Le cautionnement de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux est celui qui garantit le paiement des sous-entrepreneurs, fournisseurs de matériaux et ouvriers. Par un contrat de cautionnement et selon les conditions qu’il prévoit, la compagnie agissant comme caution s’engage à payer ces sous-traitants si l’entrepreneur fait défaut d’acquitter ses dettes.
Les sous-traitants bénéficient directement du contrat de cautionnement, même s’ils n’en sont pas des parties contractantes. En effet, l’engagement de l’entrepreneur de contracter un contrat de cautionnement constitue une stipulation pour autrui au sens du Code civil du Québec. Cette qualification juridique permet le recours direct des sous-traitants contre la caution.
Ce cautionnement revêt une grande importance pour les sous-traitants lorsque la construction porte sur un immeuble qui ne peut faire l’objet d’une saisie, le caractère d’insaisissabilité empêchant la publication d’hypothèques légales.
Les contrats de cautionnement prévoient toutefois un montant maximal que la caution peut être appelée à payer. Lorsque les réclamations des sous-traitants excèdent la valeur du cautionnement, ceux-ci peuvent être payés au prorata des réclamations de l’ensemble des sous-traitants bénéficiaires du cautionnement. Le paiement au prorata est en effet appliqué par les tribunaux.
Dans la décision récente rendue par la Cour du Québec dans l’affaire Distribution Brunet inc. c. Compagnie d’assurances Jevco [1], la Cour se penche sur la question de savoir si la caution doit payer en totalité la créance d’un sous-traitant qui a une réclamation valide liquide et exigible avant de connaître le montant total des réclamations. La Cour juge que la caution ne peut opposer à un bénéficiaire détenant une réclamation valide liquide et exigible un droit de ne l’acquitter que lorsque le montant total des réclamations est déterminé.
Les faits
Dans le cadre d’un projet de construction pour la ville de Boucherville, Distribution Brunet inc. (ci-après « Brunet ») a fourni à MJH Excavation inc. (ci-après « MJH Excavation ») des matériaux. MJH a fait cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, d’où la réclamation de Brunet à la Compagnie d’assurances Jevco (ci-après « Jevco ») en vertu du cautionnement fourni.
La créance de Brunet est reconnue par Jevco ; cependant Jevco soutient qu’elle doit attendre d’avoir reçu et analysé chacune des réclamations de l’ensemble des bénéficiaires du cautionnement avant de déterminer si elle peut effectuer un paiement complet aux bénéficiaires dont Brunet, compte tenu que selon les avis de réclamations reçus par Jevco, les montants réclamés sont supérieurs au montant maximal stipulé au cautionnement.
La décision
De l’avis de la Cour, en l’absence de disposition légale ou clause contractuelle prévue au contrat de cautionnement prévoyant le paiement au prorata en cas de dépassement du montant maximal, Jevco doit démontrer que l’usage ou l’équité justifient la distribution au prorata. Jevco n’a pas prouvé que la distribution au prorata est un usage ni n’a prouvé que le paiement à Brunet résulterait en une iniquité suffisamment grave entre les bénéficiaires du cautionnement pour que le tribunal autorise Jevco à payer les réclamations au prorata.
Comme la réclamation de Brunet est valide, liquide, exigible et n’impose pas à Jevco l’obligation de payer une somme excédant le montant maximal prévu au cautionnement, la Cour condamne Jevco à payer la créance de Brunet au complet même si le montant total des réclamations n’est pas déterminé.
Les bénéficiaires d’un cautionnement ont intérêt à ne pas tarder pour faire reconnaître leur réclamation auprès de la caution afin d’optimiser leurs chances de recouvrer entièrement leur créance. Suivant cette décision, la caution ne peut opposer à un bénéficiaire l’équité à l’égard des autres bénéficiaires pour refuser de payer entièrement sa réclamation. La décision est actuellement portée en appel par Jevco.
1. Distribution Brunet inc. c. Compagnie d’assurances Jevco, J.E. 2011-1593 (C.Q.) Requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2011-09-14), 2011 QCCA 1698.
Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec Me Andréanne Sansoucy par courriel à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 16 mars 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !