[Au tribunal] Exception d’inexécution ou résiliation unilatérale du contrat?

16 août 2018
Par Me Karine Carrier

La Cour supérieure du Québec s’est récemment prononcée dans une affaire1 où un entrepreneur spécialisé et son sous-traitant s’accusaient mutuellement d’avoir résilié de façon unilatérale le contrat qui les liait. La Cour devait déterminer si le sous-traitant avait eu recours à l’exception d’inexécution à bon droit ou s’il avait plutôt indûment et unilatéralement résilié le contrat.

Faits

En 2015, la défenderesse 9028-4043 Québec inc. (ci-après « Bousada ») obtient le souscontrat pour la réalisation des couvre-planchers du projet d’un nouvel immeuble au Musée national des beaux-arts du Québec à Québec (ci-après le « Musée »). Bousada conclut une entente verbale avec la demanderesse Entreprises GH (2001) inc. (ci-après « GH ») pour la pose de céramique. Cette entente prévoit notamment le paiement mensuel par Bousada des factures de GH.

 

Au cours de l’année 2015, GH effectue des travaux au Musée et Bousada acquitte les factures de GH au début de chaque mois suivant. En septembre 2015, Bousada omet d’acquitter la facturation de GH, allant ainsi à l’encontre de ce qui avait été entendu entre les parties. Le 15 septembre 2015, malgré plusieurs demandes et n’ayant toujours reçu aucun paiement, le représentant de GH ordonne à ses employés de quitter le chantier du Musée et d’emporter avec eux leurs outils.

 

Suivant le départ de GH du chantier, les parties ont de nombreuses discussions, mais aucune entente ne survient. Bousada retient les services d’un autre sous-entrepreneur, Tapis Expression, afin de terminer les travaux.

 

Alléguant que Bousada a rompu le contrat du Musée en omettant d’acquitter la facturation dans le délai prévu, GH réclame le paiement de ses factures, soit une somme de 61 767,78 $. En demande reconventionnelle, Bousada prétend que c’est GH qui a rompu le contrat et réclame pour sa part les sommes qu’elle a dû débourser pour faire terminer les travaux par Tapis Expression, soit 193 069,93 $.

 

Puisque les parties s’accusent mutuellement d’avoir indûment résilié le contrat, le tribunal doit déterminer comment et par qui le contrat a été résilié ainsi que les dommages qui en résultent, le cas échéant.

 

Droit applicable

Le tribunal détermine d’entrée de jeu que le contrat liant les parties est un contrat de services. Il rappelle qu’en vertu de l’article 2125 C.c.Q, le client (Bousada) peut unilatéralement résilier un contrat de services, mais qu’il est notamment tenu, suivant l’article 2129 C.c.Q, de payer, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles ainsi que la valeur des travaux exécutés avant la notification de la résiliation. Le fournisseur de services (GH), quant à lui, ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux, mais il ne peut le faire à contretemps.

 

Le tribunal rappelle également le principe de l’exception d’inexécution, prévu à l’article 1591 C.c.Q. Cette disposition prévoit que « [l]orsque les obligations résultant d’un contrat synallagmatique sont exigibles et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative, à moins qu’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu’elle soit tenue d’exécuter la première ».

 

Décision

Le tribunal estime que le comportement des parties pendant l’exécution du contrat démontre que Bousada devait effectuer les paiements à GH au début de chaque mois. Or, à la mi-septembre, Bousada tarde à payer. Le tribunal est donc d’avis qu’à cette date, Bousada était en défaut de respecter ses engagements envers GH.

 

Face à ce défaut de Bousada, GH décide de faire pression sur Bousada en quittant le chantier avec ses ouvriers et ses outils. Le tribunal estime que GH était en droit de poser ce geste, conformément au principe de l’exception d’inexécution. De plus, le tribunal estime que même après avoir quitté le chantier, GH aurait repris les travaux si les factures avaient été acquittées. GH entreprend des discussions avec Bousada à cet effet. Cependant, celles-ci se sont avérées vaines en raison de l’attitude et du comportement de Bousada.

 

Le tribunal conclut que si Bousada avait reconnu son défaut à la mi-septembre et avait ordonné le paiement plutôt que de s’entêter et d’accuser GH d’avoir résilié le contrat, les travaux auraient repris sans problème. Puisque ce ne fut pas le cas, l’inexécution par Bousada, soit le défaut de paiement, était suffisamment sérieuse pour permettre à GH de se servir de ce principe pour suspendre momentanément ses obligations.

 

La Cour est donc d’avis que GH, en quittant le chantier, n’a pas résilié le contrat liant les parties. C’est plutôt Bousada, arguant du comportement de GH, qui a résilié le contrat en refusant d’acquitter les factures de GH et en retenant les services d’une tierce compagnie pour terminer les travaux. Conséquemment, Bousada n’a pas droit à des dommagesintérêts. En revanche, GH a le droit de recevoir « la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat », et ce, conformément à l’article 2129 C.c.Q. Suivant la preuve offerte, le juge a ordonné à Bousada de verser la somme de 37 158,40 $ à GH.

 

À retenir

Cette décision illustre bien l’application du principe de l’exception d’inexécution dans le cadre d’un contrat de services. Face à un client en défaut d’exécuter ses obligations, un prestataire de services est en droit, dans certaines circonstances, de suspendre ses propres obligations corrélatives dans une mesure correspondante, sans que cela emporte la résiliation unilatérale du contrat. Cette décision rappelle également qu’un client peut résilier unilatéralement un contrat, mais qu’il devra alors payer à son cocontractant la valeur des travaux effectués jusqu’à ce jour.

 


1 Entreprises GH (2001) inc. c. 9028-4043 Québec inc., 2018 QCCS 1085.


Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Karine Carrier par courriel à kcarrier@millerthomson.com Tél. : 514 871-5372


Miller Thomson avocats


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Cet article est paru dans l’édition du jeudi le 2 août 2018 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.