L’obligation de renseignement du donneur d’ouvrage est un concept juridique reconnu et souvent appliqué par les tribunaux. Défini par l’arrêt Bail [1] de la Cour suprême en 1992, ce concept a été interprété par les tribunaux à de nombreuses reprises. Le 12 décembre dernier, la Cour supérieure se prononçait à nouveau sur le sujet [2].
Faits
Le 5 mars 2013, la Société de transport de Montréal (« STM ») lance un appel d’offres afin d’obtenir des soumissions pour la réparation d’induits de moteurs de traction de voitures de métro, qui sont encastrés dans une matrice de ciment. Les Entreprises Électriques L.M. inc. (« LM ») obtient ce contrat, qui consiste sommairement à retirer des induits les fils de cuivre et à les rembobiner avec des fils de cuivre neufs afin de retirer les résidus pouvant s’y trouver.
Au mois de juillet 2013, des recherches concernant le ciment utilisé dans la matrice des induits révèlent que celui-ci contient de l’amiante, un fait dont la STM connaissait l’existence. La présence d’amiante oblige LM à modifier les procédures prévues pour réaliser les travaux, ce qui engendre une augmentation significative du coût de ceux-ci.
La STM refuse de payer à LM cette augmentation de coûts, estimant que cette dernière avait accès à toute l’information pertinente dans les documents d’appel d’offres pour s’apercevoir de la présence d’amiante. Devant ce refus, LM poursuit la STM pour le montant des coûts supplémentaires, soit environ 580 000 $.
Question en litige et principes de droit applicables
Le litige consiste essentiellement à savoir si la STM, connaissant la présence d’amiante sur le chantier, avait l’obligation d’en informer LM.
La Cour rappelle d’abord que le donneur d’ouvrage a l’obligation de « décrire les travaux à faire avec suffisamment de soin et de précision [3]» , et que le soumissionnaire a pour sa part « le devoir de faire un exercice complet, sérieux et attentionné, d’agir selon les termes et conditions de l’appel d’offres et de poser des questions en cas de doute ou d’ambiguïté [4] ».
La Cour ajoute que la bonne foi doit être analysée de manière objective, et qu’elle n’impose pas aux parties de renoncer à leurs intérêts librement négociés.
En ce sens, l’obligation d’information, qui découle de la bonne foi, n’est pas sans limites. Le juge identifie plus particulièrement trois limites : (1) le manquement d’une partie à son obligation d’information doit causer préjudice; (2) le débiteur de l’obligation d’information doit avoir connu l’information ou être présumé l’avoir connue ; et (3) le créancier de l’obligation ne doit pas détenir l’information, être capable de se la procurer, ou être en droit de s’attendre à ce qu’elle lui soit communiquée notamment en raison de sa relation de confiance avec le cocontractant.
Analyse
Le juge exclut d’abord la prétention de la STM voulant que la présence d’amiante était une information disponible dans les documents d’appel d’offres. En effet, un seul document aurait pu permettre à LM de déceler la présence d’amiante, soit la liste du matériel à laquelle renvoie un dessin précis. Or, alors que ce dessin était compris dans les documents d’appel d’offres, la liste du matériel ne s’y retrouvait pas.
La Cour admet qu’il aurait été de la responsabilité de LM de communiquer avec la STM afin de souligner la liste de matériel manquante, mais elle estime raisonnable qu’elle ne l’ait pas fait puisque la référence à cette liste est à peine lisible sur le dessin en question.
De plus, même si la Cour reconnaît que LM aurait dû accorder une plus grande importance aux matériaux à remplacer, elle est d’avis qu’il ne s’agit pas d’un manquement à son obligation de se renseigner puisqu’il était raisonnable, dans les circonstances, de tenir pour acquise l’absence de produits dangereux dans les matériaux des induits à remplacer.
Quant à l’argument de la STM à l’effet que LM soit la spécialiste de ce type de réparations et ne requiert pas d’être guidée dans l’exécution du contrat, la Cour reconnaît que cet argument est généralement valide, mais juge qu’en l’espèce, la STM avait l’obligation d’informer LM de la présence d’amiante, en raison de la gravité des risques reliés à ce produit hautement dangereux.
Ainsi, la Cour conclut que « la STM avait l’obligation, en vertu des exigences de la bonne foi, d’informer LM de la présence d’amiante dans le ciment des induits à réparer et est responsable des dommages qui découlent de cette faute [5] ».
Pour ces raisons et suivant l’analyse détaillée des postes de réclamations des dommages, la Cour condamne la STM à payer à LM la somme de 471 593,72 $.
Conclusion
Cette décision constitue une nouvelle illustration de l’application de l’obligation de renseignement du donneur d’ouvrage dans le cadre d’un contrat de services. Plus particulièrement, elle rappelle que la ligne est mince entre cette obligation de renseignement et le devoir de l’entrepreneur général de se renseigner.
1. Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 RCS 554, 1992 CanLII 71 (CSC)
2. Entreprises électriques LM inc. c. Société de transport de Montréal, 2018 QCCS 5375, par. 46.
Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre MeKarine Carrier par courriel àkcarrier@millerthomson.com ou par téléphone au 514 879.4070
Cet article est paru dans l’édition du 31 janvier 2019 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.