a été déclarée coupable, dans les cinq ans précédant la demande, d’une infraction à une loi fiscale ou d’un acte criminel et qui sont reliés aux activités que la personne entend exercer dans l’industrie de la construction ou d’un acte criminel prévu aux articles 467.11 à 467.13 du Code criminel, à moins qu’elle ait obtenu la réhabilitation ou le pardon ; … Pour l’application du paragraphe 2o du premier alinéa relativement à une infraction à une loi fiscale, la Régie refuse de délivrer une licence lorsqu’elle estime que la gravité de l’infraction ou la fréquence des infractions le justifie. »
Même si le texte de l’article ci-haut cité suggère que les pouvoirs de refus de la Régie (ou selon le cas ceux de la CMEQ ou CMMTQ) sont de nature discrétionnaire, cette discrétion n’est pas sans limite et doit être raisonnablement exercée. C’est ce que démontre le jugement récemment rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Corporation Waskahegen c. Corporation des maîtres électriciens du Québec.
LES FAITS
En 2002, l’un des dirigeants de la Corporation Waskahegen (ci après « Waskahegen »), M. Gilles Bérubé est approché par son frère qui est président et directeur général d’une autre entité faisant affaire sous le nom de Terexfor. Cette dernière étant en difficulté financière, M. Jacques Bérubé s’enquiert auprès de son frère Gilles si Waskahegen, titulaire d’une licence d’entrepreneur en électricité, était intéressée à investir dans Terexfor, également titulaire d’une licence.
Cette demande sera acceptée, moyennant certaines conditions, notamment que : le directeur général de Waskahegen, en l’occurrence Gilles Bérubé, doit devenir administrateur de Terexfor. De plus, M. Jacques Bérubé ne pourra pas faire concurrence à Terexfor. Il est ainsi précisé que M. Jacques Bérubé devra agir à titre de répondant pour le compte de Terexfor auprès de la CMEQ, afin que Terexfor continue à détenir sa licence d’entrepreneur en règle.
Ainsi, à compter de 2002, deux administrateurs seront en poste chez Terexfor, à savoir M. Jacques Bérubé et M. Gilles Bérubé.
Terexfor continuera ses opérations et avec l’accord de tous, Jacques Bérubé assumera la direction quotidienne de l’entreprise, tant sur le plan de l’obtention des contrats, de la présentation de soumissions que de l’embauche des employés.
Au cours de l’année 2003, à l’insu de tous, Jacques Bérubé fondera une autre compagnie œuvrant dans le même domaine que Terexfor, contrevenant ainsi à la clause de non concurrence imposée par Waskahegen. Les comptes de Terexfor seront détournés, et ce, à l’insu de Gilles Bérubé et de Waskahegen. Waskahegen sera victime de manœuvres frauduleuses. Cette situation ne sera découverte par Gilles Bérubé que vers la fin de 2003. Les autorités policières seront avisées et des procédures judiciaires en recouvrement seront intentées avec peu de succès cependant.
Devant la déconfiture de Terexfor sur le plan financier, Waskahegen refuse d’injecter une somme additionnelle d’environ 150 000 $ qui serait requise pour éviter la faillite de Terexfor. Cette faillite survient donc en janvier 2007.
Le 28 mai 2007, alors que la licence de Waskahegen vient à échéance, la CMEQ refusera d’en permettre le renouvellement.
Le comité de qualification de la CMEQ fonde sa décision sur l’article 61(1) de la loi ci-haut citée, car Gilles Bérubé était dirigeant d’une compagnie ayant fait faillite. Dans l’exercice de sa discrétion de refuser le renouvellement, la CMEQ se demande « si Gilles Bérubé est responsable de la faillite de Terexfor, s’il a été négligent dans les circonstances ou s’il a fait tout ce qui était possible de faire pour éviter cette faillite. ». Les membres du CMEQ répondent à cette question par l’affirmative, concluant que Gilles Bérubé a été négligent en donnant carte blanche à Jacques Bérubé dans sa gestion de Terexfor, qu’il n’a pas tout fait ce qui était possible pour éviter la faillite de Terexfor. Ils estiment donc qu’il serait contraire à la sécurité du public que de renouveler la licence de Waskahegen.
Cette décision sera portée en révision devant le commissaire adjoint de l’industrie de la construction (les pouvoirs de ce dernier sont aujourd’hui exercés par la Commission des relations de travail). Le commissaire conclut que la décision de la CMEQ de ne pas renouveler la licence en construction n’est pas déraisonnable et il refuse donc d’intervenir dans les présentes circonstances. Cette décision du commissaire sera elle-même portée en demande de révision judiciaire devant la Cour supérieure, laquelle refusera à son tour d’intervenir.
Finalement, la décision sera portée en appel devant la Cour d’appel du Québec.
LE JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL
Dans un premier temps, la Cour se penchera sur la norme de contrôle qui doit être appliquée à l’égard de la décision de la CMEQ. Après analyse, la Cour en vient à la conclusion qu’il n’y a lieu d’intervenir que si la décision est déraisonnable. Aussi, la Cour doit d’abord déterminer si la décision de la CMEQ est raisonnable eu égard aux circonstances. Pour ce faire, la Cour s’interroge à savoir si la CMEQ s’est bien guidée pour conclure que la conduite de Gilles Bérubé au cours de la période pertinente, était négligente. Or, bien que Gilles Bérubé ait été cosignataire de chèques, la preuve au dossier ne relève pas de circonstances faisant en sorte que Gilles Bérubé aurait dû être suspicieux à l’endroit de son frère Jacques. Le fait que Terexfor était en mauvaise santé financière au moment de l’achat par Waskahegen et la proximité entre les deux entreprises ne suffisent pas en soi pour fonder une conclusion que celui ci aurait dû entretenir des soupçons sur l’intégrité de Jacques Bérubé. Il n’y a pas non plus preuve d’aveuglement volontaire de sa part, car toutes les manœuvres de Jacques Bérubé ont été menées clandestinement.
La Cour d’appel indique qu’en l’absence de motifs qui auraient été de nature à soulever des suspicions quant au comportement de son frère, la CMEQ ne devait pas conclure qu’il y avait eu négligence de la part de Gilles Bérubé.
Par ailleurs, la CMEQ n’aurait pas dû conclure que Waskahegen était obligée d’investir une seconde fois dans Terexfor pour prévenir la faillite de celle-ci, alors que cette dernière n’était pas rentable.
Somme toute, la Cour d’appel en vient à la conclusion que la décision de la CMEQ est déraisonnable et ordonne le renouvellement de la licence de Waskahegen.
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