Les délais du cahier des charges sont valides

6 janvier 2013
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Tout entrepreneur qui fait affaire avec le ministère des Transports du Québec (« MTQ ») devrait être familier avec le « Cahier des charges et devis généraux ». En effet, le cahier des charges fait partie intégrante du tout contrat entre un entrepreneur et le MTQ, définit les droits et obligations des parties, et établit les exigences de base des travaux de construction d'infrastructures routières exécutés à travers le Québec.

 

Le cahier des charges prévoit une procédure de réclamation qui permet à un entrepreneur de demander, pendant les travaux, d'être compensé par le MTQ pour des travaux additionnels et imprévus qui surviennent dans le cadre d'un contrat à forfait. Cette procédure a longtemps été considérée comme obligatoire : un entrepreneur qui ne la suivait pas perdait son droit de réclamer du MTQ une fois ses délais écoulés.

 

La rigueur avec laquelle cette procédure doit être suivie a récemment été remise en cause par un entrepreneur dans l'affaire Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc. [1], mais la Cour d'appel a réaffirmé l'importance de respecter les formalités prévues au cahier des charges à la lettre, sans quoi un entrepreneur doit assumer lui-même le coût des extras qu'il aurait pu réclamer du MTQ.

 

Les faits

Suite à un appel d’offres, le MTQ confie à Construction Infrabec inc. (« Infrabec ») un contrat de presque 15 000 000 $ pour la construction d’infrastructures routières. Ce contrat inclut la mise en place d’un système d’éclairage routier, et Infrabec sous-traite cette tâche à Paul Savard Entrepreneur Électricien inc. (« Savard »).

 

Pendant l'exécution du contrat, une série de travaux imprévus oblige Savard à faire des réclamations pour compensation financière auprès d’Infrabec. Ces réclamations sont envoyées non seulement à Infrabec, mais aussi au MTQ. Des rencontres ont lieu et le MTQ accepte certaines réclamations et en refuse d'autres. Savard conteste chaque refus auprès d’Infrabec et demande d'être payée par cette dernière. Infrabec refuse, et Savard intente une action contre elle pour les quelque 240 000 $ qui lui sont refusés. Infrabec intente à son tour un recours en garantie contre le MTQ.

 

Le juge de première instance accueille plusieurs des réclamations de Savard, ordonne à Infrabec de payer et rejette l’appel en garantie d’Infrabec. En appel, la Cour doit trancher deux questions fondamentales soulevées par Infrabec. Premièrement, les délais prévus au cahier des charges pour les réclamations d'extras sont-ils valides ? Deuxièmement, le fait que Savard ait envoyé copie de ses réclamations au MTQ est-il suffisant pour satisfaire aux exigences du cahier des charges, et rendre le MTQ responsable envers Infrabec du paiement des extras réclamés par Savard ?

 

Jugement

Le cahier des charges contient une clause par laquelle l’entrepreneur est obligé de présenter sa réclamation d’extras à l’intérieur d’un délai de 120 jours à partir de la date de sa réception de l’estimation finale des travaux. Faute de présenter sa réclamation dans ce délai, l’entrepreneur est considéré comme s’être désisté de ses droits. Infrabec attaquait la validité ce délai. Selon elle, la clause qui prévoit ce délai est illégale car elle crée un délai de prescription autre que celui prévu par la loi (trois ans), en violation de l’article 2884 du Code civil.

 

La Cour d’appel rejette cet argument car elle juge que le délai n’est pas un délai de prescription. Pour que la prescription commence à courir, il faut d’abord qu’un droit existe. Or, le contrat à forfait entre le MTQ et Infrabec (et tout autre entrepreneur dans de telles circonstances) fait en sorte que l’entrepreneur n’a pas droit aux extras, à moins de suivre la procédure. En d’autres mots, la procédure de réclamation d’extras « confère à un entrepreneur la possibilité d’obtenir une réparation à laquelle il n’aurait normalement pas droit » [2]. Ce n’est donc qu’après avoir suivi la procédure à la lettre que l’entrepreneur a un droit d’action contre le MTQ et que la prescription commence à courir, avant quoi « aucun fondement juridique ne permet à l’entrepreneur de réclamer en justice les coûts additionnels occasionnés par des travaux imprévus » [3].

 

Deuxièmement, Infrabec argumenta que le MTQ interprétait la procédure de réclamation d’extras de trop strictement en exigeant qu’Infrabec envoie elle-même les avis de réclamation au MTQ. Selon Infrabec, le fait que Savard ait envoyé ses réclamations à Infrabec en mettant le MTQ en copie était suffisant pour satisfaire aux obligations d’Infrabec en vertu du cahier des charges.

 

La Cour d’appel rejette cet argument en se basant sur la jurisprudence constante en matière de contrats de construction. Cette jurisprudence « insiste sur l’importance pour l’entrepreneur de respecter à la lettre la procédure prévue au contrat » [4]. Le défaut de donner les avis exigés dans les délais sera fatal, à moins qu’il ne soit démontré que le MTQ ait implicitement renoncé à l’application stricte de la procédure prévue.

 

Conclusion

La Cour d’appel inscrit son raisonnement dans le contexte des contrats de construction avec le MTQ, un contexte où « sauf dérogation, l’entrepreneur assume généralement le risque que les conditions d’exécution du contrat diffèrent de celles prévues au contrat d’entreprise établi sur une base forfaitaire » [5]. Les formalités sont une façon d’imposer de l’ordre « dans le contexte parfois chaotique des discussions sur un chantier de construction » [6]. On comprend donc l’importance des formalités et d’exiger qu’elles soient suivies à la lettre, car sans elles le MTQ « se verrait vite enseveli sous une avalanche de lettres provenant des multiples chantiers de construction du Québec » [7].

 

Cette décision sert de rappel aux entrepreneurs qui font affaire avec le MTQ : étudiez le cahier des charges, et assurez-vous de faire vos suivis rapidement en cas de doute. Votre rémunération pourrait en dépendre.

 


Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Patrick Garon-Sayegh à pgsayegh@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5425.


 

1. 2012 QCCA 2304.

2. Ibid. au para. 54.

3. Ibid.

4. Ibid. au para. 63.

5. Ibid. au para. 49.

6. Ibid. au para 65.

7. Ibid.

Miller Thomson avocats

 

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 31 janvier 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !