Les organismes publics sont généralement tenus, en vertu des lois et règlements qui les régissent, de procéder par appel d’offres. Les principales lois québécoises qui encadrent ces processus d’attribution sont la Loi sur les contrats des organismes publics (ainsi que les règlements adoptés sous son égide) et la Loi sur les cités et villes.
La validité des contrats modifiés de façon substantielle après leur adjudication par un donneur d’ordre public a parfois été remise en question. Dans un arrêt de principe rendu durant les années 1970, soit l’affaire Adricon ltée c. Ville d’East Angus, la Cour suprême du Canada avait alors énoncé le principe que les changements apportés en cours d’exécution pouvaient être valablement entendus sans qu’il ne soit nécessaire pour l’organisme de repasser par un nouvel appel d’offres et attribution d’un nouveau contrat, à condition que trois conditions soient satisfaites : 1) les modifications doivent constituer un accessoire au contrat originalement conclu ; 2) une contrepartie valable doit être reçue du côté du donneur d’ouvrage public ; et 3) la bonne foi des parties doit être omniprésente.
L’article 17 de la Loi sur les contrats des organismes publics se lit en effet comme suit : « Un contrat peut être modifié lorsque la modification en constitue un accessoire et n’en change pas la nature. »…
Devant de tels principes, on peut s’interroger dans quelle mesure un organisme public peut autoriser, après l’ouverture des soumissions, la substitution de produits spécifiés dans les documents d’appel d’offres, et ce, sans devoir recourir à un nouvel appel d’offres.
Cette question a récemment été traitée sommairement dans un jugement porté devant la Cour supérieure dans l’affaire Hervé Pomerleau inc. c. Société de Transport de Montréal.
Les faits
En mars 1993, la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal (« STCUM ») procède à une demande de soumissions publiques pour la construction d’un garage‑atelier désigné comme étant le Centre de transport LaSalle.
Les soumissions sont ouvertes le 22 avril 1993. Dix soumissions sont reçues dont la plus basse, celle d’Hervé Pomerleau inc. (« Pomerleau ») au montant de 26 753 734 $, et celle de Sicor au montant de 27 795 918 $.
Alors que les documents d’appel d’offres mentionnent que les contrôles du système de l’air ambiant du bâtiment doivent être de maque Westinghouse, la soumission de Pomerleau prévoit la fourniture de contrôles fabriqués par la compagnie Landis & Gyr.
Le fait est noté par la STCUM ainsi que par d’autres soumissionnaires qui soutiennent que la soumission de Pomerleau n’est pas conforme. La STCUM demandera donc à Pomerleau de lui confirmer que malgré la référence dans sa soumission à des contrôles de la compagnie Landis & Gyr, son prix demeure valable pour ceux fabriqués par Westinghouse.
Pomerleau ne confirmera pas que le prix demeure le même. Elle soutiendra que les produits Westinghouse sont trop dispendieux et qu’ils ne sont habituellement pas utilisés pour le type de bâtiment projeté par la STCUM. Aussi, le contrat sera‑t‑il attribué à Sicor puisque les professionnels mandatés par la STCUM considèrent qu’il s’agit là du plus bas soumissionnaire conforme.
Quelque temps après que Sicor ait pris possession du chantier, les professionnels entreprendront un exercice de rationalisation des coûts et Sicor soumettra une alternative aux contrôles du système de l’air. Surprise ! Les contrôles proposés en remplacement par Sicor seront ceux de Langis & Gyr, tandis que le crédit proposé aura pour effet de ramener le prix de Sicor au même prix que celui originalement proposé par Pomerleau.
Devant le revirement de situation, Pomerleau intentera quelque temps après un recours en dommages contre la STCUM, lequel demeurera dormant pendant quelques années, pour être éventuellement mené à procès.
Pomerleau soutient que le contrat aurait dû lui être attribué. Elle soutient que si non‑conformité de soumission il y avait, elle ne portait pas sur un des éléments essentiels de l’appel d’offres et que la STCUM aurait ainsi dû passer outre à cette non‑conformité. Elle soutiendra aussi que s’il fallait considérer comme essentielle la désignation des produits Westinghouse dans les documents d’appel d’offres, la STCUM aurait dû procéder à un nouvel appel d’offres. D’ailleurs, en procédant à la substitution des produits de marque Landis & Gyr, Sicor avait ramené le prix de son contrat à celui de la soumission de Pomerleau.
Le jugement
C’est le juge Michel Delorme qui sera saisi du différend. Il rejettera d’emblée le premier argument de Pomerleau, en indiquant que si celle‑ci s’était étonnée de voir les contrôles de marque Westinghouse prévus aux documents d’appel d’offres, elle n’en avait pas formellement fait part à la STCUM et n’avait pas suivi la demande d’équivalence à ce propos, ce qu’elle aurait pu faire entre la publication de la demande de soumissions et la date d’ouverture des soumissions. Le juge souligne que de son côté la STCUM avait nié que les deux types de contrôle étaient équivalents. Il est par ailleurs incontestable que le prix des contrôles a eu un impact significatif sur le prix global de la soumission. Pour le juge, en refusant de soumettre le prix des contrôles de marque Westinghouse, Pomerleau s’est placée dans la position où la STCUM ne pouvait comparer sa soumission avec les autres.
Le juge se penchera toutefois sur l’autre argument de Pomerleau, à savoir si la STCUM devait procéder à un nouvel appel d’offres. Il disposera de l’argument en signalant d’abord qu’au moment où le contrat fut adjugé à Sicor, la STCUM n’avait pas pris de décision concernant la possibilité de procéder à la substitution de matériaux. De plus, il signale que la preuve n’avait pas permis de déterminer si les contrôles de marque Landis & Gyr installés par Sicor dans un contexte de rationalisation des coûts, sont les mêmes que ceux qui avaient été prévus à la soumission de Pomerleau.
Enfin, le juge signalera que la procédure pour autoriser cette substitution après l’octroi était également prévue aux documents du contrat de Sicor. Aussi, il appliquera les principes mis de l’avant par la Cour suprême dans l’affaire Double N Earth Movers ltée c. Ville de Edmonton où la Cour avait permis que les parties en cours de contrat modifient la portée des obligations originalement prévues, et ce, après l’attribution du contrat dans un contexte où toutes deux avaient agi de bonne foi. Le juge rejettera donc l’action en dommages de Pomerleau.
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(chronique parue au journal Constructo du vendredi 27 mai 2011)