Par son Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (le « Règlement »), le législateur a voulu que l’acheteur d’un bâtiment résidentiel neuf n’ait pas à recourir aux tribunaux pour faire valoir la garantie dont il dispose à ce titre. C’est ce que nous rappelle un juge de la Cour supérieure dans un jugement récent, dans 9056-1457 Québec inc. c. Chartier , qui met en relief le caractère quasi souverain d’un arbitre saisi d’une demande d’arbitrage en vertu du Règlement.
Un an après l’achat d’une maison neuve construite et vendue par 9056-1457 Québec inc. (l’« Entrepreneur »), des infiltrations d’eau sont apparues au sous-sol. L’Entrepreneur a alors apporté d’importantes améliorations au système de drainage et d’évacuation des eaux et, depuis, aucune infiltration. L’administrateur du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs dont bénéficiaient les propriétaires, une société de l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (l’APCHQ), a ensuite émis une décision constatant que le problème avait été réglé. Malgré cela, les propriétaires ont déposé une demande d’arbitrage en vertu du Règlement, se plaignant de malfaçons, dont le fait que la fondation aurait été construite trop bas par rapport à la nappe phréatique.
L’arbitre nommé en conformité avec le Règlement a tranché en faveur des propriétaires. Au terme de 138 pages résumant la preuve et les plaidoiries et de moins de deux pages d’« Analyse de la preuve », il a conclu que la fondation n’était pas conforme aux règles de l’art parce qu’elle n’avait pas été construite à un niveau supérieur à la nappe phréatique, contrairement aux spécifications du Code national du bâtiment. Les infiltrations d’eau étaient attribuables à cette malfaçon. Les propriétaires se sont présentés devant la Cour supérieure pour qu’elle homologue et rende exécutoire la décision de l’arbitre. De son côté, l’Entrepreneur, par la voie d’une requête en révision judiciaire, demande que la Cour supérieure casse la décision de l’arbitre.
Comme le rappelle le juge de la Cour supérieure, le Règlement est un règlement d’ordre public, de même nature que la Loi sur la protection du consommateur, et le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs vise à protéger les acquéreurs de maisons neuves. Selon le juge, le Règlement doit donc recevoir une interprétation large et libérale pour tenir compte de cet objectif. Son commentaire qui suit est clair :
« Certains diront que ces dispositions favorisent l’acquéreur au détriment de l’entrepreneur et du plan de garantie. Si c’est vrai, il est clair que tel était le choix du législateur. […] »
Le premier motif de contestation de l’Entrepreneur était que l’arbitre aurait excédé sa compétence. Selon lui, l’arbitre devait se limiter à décider si l’administrateur du plan de garantie pouvait conclure, comme il l’a fait, que les correctifs apportés par l’Entrepreneur avaient réglé le problème d’infiltration d’eau. L’arbitre ne pouvait aller au-delà de cette question et décider qu’il y avait malfaçon due au fait que la fondation de la maison avait été construite à un niveau trop bas par rapport à la nappe phréatique. Le problème d’infiltration avait été réglé, il n’avait pas à aller plus loin.
Le juge conclut au contraire que l’arbitre était compétent pour disposer de la question de malfaçon liée aux fondations et à la nappe phréatique. Cette question était d’ailleurs mentionnée dans la plainte initiale des propriétaires. Selon le tribunal, les correctifs apportés par l’amélioration du système de drainage et d’évacuation des eaux n’étaient qu’un « Band Aid » qui ne corrigeait que les symptômes, c’est-à-dire les infiltrations d’eau. Les propriétaires n’étaient aucunement empêchés de dénoncer la malfaçon elle-même, soit une fondation trop basse par rapport à la nappe phréatique.
Quant à cette conclusion de l’arbitre sur l’existence d’une malfaçon, l’Entrepreneur la qualifiait de déraisonnable parce que contraire à la preuve. Il soulignait que, dans son « Analyse de la preuve » de moins de deux pages, l’arbitre ne discutait pas des moyens de contestation de l’Entrepreneur relatifs à la nappe phréatique ni de sa preuve, par témoins de fait et d’experts. L’Entrepreneur formulait également plusieurs autres reproches, faisant état de ce qu’il qualifiait d’erreurs dans le résumé de la preuve et des plaidoiries par l’arbitre. De plus, il reprochait à l’arbitre d’avoir fondé sa décision notamment sur un rapport de l’IRC-CNRC qui n’avait pas été produit en preuve par les parties et sur lequel celles-ci n’avaient pu faire de représentations. Finalement, la décision fournissait tellement peu d’information sur le processus décisionnel de l’arbitre qu’il était, selon l’Entrepreneur, impossible de comprendre pourquoi il en était arrivé à ces conclusions.
Le juge rappelle d’abord que le rôle d’un juge saisi d’une requête en révision judiciaire d’une décision d’un arbitre siégeant en vertu du Règlement n’est pas de décider si la décision de l’arbitre était correcte, mais plutôt si elle était raisonnable ; et le juge ne doit pas, pour décider du caractère raisonnable de la décision, réviser la preuve pour en faire sa propre appréciation et décider ce que lui-même aurait jugé s’il avait entendu la preuve à la place de l’arbitre. Bref, il ne doit pas substituer sa décision à celle de l’arbitre. Il doit se restreindre à évaluer si la décision de l’arbitre était raisonnable, en tenant compte de la justification de la décision, de sa transparence, de sa compréhensibilité, et si les conclusions pouvaient se justifier en fonction des faits mis en preuve et du droit applicable.
Le juge souligne que les motifs et justifications de la décision sont très sommaires et que l’on peut regretter que l’arbitre n’ait pas fourni de détails sur son raisonnement ni expliqué ses conclusions. De plus, il reconnaît que l’arbitre ne s’est pas prononcé sur plusieurs aspects de l’argumentation et de la preuve. Cependant, au bout du compte, il retient que l’arbitre tranche la question qu’il avait à décider et il constate qu’il a clairement choisi de retenir la preuve des propriétaires et de leurs experts, même s’il ne dit pas pourquoi. Or, il n’est pas du rôle du juge de trancher à savoir si l’arbitre avait raison ou tort de préférer cette preuve. Ce qui compte, c’est ce qu’il y avait au dossier de la preuve qui permettait à l’arbitre de conclure comme il l’a fait.
Quant à la référence à un rapport qui n’avait pas été produit en preuve, cela peut étonner, nous dit le juge, et il s’agit certainement d’une façon peu orthodoxe de procéder. Cependant, selon le juge, il n’y a pas d’indication que la décision de l’arbitre ait été fondée sur ce rapport, dont le sujet n’avait de toute façon pas d’impact réel sur la question à décider, et les parties avaient eu l’occasion de débattre du sujet en question.
Le juge résume en quelque sorte le dilemme devant lequel il se trouvait avant de déclarer qu’il ne pouvait conclure au caractère déraisonnable de la décision :
« […] Même si on peut s’interroger sur la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel dans le présent cas, et si la justification n’est pas très détaillée, on doit conclure que, dans l’ensemble, la décision se comprend. »
Une chose ressort clairement de ce jugement de la Cour supérieure : l’arbitre appelé à trancher suite à une demande d’arbitrage d’un propriétaire d’une résidence neuve en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est certes quasi souverain dans sa décision.
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