Bien d'utilité publique : exemples à garder en tête

7 mai 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Les organismes publics et l’industrie de la construction ont depuis longtemps tissé des liens serrés, et ce, pour des raisons autres que les activités illicites sur lesquelles se penche la Commission Charbonneau.

 

En effet, un grand nombre d’organismes publics ont dû – et doivent toujours – faire construire et entretenir des bâtiments ou infrastructures nécessaires à l’accomplissement de leurs missions respectives. Ces organismes publics, qu’ils soient des municipalités, commissions scolaires, sociétés de transport ou autres, forment donc une part importante de la demande pour les services et matériaux de construction.

 

Pour leur part, de nombreux entrepreneurs, sous-traitants et fournisseurs de matériaux dépendent, parfois plus et parfois moins, de contrats conclus avec des organismes publics. Nos chroniques portent d’ailleurs souvent sur des disputes entre des organismes publics et des entreprises de l’industrie de la construction, et ce, pour deux raisons principales.

 

D’une part, parce que le volume de litiges entre organismes publics et entreprises privées est grand et nous fournit donc une riche jurisprudence. D’autre part, parce que faire affaire avec des organismes publics implique plusieurs particularités juridiques qu’il est toujours utile de rappeler ou préciser au fur et à mesure qu’elles évoluent.

 

Une de ces particularités juridiques est le fait qu’il est impossible d’inscrire une hypothèque légale sur les biens qui sont d’utilité publique. En effet, l’article 916 du Code civil prévoit que « nul ne peut […] s'approprier les biens des personnes morales de droit public qui sont affectés à l'utilité publique. » Mais que voulait dire le législateur, plus précisément, en utilisant l’expression « affectés à l'utilité publique » ?

 

Les tribunaux se sont penchés plusieurs fois sur cette question. Une des plus importantes décisions en la matière fut celle de la Cour d’appel dans l’affaire Bâtiments kalad'art inc. c. Construction D.R.M. inc.1, dans laquelle il fut décidé qu’un entrepôt à sel et à sable appartenant à une municipalité est un bien affecté à l’utilité publique et qu’il ne peut donc faire l’objet d’une hypothèque légale.

 

Dans ses motifs, la Cour d’appel précisa que l’expression « affectés à l’utilité publique » doit recevoir une interprétation large, ce qui augmente le nombre potentiel de ces biens tout en réduisant les opportunités qu’ont les entrepreneurs, sous-traitants et fournisseurs de matériaux de bénéficier d’une hypothèque légale sur ces biens.

 

Mais l’interprétation large préconisée par la Cour d’appel reprise par la jurisprudence subséquente crée une difficulté, particulièrement pour les sous-traitants et fournisseurs de matériaux : il peut arriver que certains biens se trouvent dans une zone grise dans laquelle il est difficile de déterminer si le bien est affecté à l’utilité publique ou non, et donc de déterminer s’ils peuvent bénéficier de l’hypothèque légale qui serait, en absence d’un lien de droit avec l’organisme public, la principale manière de sécuriser leur créance2. Deux décisions récentes de la Cour du Québec démontrent bien cette difficulté et le fait que la notion de « bien affecté à l’utilité publique » demeure source de litiges.

 

Dans la première décision, Oka (Municipalité d’) c. JFD Construction inc.3, le bien en litige était un bâtiment appartenant à la municipalité et destiné à servir de centre communautaire. Le bâtiment devait être un lieu (i) où seraient offerts des cours et loisirs, (ii) que des organismes accrédités pourraient utiliser, et (iii) que des tiers pourraient louer. Le bâtiment et le terrain autour étaient conçus comme un parc intégré pour les loisirs.

 

Selon la Cour, le fait que le bâtiment pourrait être loué n’est pas déterminant, car le transfert d’une partie des coûts aux utilisateurs n’a pas pour effet de changer la destination du bien ou service affecté à l’utilité publique. Ainsi, selon la Cour, il s’agissait « d’un centre communautaire pour la communauté »4, et donc un bien affecté à l’utilité publique.

 

Dans la deuxième décision, Innovtech Constructions inc. c. Isolation Y.G. Ippersiel inc.5, le bien en litige était une école appartenant à une commission scolaire. Cette fois, la Cour a conclu que l’école n’était pas un bien affecté à l’utilité publique. Selon la Cour, la jurisprudence majoritaire était déjà à l’effet que les écoles ne sont pas affectées à l’utilité publique car elles ne sont pas à l’usage du public en général. La Cour précise aussi qu’une mission (comme l’éducation) peut être publique, mais que les biens nécessaires à cette mission ne le sont pas nécessairement.

 

Conclusion

Il ressort de ce qui précède que les entrepreneurs, sous-traitants et fournisseurs de matériaux doivent faire attention lorsqu’ils participent à la construction ou la rénovation de biens affectés à l’utilité publique. En effet, l’hypothèque légale est un outil très important pour permettre aux entrepreneurs et fournisseurs de matériaux d’assurer leurs créances. Sans le bénéfice de l’hypothèque légale, ceux qui travaillent sur un bien d’utilité publique devraient conduire leurs affaires différemment afin d’assurer qu’ils puissent être payés. Mais pour pouvoir conduire ses affaires différemment, il faut être prudent et s’informer d’avance.

 

La jurisprudence permet, dans plusieurs cas tels que ceux discutés plus haut, de savoir si un bien est affecté à l’utilité publique ou non. Mais dans d’autres cas, l’exercice peut être plus délicat et une analyse plus approfondie pourrait être de mise. Il est donc utile, dans le doute, d’obtenir conseil avant de conclure un contrat avec un organisme public et pour un bien que l’on soupçonne être affecté à l’utilité publique.

 

1. 2000 CanLII 20287 (QC CA).

2. Ce qui est d’ailleurs souligné par le juge Biron dans ses motifs du jugement, ibid. au para. 34.

3. 2013 QCCQ 9282.

4. Ibid. au para. 10.

5. 2013 QCCQ 2794.


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 17 avril 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !